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1 ère Partie : Le cinéma : art ou industrie

1. L’industrie du divertissement et du plaisir

1.2. Un cinéma commercial : l’offre et la demande

Le spectateur ne doit pas être seul dans une salle. Le plaisir individuel doit être multiplié par le nombre d’individus pouvant entrer dans une salle de cinéma à chaque séance de projection du film pour assurer son succès au box-office et sa profitabilité. Les industriels du cinéma ont donc mis en application les principes de la rationalité

marchande de l’économie libérale30.

1.2.1. Le marché

Dans un premier temps, dans le cadre d’une définition industrielle du cinéma, nous pouvons parler de marché, car il existe bien une offre cinématographique et une demande du public. Nous souscrivons dès lors à la définition de marché que propose Laurent Creton, « un lieu physique dans certains cas, mais surtout un lieu abstrait dans le cadre duquel sont atteints des points d'équilibre, en déterminant les quantités échangées et les prix de cession. Le prix est non seulement une information sur l'état du marché, mais encore une variable qui rétroagit sur lui. Les acteurs du marché le prennent en effet en compte dans leurs processus de décision d'achat ou de vente, mais

30 CAUNE Jean. La démocratisation culturelle, Une médiation à bout de souffle. 1ère éd. Grenoble : Presses universitaires de Grenoble, 2006, p. 85

aussi d'investissement »31. Nous continuerons à nous intéresser à un lieu physique, la salle de cinéma, malgré l’extension du marché vers des sphères immatérielles − la vidéo à la demande par exemple. Notre marché sera le marché de la salle. Il reste primordial, même s’il n’est plus comme autrefois l’unique lieu de retour sur investissement des

producteurs. La salle de cinéma reste encore la « rampe de lancement »32 de nombreux

longs-métrages de fiction. C’est un endroit indispensable pour légitimer l’appartenance du film à la catégorie du « grand cinéma », le cinéma de salle. Il est important de souligner cette particularité. En effet, un certain nombre de films ne sortent pas en

salles ; on les classe dans des catégories telles que « Direct to video »33 ou « No

theatrical release »34 pour les films ne bénéficiant que d’une sortie en DVD ou destinés

à la télévision. On observe donc, selon la sortie ou non du film en salles, une véritable segmentation que l’on peut retrouver dans la distinction entre films de série A et films

de série B, inventée par les studios hollywoodiens dans la première moitié du XXe

siècle. Les films de série A avaient un plus gros budget que les films de série B, sans qu’ils soient pour autant moins profitables économiquement. La salle reste un lieu de distribution de films ultra-concurrentiels. L’offre de films est très variée en termes de quantité et de qualité. De plus, la programmation des films évolue très rapidement et certains films ne peuvent rester que quelques jours à l’affiche. Ce marché est donc extrêmement rude et « illustre particulièrement bien l'existence de cette brutalité, avec la vive concurrence qui existe entre les films, l'incertitude pèse sur la rencontre du

public »35.

31 CRETON Laurent. L'économie du cinéma en 50 fiches. 2e éd. Paris : Armand Colin, 2010, p. 15

32 « La salle de cinéma est en conséquence de plus en plus utilisée comme rampe de lancement et comme vitrine pour une valorisation marchande qui s'effectue pour l'essentiel par ailleurs. » in CRETON Laurent. L'économie du cinéma en 50 fiches. 2e éd. Paris : Armand Colin, 2010, p. 61

33 Il n’existe pas de traduction française. 34 Il n’existe pas de traduction française. 35 Ibid, p. 15

1.2.2. Le marketing

Le marché a-t-il toujours raison ? Un film qui ne reste pas à l’affiche est-il nécessairement un échec qui aurait pu être évité et un film à succès est-il le fruit d’un savant calcul ? Les industriels du secteur qui s’en remettent aux « lois du marché », considérées comme les indicateurs les plus fiables, répondent positivement à ces deux questions. Afin de limiter les risques, ils s’appuient sur le marketing : savoir ce que veut le marché pour le lui proposer. « Le marketing part du marché et de l'analyse des besoins pour remonter vers la définition du produit. On peut le définir comme un ensemble de techniques et de savoir-faire orienté vers la satisfaction des besoins et des désirs, par la création de l'échange concurrentiel de produits et services. Il est couramment utilisé comme moyen d'orienter et de contrôler les marchés, en maîtrisant la combinaison de quatre variables fondamentales : le produit, le prix, la distribution et

