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Chapitre 2 : Le travail enseignant en Communauté française

1. Un métier construit socialement et politiquement

qu’il pouvait être il y a quelques siècles. Si donner cours reste le cœur du métier, d’autres tâches et fonctions sont venues le compléter tandis que d’autres ont disparu. Au fil de l’Histoire, l’enseignement a toujours entretenu des rapports plus ou moins complexes et déclarés entre volonté politique, philosophique et une volonté d’émancipation sociale (Geay, 1999). La Belgique ne fait pas exception à la règle, que du contraire. Le clivage entre enseignement public et religieux est consubstantiel à l’évolution du métier.

1.1. Du maître à l’instituteur, une évolution des missions et des tâches de

l’enseignant

Lorsque la Belgique prend son indépendance en 1830, le système éducatif se construit sur base des modèles précédents. Les influences françaises et hollandaises sont donc indéniables, bien qu’elles soient adaptées à la particularité du nouveau pays qui se crée. L’influence ecclésiastique est elle aussi prégnante et influence notablement le métier d’enseignant et les missions qui lui sont confiées.

La première mission de l’enseignant est d’abord l’instruction50. Les compétences attendues ne sont pas différentes de celles du passé : l’enseignement primaire doit apprendre à lire et écrire, à calculer en ce compris à savoir utiliser le système métrique, savoir essentiel dans une société encore largement paysanne.

Bien que des écoles normales aient vu le jour sous le régime hollandais, le système éducatif compte encore nombre d’enseignants non-formés. Il faut attendre 1842 pour que les lois organiques imposent une formation spécifique pour devenir enseignant et surtout, pour pouvoir être nommé dans l’enseignement communal. Toutefois, la mise en application de cette loi prendra du temps. A titre d’illustration, nous noterons ainsi qu’en 1860, seulement 22% des instituteurs étaient formés ; ce taux atteignant 87% en 1911. Il est, par ailleurs, important de souligner que les non diplômés étaient essentiellement des religieux qui officiaient dans l’enseignement catholique.

La formation d’un instituteur débute à seize ans, au terme des études « moyennes ». Cette formation s’inscrit dans un processus curriculaire très proche de celui des « humanités anciennes ». Seules les langues anciennes (grec et latin) sont remplacées au profit de cours de psychologie et de pédagogie. Cette configuration se maintiendra jusque dans le milieu du XXe siècle.

Certains ouvrages, tel que « Le Précis de méthodologie et d’organisation scolaire » (1928), de M. De Winter, directeur d’une école normale, dessinent clairement les contours du travail enseignant. Les rôles et les tâches de l’enseignant sont aussi largement précisés par Bernard Overberg, dont les ouvrages semblent constituer une référence pour clarifier les missions de l’enseignant. Les tâches ainsi prescrites précisent que l’enseignant devra être présent à l’école « pendant six heures au moins », qu’il devra « dispenser un grand nombre de matières diverses, être constamment attentif à ce qu’il fait et à ce que font les élèves, conduire la classe ou surveiller les difficultés qui se présentent et se livrer à des occupations manuelles ». Les prescrits d’Overberg ne se limitent pas au travail face aux élèves tant il dresse une liste des tâches de l’enseignant après les heures de classe : « corriger les devoirs et les cahiers, préparer les leçons, s’occuper de la tenue des registres scolaires, confectionner du matériel didactique, développer son instruction, songer aux questions scolaires, les étudier et essayer de les résoudre ». Dans cette première moitié du XXe siècle,

50 En certains points, cette conception ne diffère pas de celle de la France et s’inscrit dans la ligne de pensée de

Condorcet dans laquelle l’instruction va tenter de réduire les inégalités (Geay, 1999). Toutefois, on ne peut exclure, parallèlement, une vision utilitariste de l’instruction, les contenus étant largement orientés vers des savoirs nécessaires pour effectuer les tâches propres au monde agricole (peser, mesurer, …)

Chapitre 2 : Le travail enseignant en Communauté française l’instituteur n’est donc pas un simple exécutant. Il se doit d’être également un « praticien réflexif » qui veillera à interroger le contexte scolaire et ses faiblesses, à y remédier tant que possible tout en veillant à sa propre formation continue. En bien des aspects, les tâches alors attribuées à l’enseignant sont encore largement d’application actuellement.

Toutefois, à ces tâches viennent se greffer des attitudes et des postures que l’on exige de l’enseignant. Evoquant que ce dernier se doit de « faire preuve d’une haute culture morale », les recommandations de l’époque évoquent que « le maître développe autant que possible son goût pour le beau, (…) fait preuve d’économie (sans pour autant que cela ne se confonde avec de l’avarice), évite les endroits bruyants, n’attire pas inutilement l’attention sur lui, ne fait pas de politique active »51.

