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et outil d’expression

2.2. Un moyen d’expression

Le cinéma, qu’il soit de « consommation courante »90, «

représentatif-narratif-industriel »91, expérimental, politique, engagé ou militant, exprime toujours une volonté

de son créateur. Ce dernier s’exprime à une époque, dans une société donnée, dans un contexte politique définissable. Son film et sa volonté sont classifiables en fonction de ces critères. Consciemment ou non, son film est l’expression de son engagement, même minimal, à représenter le monde en mettant en scène l’univers qui l’entoure.

2.2.1. Cinéma et société

Le système dans lequel le film d’un cinéaste est produit, les différents intervenants qui agissent sur la création de son œuvre, sa réflexion sur les moyens et les mécanismes appropriés à la réalisation ainsi que la réception en salles montrent « la capacité du film

à être un "signe" de la réalité au sein de laquelle il prend corps »92. Un film de série B,

par exemple, est un portrait de la société dans laquelle il est produit. Il est de fait un

« témoignage social »93, comme l’indique très justement le théoricien du cinéma

Siegfried Kracauer, puisqu’il est toujours le résultat de l’action d’un ou de plusieurs individus. Marc Ferro a déterminé quatre manières dont le cinéma se fait témoignage d’une société.

La première est circonscrite par les contenus d’un film et leur représentation : ces dernières sont préparées de sorte qu’elles « […] nous suggèrent ce qu'une société pense d'elle-même, de son passé, des autres, etc. La suggestion peut être positive : la représentation concrétise la manière dont la société se voit. Mais la suggestion peut être aussi négative : puisque la représentation contient souvent des incohérences et des

90 JOST François. Vers de nouvelles approches méthodologiques. Cinéma de la modernité : film, théories / dir. Dominique CHATEAU, André GARDIES, François JOST. 1ère éd. Paris : Klincksieck, 1981, p. 24.

91 Ibid, p. 26

92 CASETTI Francesco. Les théories du cinéma depuis 1945. 1ère éd. Paris : Nathan, Armand Colin Cinéma, Paris, 1999, p. 125 93 Ibid, p. 141

lapsus, elle montre aussi ce qu'une société sait sans vouloir le confesser ; la partie

latente, si l'on veut »94.

La seconde manière dont un film peut témoigner d’une réalité sociale apparaît dans son style. Le style, selon Olivier Revault D’Allonnes, concerne « les moyens de l'art. Il est

l'unité, si possible énoncée en règle, d'une certaine manière de faire »95. Autrement dit

« On se réfère alors principalement aux techniques particulières employées par une même personne et aux façons caractéristiques dont elles entrent en rapport au sein de

son œuvre »96. Marc Ferro prend l’exemple du film de propagande nazie Jud Süss

(1940) de Veit Harlan. Le réalisateur soigne son utilisation « des fondus enchaînés pour passer du château au ghetto, du costume traditionnel du protagoniste à son costume plus moderne, de l'or aux ballerines. Ces glissements révèlent parfaitement certaines obsessions nazies, telle l'idée que le juif change de visage mais pas de nature, ou que

son argent introduit le vice »97.

La troisième manière par laquelle un film se révèle d’une société est l’impact qu’il peut avoir sur le public de cette société : « Les possibilités d'intervention sont nombreuses, et souvent contradictoires : la mobilisation des masses, l'endoctrinement, la contre-information, etc. ; reste le fait que l'image, en plus d'être un miroir, est aussi une

arme »98.

Enfin, la quatrième manière mise en évidence par Ferro est le rôle de témoin qu’endosse un film, selon la lecture que le spectateur ou le théoricien en fait. « Chaque société interprète les textes à sa manière : elle y saisit certains aspects et pas d'autres, elle y

entrevoit certaines invitations et pas d'autres. »99

Les points développés ci-dessus sont très clairement assimilés par de nombreux individus : cinéastes, cinéphiles, politiciens ou simples spectateurs. Si un film est un indicateur d’une société, quels sens et quelles indications les créateurs d’un film peuvent insérer volontairement dans ce dernier ? Cet enjeu nous semble capital.