la communication. »36 Pour satisfaire les spectateurs et leur offrir ce qu’ils attendent, les

industriels vont à leur rencontre et les invitent à participer à des sessions d’échanges (« focus group » et « projections tests » par exemple) où ils recueillent leurs sentiments, leurs envies, leurs frustrations ou leur colère. Ils veulent cerner le public pour être en mesure de concevoir les films correspondants, selon les résultats de ces études, aux clefs de l’attraction des spectateurs. Une « projection test » réunit un échantillon de personnes censé représenter le public type auquel le film est destiné. Lors de ce test est projetée une première épreuve du film sans les effets spéciaux, ou une version provisoire. Selon les retours du public, invité à donner son avis dans un questionnaire, le film peut être complètement remonté.

1.2.3. Spéculation et prototype

Nous devons constater que, malgré cette prise de contact de l’industrie avec son public, le marketing n’offre pas de méthode infaillible. On rencontre en effet de nombreux exemples de films qui n’auraient pas dû fonctionner en salles, car contraires à ce que le public semblait désirer selon le type d’études décrit plus haut. Ces films furent néanmoins de grands succès. Cela s’explique notamment par une caractéristique propre

à cette industrie, la notion de spéculation dans une économie de prototypes37.

Un film est avant tout un pari. Le terme de « coup », emprunté à l’univers du jeu et employé par les acteurs du secteur cinématographique lorsqu’un film risqué fonctionne, en est l’un des indicateurs. Prenons un exemple précis pour illustrer cette notion de spéculation, Le projet Blair Witch, réalisé par Daniel Myrick et Eduardo Sánchez, sorti en salles en 1999. Ce film est le résultat heureux d’une spéculation. Les réalisateurs font jouer de jeunes acteurs inconnus. Ils leur donnent de petites caméras numériques dont ils récupéreront les rushes pour leur montage. Ils minimisent leur participation en tant que metteurs en scène, laissant une grande part à l’improvisation. Le budget de départ de leur film est de 25 000 dollars et ne dépassera pas 60 000 dollars. Pour réussir leur pari, les deux réalisateurs décident de s’appuyer sur ce qu’il est aujourd’hui coutumier d’appeler un marketing Internet viral. Ils « inondent » Internet (forums, sites, etc.) de fausses déclarations, attisant la curiosité des internautes : des cassettes de rushes d’étudiants en cinéma ont été retrouvées après leur mystérieuse disparition. Ce qui ne portait pas encore le nom de « buzz » se propage sur Internet, jusqu’à l’annonce par les créateurs que ces épreuves font l’objet d’un film qui sera projeté en salles. Les spectateurs s’y précipitent et Le projet Blair Witch devient le film le plus rentable de

l’histoire avec près de 250 millions de dollars de recettes en cumul dans le monde38. Les

créateurs de ce film eurent beaucoup de peine à trouver un distributeur, tant leur approche était originale et innovante. Les studios sont connus pour leur prudence. Mais Artisan Entertainment (sic), petite société de production et de distribution de films

37 « La production cinématographique est marquée par les logiques propres à une économie de prototypes, avec une part élevée des coûts de création et de main-d'œuvre, et un grand aléa structurel. », ibid, p. 74

38 Le projet Blair Witch. The Internet Movie Database [en ligne]. Disponible sur : http://www.imdb.com/title/tt0185937/ [consulté le 10 mai 2010].

appartenant au studio canadien Lions Gate Entertainment, eut raison, au vu des résultats financiers, de porter son choix sur ce prototype de film atypique.

1.2.4. La promotion

Cette stratégie singulière de promotion et de communication autour d’un film a été rendue célèbre grâce aux deux réalisateurs qui l’ont mise au point. Cela nous amène donc naturellement à un aspect essentiel de la commercialisation d’un film, sa promotion : « provenant de la transposition directe de sales promotion : la promotion des ventes, qui désigne l'ensemble des moyens et des méthodes mobilisés pour développer le chiffre d'affaires d'une entreprise. Il ne s'agit pas de promouvoir une

œuvre, mais des ventes »39. Il existe un large panel de moyens et de supports pour

communiquer autour d’un film afin d’en assurer la promotion. La presse est un lieu privilégié, depuis les magazines spécialisés jusqu’aux journaux quotidiens. Les encarts de publicité, les « publi-reportages » sont le fruit de stratégies destinées à promouvoir un film auprès de sa cible. La télévision linéaire classique et la radio classique sont aussi l’objet d’émissions spécifiques, de diffusion de bandes-annonces, etc. Il existe en France des restrictions réglementaires à la promotion du cinéma mais, dans l’ensemble, les films ont une forte exposition. Nous pouvons prolonger la liste des exemples de supports de promotion apparus grâce aux nouveaux médias (sites Internet ad hoc, sites spécialisés, etc.) qui peuvent innover par exemple avec des bandes-annonces interactives.