Au fil du temps et des besoins de la société, les tâches de l’enseignant peuvent évoluer pour répondre à des besoins précis. Ainsi, à la fin du XIXe siècle, les instituteurs sont-ils chargés de trois missions considérées, à l’époque, comme essentielles : la lutte contre l’alcoolisme, pour l’hygiène et pour l’épargne. Si les deux premières tâches seront, par la suite, partagées avec l’inspection médicale scolaire dans un premier temps, avec les centres PMS dans un second, on notera que l’épargne constituera une tâche de l’enseignant jusque dans les années 80. Le travail de l’enseignant se fonde donc, en partie au moins, avec sa propre individualité. Etre enseignant ne se cantonne donc pas aux tâches d’instruction. Travailler comme enseignant associe la vie de l’individu avec les fonctions qui lui incombent. On notera, par ailleurs, que le travail y est décrit dans une perspective individualiste. Nulle mention n’est faite de collaboration avec les collègues, encore moins de concertation entre les enseignants d’une même école. Il faudra attendre les années 90 pour que s’institutionnalisent ces pratiques et les voir officiellement attachées au métier d’enseignant.

Pendant près de 150 ans, le travail enseignant s’est donc concentré autour de tâches d’instruction52. L’histoire du métier n’est pas anodine et a servi de pilier aux tâches actuelles de l’enseignant. Le travail enseignant s’est construit tant sur son histoire que sur les réformes qui ont été initiées ces dernières décennies.

1.2. De l’instituteur au praticien réflexif, un changement de posture

A partir de 1974, et jusqu’en 1996, les futurs instituteurs suivent une formation de trois ans, dispensée par les Instituts d’enseignement supérieur pédagogique. Cette formation s’organisait autour de trois axes : une formation générale, une formation didactique et pédagogique et des stages. Le modèle curriculaire de l’époque reproduit et illustre les tâches auxquelles les instituteurs seront confrontées : préparer les cours et enseigner. En ce sens, il ne diffère que fort peu du travail enseignant tel qu’il a été exercé depuis la révolution belge.

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Nous pourrions poursuivre la liste en évoquant, par ailleurs, une série de recommandations publiées en 1886 dans la revue pédagogique « L’Observateur » qui développent des conseils sur les voyages de l’enseignant, son mariage, son domicile ou encore ses loisirs.

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Nous noterons, par ailleurs, l’attachement à l’appellation « instruction publique » encore usitée de nos jours pour désigner les échevinats responsables de ce service dans les communes.

Les tâches qui incombent à l’enseignant restent similaires jusque dans les années 90. On observe toutefois des changements notables dans les pratiques pédagogiques où, sous l’impulsion des idées et conceptions portées en 1968, l’enfant prend une place plus centrale dans les apprentissages. Toutefois, ce sont les pratiques qui diffèrent ; le travail prescrit tendant à garder la même ligne que précédemment.

Les réformes structurelles de la fin des années 90 et du début des années 2000 vont profondément modifier le travail enseignant ; la mise en place du décret « Missions » et l’introduction du principe de compétences apportant certaines mutations dans le travail des enseignants.

En instaurant un curriculum pour chaque cycle sous forme de compétences à atteindre, le décret Missions modifie en profondeur le mode de travail des enseignants. Il ne s’agit plus de travailler, seul, dans sa classe mais bien en cycle afin de respecter la logique d’acquisition de compétences au sein d’un continuum pédagogique. Le décret Missions instaure donc, de façon officielle, la nécessité de concertation entre les enseignants. Tentant d’uniformiser certaines pratiques dans un système éducatif hautement décentralisé, ce texte de loi introduit aussi le principe d’externalisation des évaluations. L’enseignant n’est plus totalement « maître » de ses décisions. Il doit se référer à certaines évaluations externes, qu’elles soient certificatives ou non, mais doit aussi pouvoir justifier objectivement ses décisions, le décret ayant instauré un système de recours.

Le paradigme de l’enseignant devenant un « praticien réflexif » s’est imposé, en une vingtaine d’années, comme un élément incontournable du métier d’enseignant53. Ce dernier, pour faire face aux changements sociétaux, devrait être « capable de s’adapter à toutes les situations d’enseignement par l’analyse de ses propres pratiques et de leurs résultats. » (Maroy, 2001). En s’en tenant aux textes qui régissent le métier d’enseignant, il n’est pas directement fait état de cette injonction, l’enseignant étant invité à effectuer ses tâches avec conscience, zèle et exactitude. Par contre, lorsqu’on se penche sur le « Décret définissant la formation initiale des instituteurs et des régents » (2001), force est de constater que l’image du « praticien réflexif » apparait clairement comme une prescription, le texte indiquant que l’enseignant doit pouvoir « porter un regard réflexif sur sa pratique et organiser sa formation continuée ».

1.3. Un métier empreint de règles éthiques et morales

Comme le montre l’histoire du métier, être enseignant a, longtemps, été assorti de règles strictes, relatives à l’ordre moral et à la bienséance. Si celles-ci se sont assouplies au fil du temps, s’adaptant à l’évolution de la société, elles sont loin d’avoir disparu. Bien que le métier ne dispose pas d’un code déontologique qui lui soit propre, une série de règles, de circulaires et de décrets définissent les devoirs des enseignants.

