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Le décret « Missions », le (re)cadrage du contrat entre l’école et la société

Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique

6. Le décret « Missions », le (re)cadrage du contrat entre l’école et la société

Ce décret, institué en 1997, constitue, à bien des égards, un objet complexe et riche des politiques d’enseignement. Tout d’abord, il est issu d’un large compromis entre les différents acteurs de l’enseignement. Face à un affaiblissement du consensus qui pouvait apparaître dans les objectifs de l’enseignement, le politique a dû traduire dans une loi, et ce pour la première fois, les objectifs de l’enseignement obligatoire afin que l’école puisse rendre à la société les services qu’elle en attend (Draelants, Dupriez, Maroy, 2011).

6.1. Une (re)définition des missions de l’enseignement

Par ce décret, le monde politique affirme les missions prioritaires de l’enseignement et ce, quel que soit le réseau. Le développement de la personne, l’appropriation des savoirs, l’éducation à la citoyenneté et l’égalité des chances deviennent ainsi les axes sur lesquels repose le système éducatif.

Des objectifs généraux de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire44

Article 6. - La Communauté française, pour l'enseignement qu'elle organise, et tout pouvoir organisateur, pour l'enseignement subventionné, poursuivent simultanément et sans hiérarchie les objectifs suivants :

1° promouvoir la confiance en soi et le développement de la personne de chacun des élèves;

2° amener tous les élèves à s'approprier des savoirs et à acquérir des compétences qui les rendent aptes à apprendre toute leur vie et à prendre une place active dans la vie économique, sociale et culturelle;

3° préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d'une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures; 4° assurer à tous les élèves des chances égales d'émancipation sociale.

Le décret « Missions » se veut aussi la parfaite illustration du compromis « à la belge » tant il dresse des principes généralistes, se gardant bien d’expliciter certains termes ou d’imposer une quelconque pratique pédagogique. Ce faisant, le politique s’assure de l’adhésion des différents réseaux et fédérations, sans heurter ni les sensibilités ni l’autonomie pédagogique des pouvoirs organisateurs. Ce décret ne se veut pas uniquement prescripteur. Au contraire, il met en lumière les différentes marges de manœuvre dont disposent les pouvoirs organisateurs comme, par exemple, l’aménagement de « l'horaire hebdomadaire de façon à mettre en œuvre des activités, par discipline ou pour un ensemble de disciplines, permettant d'atteindre les objectifs généraux »45 cités précédemment.

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Extrait du « Décret définissant les missions prioritaires de l'enseignement fondamental et de l'enseignement secondaire et organisant les structures propres à les atteindre », dit Décret « Missions », 1997

Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique

6.2. Une articulation des projets d’enseignement

Le décret enjoint, en outre, les pouvoirs organisateurs à remplir certaines prérogatives comme la rédaction d’un projet éducatif, qui sera lui-même complété par un projet pédagogique ; le premier précisant les valeurs défendues par le PO tandis que le second décrira les moyens mis en œuvre pour y parvenir (décret Missions, 1997)46. En outre, chaque établissement est invité à élaborer un projet spécifique, prenant appui sur ceux précités mais s’adaptant aux spécificités locales et en définissant « l'ensemble des choix pédagogiques et des actions concrètes particulières que l'équipe éducative de l'établissement entend mettre en œuvre en collaboration avec l'ensemble des acteurs et partenaires » (décret Missions, 1997)47.

Figure 2 : Représentation du système éducatif, proposée dans la circulaire n°4484 du 08/07/2013, relative à l’Organisation de l’enseignement maternel et primaire ordinaire pour l’année scolaire 2013-2014

Le décret « Missions » vise une élucidation des missions dévolues à l’enseignement, une plus grande lisibilité de la commande sociale au système scolaire (Beckers, 2008) mais aussi des attentes de ce dernier aux partenaires de l’école et, en particulier, des familles. Ainsi, chaque établissement se doit de rédiger un règlement d’ordre intérieur (ROI) et un règlement des

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Décret « Missions » (1997), Chapitre VII - Des projets éducatif, pédagogique et d'établissement, Art. 63 à 66

études qui sera présenté et remis aux parents lors de l’inscription. Ce dernier devra, entre autre, « définir les critères d'un travail scolaire de qualité, de la manière la plus explicite possible, et les procédures d'évaluation et de délibération des conseils de classe » (décret Missions, 1997)48. Cette clarification ouvre aussi la voie à des procédures de recours et engendre de profonds changements dans les missions confiées aux services de l’inspection et aux missions dévolues aux chefs d’établissement. Enfin, et non des moindres, le décret « Missions » transforme en profondeur les structures du monde de l’enseignement afin de pouvoir atteindre les objectifs visés.