94 Ibid, p. 145

95 REVAULT D’ALLONES Olivier. La création artistique et les promesses de la liberté. 1ère ed. Paris : Klincksieck, 1973, p. 83 96 BORDWELL David, THOMPSON Kristin. L'Art du film, Une introduction. 1ère éd. Bruxelles : De Boeck Université, 2000, p. 433 97 Cité in CASETTI Francesco. Les théories du cinéma depuis 1945. 1ère éd. Paris : Nathan, Armand Colin Cinéma, Paris, 1999, p. 145

98 Ibid. 99 Ibid.

2.2.2. Cinéma engagé et cinéma militant

Selon nous, la différence entre un cinéma engagé et un cinéma militant est ténue. Mais les deux notions circulant, nous allons tenter de les expliquer.

Un cinéma engagé n’est pas nécessairement militant, mais un cinéma militant nous paraît fondamentalement engagé. L’engagement pour une cause n’est pas fatalement lié à l’adhésion à un parti, ce qu’à l’inverse le militantisme tend à indiquer. Le cinéma militant est donc un cinéma engagé qui suit la ligne d’une organisation politique (parti, syndicat, association, etc.), qui est fait pour elle et qui s’en fait le porte-parole. Ça

commence aujourd’hui (1999) de Bertrand Tavernier est un film engagé, car il

questionne le rôle de l’enseignement et les limites de ce métier dans le cadre d’une classe d’école primaire de la province française. La Marseillaise (1938) de Jean Renoir, au contraire, est selon nous un film militant puisqu’il est financé par la CGT, qu’une partie de l’équipe du film est issue des rangs de la CGT et que Jean Renoir réalise ce film pour le Front Populaire. Il aborde la force du rassemblement du peuple, symbolisé par l’hymne national entonné en chœur pour faire basculer un État royaliste.

Ces définitions préliminaires posées, rentrons dans le détail de l’engagement au cinéma, commun aux deux notions. L’engagement, selon Jean-Paul Sartre, est à la fois une responsabilité et la source de la grandeur humaine : « On ne fait pas ce qu'on veut et

cependant on est responsable de ce qu'on est : voilà le fait »100. Mais le philosophe

englobe dans cette idée de l’engagement le rôle des écrivains : « L'engagement […] à communiquer l'incommunicable (l'être-dans-le-monde vécu) en exploitant la part de désinformation contenue dans la langue commune, et à maintenir la tension entre le tout et la partie, la totalité et la totalisation, le monde et l'être-dans-le-monde comme sens de son œuvre. Il est dans son métier même aux prises avec la contradiction de la

particularité et de l'universel »101. Ces deux citations exposent toutes les difficultés, pour

un auteur de livre ou un auteur de film, à s’engager. Car les outils dont ils disposent pour témoigner et signifier leur engagement sont les mêmes que ceux qui peuvent servir aux discours dominants dont ils voudraient se séparer pour mieux les dénoncer.

100 Extrait de la « Présentation des Temps Modernes » de Jean-Paul Sartre in JEANCOLAS Jean-Pierre. Colonisation et engagement (ou défaut d'engagement) du cinéma français, 1945-1965. Cinéma et Engagement / dir. Graeme HAYES, Martin O'SHAUGHNESSY. 1ère éd. Paris : L'Harmattan, 2005, p. 21

L’auteur ne peut totalement s’extirper du monde dans lequel il vit et qu’il veut condamner. L’équilibre est donc fragile et hasardeux pour celui qui veut s’engager. Borenstein spécifie l’engagement au cinéma de la façon suivante : « procès d'un système politique qu'il dénonce, démystifie et, condamne […] qui oppose le bien et le

mal, la liberté et la répression (et) est très proche du point de vue du réalisateur »102.

Enfin, pour la revue anglaise Screen (proche du New Cinema anglo-saxon des années 1960), l’engagement est « la volonté de crier sa colère [...] et [...] ce qui réunit témoignage personnel et recherche formelle, pratique artistique et pratique

politique »103.