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Comme Voz & Cornet (2010), nous estimons que cette injonction apparaît complexe voire contradictoire, le fait de « devenir » un praticien réflexif sous-entendrait que l’enseignant ne réfléchissait pas, auparavant, à sa pratique ce qui nous semble, à la fois, réducteur et erroné.

Chapitre 2 : Le travail enseignant en Communauté française Bien que les statuts divergent d’un réseau à l’autre, certains fondements sont identiques à quelque niveau que ce soit dans le système éducatif. Ainsi, sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons citer les obligations suivantes :

 D’avoir le souci constant des intérêts de l'enseignement où ils exercent leurs fonctions.  D’accomplir personnellement et consciencieusement les obligations qui leur sont

imposées.

 D’accomplir leur tâche avec zèle et exactitude et d’exécuter leur travail avec soin, probité et conscience au lieu, au temps et dans les conditions convenus.

 Se tenir à la correction la plus stricte tant dans leurs rapports de services que dans leurs rapports avec les élèves, leurs parents et le public.

 De s'entraider dans la mesure où l'exige l'intérêt de l'établissement.

 D’éviter tout ce qui pourrait compromettre l'honneur ou la dignité de leur fonction.  De s’abstenir de propagande politique ou commerciale.

En outre, ils ne peuvent révéler les faits dont ils auraient eu connaissance en raison de leurs fonctions et qui auraient un caractère secret ; ni solliciter, exiger ou recevoir directement ou par personne interposée, même en dehors de leurs fonctions, mais à raison de celles-ci, des dons, cadeaux, gratifications ou avantages quelconques54.

S’il est un point de clivage entre les réseaux, c’est certainement dans le principe de neutralité qui est appliqué dans l’enseignement officiel et absent de l’enseignement libre confessionnel, totalement incompatible avec le caractère confessionnel de ces écoles55. Deux décrets « Neutralité »56 régissent ce principe qui invite, entre autres, les enseignants à :  Exposer et commenter les faits avec la plus grande objectivité possible, de rechercher la

vérité avec une constante honnêteté intellectuelle,

 Accepter la diversité des idées, de développer l'esprit de tolérance et de préparer l’élève à son rôle de citoyen responsable dans une société pluraliste,

 Eduquer les élèves au respect des libertés et des droits fondamentaux tels que définis par la Constitution, la Déclaration universelle des droits de l'homme et les Conventions internationales relatives aux droits de l'homme et de l'enfant.

Comme nous pouvons le voir, ces premiers principes rejoignent les objectifs prioritaires du décret « Missions ». Dès lors, ces principes se voient appliqués dans l’ensemble du système éducatif et ce, quel que soit le réseau alors que les membres du personnel de l’enseignement libre confessionnel n’y sont pas astreints.

54 On notera que ce dernier point est loin d’être appliqué stricto sensu, surtout dans l’enseignement

fondamental, où la coutume et les habitudes tendent à prendre le pas sur la loi.

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Notons que l’enseignement libre non confessionnel subventionné est libre d’adhérer au principe de la neutralité bien qu’aucun décret spécifique n’ait été établi. Dès lors, c’est sur base de l’article 24 de la Constitution que s’établit cette neutralité.

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L’un pour l’enseignement organisé par la Communauté française (1994), le second organisant la neutralité inhérente à l’enseignement officiel subventionné (2003).

Pour les membres de l’enseignement officiel, le principe de neutralité s’étend et rejoint, en grande part, le principe de laïcité appliqué au système éducatif français. Ainsi, les enseignants doivent57 :

 s'abstenir, devant les élèves, de toute attitude et de tout propos partisans dans les problèmes idéologiques, moraux ou sociaux, qui sont d'actualité et divisent l'opinion publique ;

 refuser de témoigner en faveur d'un système philosophique ou politique, quel qu'il soit ;  s'abstenir de témoigner en faveur d'un système religieux, en dehors des cours de

religions reconnues et de morale inspirée par ces religions ;

 veiller à ce que sous son autorité ne se développe ni le prosélytisme religieux ou philosophique, ni le militantisme politique organisés par ou pour les élèves.

L’introduction de ces décrets s’est assortie de l’adjonction d’une formation à la neutralité, à raison de 20 heures, dans la formation initiale des enseignants.

Les enseignants du libre confessionnel catholique sont invités, quant à eux, à adhérer au projet éducatif de leur réseau, repris dans les « Missions de l’école chrétienne »58. L’enseignement libre non-confessionnel se réfère au projet éducatif de la FELSI, dont les objectifs sont très proches de ceux du décret « Missions »59.

Bien que les prescriptions aient évolué au fil du temps, il convient aussi de prendre en compte la perception sociétale du métier d’enseignant. Que ce soit dans le chef des enseignants eux-mêmes ou dans la vision, plus générale, de la société, enseigner en primaire renvoie souvent à l’image d’Epinal de l’instituteur de campagne décrit plus avant. Le métier est parfois assimilé à une vision mythique, désuète parfois, mais qui reste très prégnante. Cette dichotomie est, par ailleurs, un facteur d’incompréhension, de frustration voire d’abandon du métier pour certains enseignants.

2. Le travail enseignant au quotidien, des faisceaux de