6.3. Une mutation du travail enseignant

Erigé en document de référence dans le système scolaire, le décret « Missions » est sujet à de nombreuses interprétations par les acteurs du terrain, parfois même au niveau des pouvoirs organisateurs et de leurs fédérations. Alors qu’il aurait pu se positionner comme une pierre angulaire du travail enseignants, les acteurs du terrain se doivent de l’articuler, de manière cohérente, avec les diverses instructions spécifiques au sous-système auxquels ils appartiennent. Sans en préciser explicitement l’impact, le décret « Missions » modifie en profondeur le travail enseignant et ce, à plusieurs niveaux.

Tout d’abord, en introduisant l’approche par compétences, le décret génère un profond changement dans l’approche des apprentissages, dans la manière de les aborder et donc, plus largement, dans la façon de donner cours, d’enseigner, de construire les savoirs. Alors que les enseignants en fonction ont découvert leur métier dans une perspective d’appropriation des savoirs, de savoirs disciplinaires clairement identifiés et structurés, composés autour de processus didactiques spécifiques, l’approche par compétences les invite à une inflexion de leurs pratiques. Il ne s’agit plus d’enseigner une suite, plus ou moins articulée de savoirs, mais bien de les coordonner, de les structurer dans une optique fonctionnelle, d’envisager leur transposabilité dans des situations concrètes et complexes. En modifiant les structures et en imposant les concertations au sein de l’école et des cycles, les décrets font éclater la bulle que constitue habituellement la classe. L’enseignant se doit de se concerter avec ses collègues mais aussi, plus largement, avec les différents acteurs de l’école. Il n’est, dès lors, plus question d’envisager le travail enseignant comme une succession de tâches indépendantes, circonscrites au sein de la classe sous la seule autorité du maître. L’enseignant doit dialoguer avec ses collègues, s’organiser avec eux tout en veillant à pouvoir justifier ses décisions auprès des parents et des partenaires de l’école. C’est certainement sur la question de la justification que la contestation est la plus grande dans le chef des enseignants. Pour nombre d’entre eux, les décrets des années 90 ont considérablement réduit leur marge d’autonomie et leur pouvoir de décision. En effet, en introduisant la notion de recours, le décret « Missions » a ouvert la possibilité de contestation des décisions. De plus, en précisant que chaque étape puisse se faire au rythme de l’enfant et sans redoublement, le législateur a privé les enseignants d’une pratique que

Chapitre 1 : Le système éducatif en Communauté française de Belgique d’aucuns estimaient légitimes. Il s’agit d’un sujet épineux, largement polémique mais qui impacte le métier d’enseignant.

Pour nombre d’enseignants, les politiques de lutte contre le redoublement ont été vécues comme une limitation de leur liberté pédagogique et de leur pouvoir de décision. Ce sentiment a été accru par le déploiement et la systématisation des évaluations externes. Les enseignants se sont ainsi sentis dépossédés d’une tâche centrale dans leur métier : l’évaluation. Comme nous les verrons lors de nos analyses, le débat est loin d’être clos et suscite la controverse, voire exacerbe le sentiment de « malaise » que l’on prête parfois à ce corps de métier.

Enfin, notons, qu’en parallèle, d’autres réformes sont venues compléter celles initiées par les décrets précités. Nous pourrions notamment citer les politiques de réduction des inégalités dans le système scolaire, désignées communément sous l’appellation « Discriminations positives », la réforme des missions de l’inspection ou encore les politiques de formation continue des enseignants49. Ces différentes réformes sont intervenues dans la continuité du décret « Missions », conférant à la fois des moyens pour parvenir aux objectifs fixés tout en dotant le système éducatif d’outils de pilotage et d’un cadre pour assurer la cohérence au sein d’un système fortement morcelé.