Alors pour s’écarter le plus nettement du système dominant, le cinéma engagé a d’autres conditions d’existence et prend d’autres formes que le cinéma industriel classique. Ces conditions ne peuvent être celles du système des studios, où le processus de production long, réglé, prédéfini, ne sied pas à l’énergie et à la passion nécessaires à la réalisation d’un film engagé. « Urgence, terrain, observation, émotion, spontanéité,

authenticité »104 sont autant de critères que le réalisateur engagé peut mettre en pratique

pour s’éloigner des carcans. Les formes sont remises en question afin d’éviter toute ambiguïté et ambivalence. Le cinéma engagé ne peut pas s’ancrer de ce fait dans un genre existant. En tout cas, il ne peut simplement se réaliser avec les codes et les conventions d’un genre du cinéma dominant. Car les genres que nous avons présentés plus haut sont le produit d’une société qui se trouve contestée par le film engagé. Il ne peut, par conséquent, employer les moyens et les mécanismes propres au système qu’il conteste. Les futuristes, les lettristes et les situationnistes sont de parfaites illustrations de cette recherche de nouvelles formes en rupture avec le modèle principal.

Vladimir Maïaskovki, poète futuriste russe, explique que « Pour vous [le public], le cinéma est un spectacle. Pour moi […] le cinéma est diffuseur d'idées. […] le futurisme doit faire évaporer l'eau stagnante de la lenteur et de la morale. Sinon, nous aurons ou bien les claquettes importées d'Amérique, ou bien les éternels yeux larmoyants de

102 Cité in VANDERSCHELDEN Isabelle. Les urgences de Bertrand Tavernier, cinéastes, militant et « emmerdeur ». Cinéma et

Engagement / dir. Graeme HAYES, Martin O'SHAUGHNESSY. 1ère éd. Paris : L'Harmattan, 2005, p. 303

103 CASETTI Francesco. Les théories du cinéma depuis 1945. 1ère éd. Paris : Nathan, Armand Colin Cinéma, Paris, 1999, p. 221 104 VANDERSCHELDEN Isabelle. Les urgences de Bertrand Tavernier, cinéastes, militant et « emmerdeur ». Cinéma et

Mosjoukine. De ces deux choses, la première nous ennuie. La seconde encore plus »105. Le cinéma devient en effet pour les futuristes un moyen de lutter contre les formes cinématographiques hollywoodiennes. Il doit s’affranchir « d'un ordre bourgeois par les nouvelles techniques. Il fera partie de cette vision futuriste d'une société libérée des contraintes de l'esthétique et des valeurs morales, dans la lignée de l'avant-garde artistique. Ces idées seront reprises et amplifiées dans le Kino Pravda, le cinéma-vérité

soviétique »106. Le cinéma-vérité a pour théoricien Dziga Vertov, que nous avons

évoqué dans une partie précédente. Il affirme « dans le dernier numéro de Kino-phot que l'art du cinéma du futur sera la négation du cinéma d'aujourd'hui, que la mort de la

cinématographie est indispensable pour que vive l'art du cinéma »107.

Les lettristes sont influencés par les thèses du cinéma-vérité soviétique. Créé en 1945 en France par Isidore Isou, le mouvement lettriste rend sur le cinéma de l’époque un jugement sans appel : « le cinéma contemporain est incapable de se redéfinir, puisqu'il reste prisonnier d'une problématique bourgeoise, celle d'un art passif, incapable d'aller

au-delà de sa fonction sociale de divertissement »108. L’objectif des lettristes est de

rompre totalement avec l’industrie du cinéma. De leur point de vue, le cinéma n’est pas ce que la « qualité française », le « réalisme poétique français » ou les genres hollywoodiens veulent faire croire au public des années 1940.

Leurs successeurs, les situationnistes menés par Guy Debord, ne sont dans un premier temps pas plus tendres avec l’industrie du cinéma. Ils considèrent comme leurs prédécesseurs que le cinéma « […] même dans ses expressions les plus admirables […] était inévitablement et profondément compromis par son existence dans le contexte

socio-économique qui était le sien »109. La prudence est le maître mot. Le cinéma est

une arme qu’il faut savoir utiliser à bon escient et les situationnistes ne peuvent pas se satisfaire d’un équilibre entre codes hollywoodiens et formes innovantes. « L'originalité du cinéma qu'ils ont consenti de faire […] tient […] dans sa double filiation : dans un premier temps, par son appartenance à l'avant-garde artistique, il est critique formel

105 TARDI Yvan .Le cinéma révolutionnaire : Lettristes, Situationnistes et cinéma. Cinéma et Engagement / dir. Graeme HAYES, Martin O'SHAUGHNESSY. 1ère éd. Paris : L'Harmattan, 2005, p. 51

106 Ibid. 107 Ibid. 108 Ibid, p. 53

109 Cité in TARDI Yvan .Le cinéma révolutionnaire : Lettristes, Situationnistes et cinéma. Cinéma et Engagement / dir. Graeme HAYES, Martin O'SHAUGHNESSY. 1ère éd. Paris : L'Harmattan, 2005, p. 49

(jusqu'à l'autodestruction) du 7e art ; dans un deuxième temps, il devient signature des situationnistes et art de Guy Debord, à la fois instrument de subversion et dénonciation

du Spectacle. »110 Guy Debord réalise quelques films et rend célèbre la notion de

détournement. Il utilise des extraits de séquences de films connus. Dans son film La

société du spectacle (deuxième version, 1973), il reprend La Charge fantastique (1941)

de Raoul Walsh, Rio Grande (1951) de John Ford, ou encore Monsieur Arkadin –

Dossier secret (1955) d’Orson Welles. Les images des films sont accompagnées d’une

voix off explicative. Elle contribue au détournement du sens premier porté par ces images. D’autre part, en les arrachant à leur unité et à la cohérence qu’elles détenaient au sein de leur film d’origine, Guy Debord ne crée pas de nouvelles formes ou de nouveaux codes, mais les critique ouvertement. Cette méthode vise à mettre en lumière les failles d’un système considéré comme manipulateur : « Il a aussi mis en valeur les limitations de ses pouvoirs de persuasion et mis en garde contre les risques d'un cinéma de divertissement, règne de l'image, des effets spéciaux, soumis aux contraintes du marketing, un cinéma parfaitement à l'aise dans une civilisation de l'image. Le dernier sous-titre du dernier film de Debord "À reprendre depuis le début" n'est-il pas une invitation à toujours s'interroger sur la vraie nature du cinéma et sur la portée de son

engagement politique ? »111.

L’engagement est donc politique. Il existe des catégorisations de cinéma engagé en fonction de leur degré d’engagement. Frank Garbarz a défini trois catégories de films politiques. Premièrement, « les films du constat représentent la réalité sociale. Ils exposent et dénoncent des pans spécifiques de cette réalité : "ces films font véritablement œuvre sociale en se réappropriant une sphère jusque-là quasi-dévolue au

documentaire" »112. Deuxièmement, « les films signaux d'alarme exposent un problème

spécifique et permettent aux cinéastes de s'exprimer ouvertement : "témoins de la désagrégation du lien social, du risque qu'implique la déconnexion d'une vie ritualisée par le travail, les cinéastes ne se contentent pas d'enregistrer le réel, mais s'engagent et

110 Ibid, p. 49 111 Ibid, p. 63

112 Cité in GRANDENA Florian. Le retour du politique et les critiques. Cinéma et Engagement / dir. Graeme HAYES, Martin O'SHAUGHNESSY. Nombre édition. Paris : L'Harmattan, 2005, p. 315

font œuvre politique" »113. Enfin, troisièmement, « les films de la solidarité sont humanistes et font preuve d'une tendance progressiste ainsi que de foi envers la race humaine : "ces films sont porteurs d'un nouvel espoir qui signifie, en dépit d'une société gravement malade, que tout n'est pas perdu tant que les hommes manifestent leur désir

de parler et de partager leurs souffrances" »114.

Ce type de cinéma ne peut donc exister artistiquement, politiquement et économiquement qu’en-dehors du système dominant dans ce que l’on appelle le « cinéma indépendant ». Mais l’indépendance a un prix. Les distributeurs sont moins nombreux et moins puissants, les réseaux de salles de cinéma ou les moyens alternatifs sont confidentiels, la place réservée à la communication et à la critique de ces films est souvent infime. Le cinéma indépendant est un système différent structuré en groupes, tissé de réseaux parallèles. Ce que cherchent ou défendent les cinéastes indépendants, c’est le traitement « de sujets ignorés par les grandes productions des studios : ces derniers se seraient sans doute peu engagés pour Matewan (John Sayles, 1987) et pas du

tout pour Stranger in paradise (Jim Jarmush, 1984) »115. De plus, ces cinéastes n’ont

pas de gros budgets pour réaliser leurs films et donc ils n’ont « pas besoin d'un public

important pour être rentabilisés »116. En effet, l’aspect de rentabilité n’est pas prioritaire

dans un film engagé. L’objectif premier n’est pas le gain, mais la transmission d’un message, d’un discours, par l’utilisation de formes cinématographiques novatrices pour le véhiculer. Le film d’un cinéaste indépendant peut alors devenir « plus personnel, plus inattendu et parfois plus polémique. Le réalisateur n'a pas besoin d'ajuster son scénario au "patron" hollywoodien. Il peut même ne pas avoir de scénario. C'est ce qui permet souvent à la réalisation indépendante d'explorer de nouvelles possibilités de l'expression

cinématographique »117.

113 Ibid. 114 Ibid.

115 BORDWELL David, THOMPSON Kristin. L'Art du film, Une introduction. 1ère éd. Bruxelles : De Boeck Université, 2000, p. 47 116 Ibid.

2.2.3. Les dangers et les limites

Toutefois, le cinéma dit « de consommation courante » peut porter le masque de l’engagement. Certains films font l’objet de cette critique. Ils tendent à dénoncer un système dont ils sont le produit typique. Le système dominant doit montrer ou faire croire qu’il s’autocritique (tout en gardant le contrôle) et le manifester dans sa production. Ce qui est peut-être compris comme un simulacre d’autocritique s’illustre dans le film Fight Club (1999) de David Fincher. Le film, à première vue, semble violemment condamner la société de consommation et émettre une position radicale : l’instauration du chaos pour venir à bout d’un système économique fou, qui ne pourra s’arrêter qu’en faisant table rase du passé. Cependant, prenons le temps d’examiner les conditions de production du film. Le réalisateur, David Fincher, est un réalisateur de publicité (Nike) et spécialiste des effets spéciaux − il a travaillé sur la saga Star Wars (1977-1983) de Georges Lucas ; les deux acteurs principaux, Brad Pitt et Edward Norton, sont considérés comme des « sex-symbols » par les magazines « people » à travers le monde et font partie des acteurs les plus « bankables » (rentables) d’Hollywood. En outre, le film est produit par la Major Twentieth Century Fox. Pour toutes ces raisons, l’engagement du film tend à se muer en masque d’engagement. Le film « joue » l’engagement et joue avec la notion d’engagement. Par conséquent, des commentateurs ont considéré ce film comme l’archétype du cynisme hollywoodien, qui fait d’une critique contre le système de consommation un argument de marketing pour un produit de consommation destiné à être vendu dans les mêmes conditions que les autres. Dès lors, plus nocif que le cinéma commercial « le mauvais objet de ce schéma était la "fiction de gauche", c'est-à-dire le film qui, tout en semblant adopter une posture oppositionnelle, épousait les formes conventionnelles du cinéma commercial et trahissait un contenu politique au départ timide. [...] Au lieu d'être renvoyé à la situation extra-filmique et à la réflexion, le spectateur du film était absorbé par l'illusion narrative et l'affectivité du drame. [...] Il nous oblige à nous poser la question essentielle pour un

cinéma qui se dit engagé de l'adéquation des formes choisies aux buts fixés »118.

Une seconde critique est faite, celle-ci directement aux cinéastes et aux films se revendiquant, par leurs sujets et leurs conditions d’existence, du cinéma engagé.

Johanna Siméant et Sylvie Agard formulent cette critique à l’occasion de l’analyse d’un cas français. Dans la fin des années 1990, des « sans-papiers » sont menacés et seront expulsés de l’église Saint-Bernard à Paris. Le cinéma, par la voix de certains réalisateurs (Lucas Belvaux, Catherine Corsini, Claire Devers, Philippe Faucon, etc.) s’engage auprès d’eux pour résister à la pression exercée par le gouvernement français de l’époque, le gouvernement de Lionel Jospin. Ils produisent un court-métrage collectif de trois minutes où « Madjiguène Cissé, la porte-parole des sans-papiers de Saint-Bernard, en un unique gros plan, face à la caméra, adresse directement aux spectateurs un long plaidoyer en faveur des sans-papiers, qui est aussi un appel à soutien pour

obtenir la régularisation »119. En se fondant sur cet événement, Sylvie Agard juge que

les immigrés sont plus souvent utilisés qu’ils ne s’expriment réellement. Johanna