1.2.5. Le film : un produit de consommation singulier

Le film, nous l’avons vu, est considéré comme un produit à vendre. Mais ce produit général peut englober d’autres produits. Le cinéma commercial prend ainsi une nouvelle dimension : le film n’est plus seulement un produit qui se suffit à lui-même pour le plaisir d’un spectateur, il devient le support d’autres produits de consommation intégrés en son sein. Cette pratique a pour nom le « placement de produits ». Les industriels y

ont recours pour plusieurs raisons. L’aspect financier est important : faire de la publicité pour une boisson gazeuse, une marque d’électroménager ou une voiture est rémunérateur et peut devenir un complément essentiel dans le plan de financement d’un film − par exemple dans les films de la franchise James Bond. L’aspect d’apport en industrie est aussi à noter, mais dans une moindre mesure. Une marque peut prêter « gracieusement » l’un de ses produits, dont l’achat ou la location aurait été trop dispendieux pour le producteur. En contrepartie, le produit doit être visible et utilisé par les personnages du film. Toutefois, le film n’est pas simplement un outil de présentation de produits de marques, il est aussi un moyen de banalisation et de normalisation de comportements de consommateurs, comme l’explique Laurent Creton : « Destiné à un large public, le cinéma est au cœur du système fordiste : il est adapté au mode de vie plus urbain qui accorde une part accrue aux loisirs. Grâce à son pouvoir de diffusion et son attrait, il participe à une mise en place étendue et rapide des nouvelles normes de consommation. Dans le cinéma hollywoodien tout particulièrement, sont mis en vedette les biens de consommation, les biens d'équipement des ménages, les services, les

méthodes de travail, et plus généralement les modes de vie »40. Le cinéma industriel est

donc une partie intégrante de la société de consommation, dont il est à la fois le produit et la vitrine.

1.3. Cinéma et genres

Le cinéma commercial issu des studios est en majeure partie un cinéma de genres. Les films correspondent à des conventions narratives et esthétiques acceptées tant par les cinéastes que par le public. Ces codes partagés sont des repères imposés aux spectateurs. Les genres peuvent être locaux : l’Allemagne, l’Inde ou le Mexique ont des genres cinématographiques propres à leur marché. D’autres genres, en revanche, sont internationaux − nous parlons essentiellement des genres hollywoodiens. On les retrouve aussi bien aux États-Unis que dans d’autres pays. Ces conventions dépassent un grand nombre de frontières culturelles et les films qui intègrent ces normes sont compris par des publics très variés. Cependant, les genres ne sont pas stables. Il est

pratiquement impossible d’élaborer une définition fermée d’un genre. De plus, les genres se nourrissent les uns des autres et certains films défient la catégorisation. Les codes des films de genre sont pourtant des patrons sur lesquels se fonde chaque année une quantité vertigineuse de films pour rassurer le public et maximiser les entrées en salles.

1.3.1. Codes et conventions

Un genre peut être défini par le thème ou par le sujet exploité dans les films qui le représentent. Un genre peut aussi se définir par le type de réaction que les réalisateurs des films se réclamant de ce genre veulent susciter chez le public − la peur, la tristesse,

le rire, etc.41 Les codes et les conventions d’un genre consistent en une iconographie qui

référence ce genre indépendamment du film dans lequel ils sont utilisés. Pour John Cawelti, on peut parler de « formule » plus que de genre. Il considère que « nous sommes face à des structures anonymes et répétitives, au lieu d'interventions

individuelles et imprévisibles »42. Prenons deux cas très simples pour évoquer l’usage

des codes et des conventions, qu’on les conçoive comme des genres ou comme des formules.

Un code très utilisé, qui traverse les genres et qui est intégré dans une grande quantité de films occidentaux, concerne la narration : « Généralement, un récit s'ouvre sur une situation, modifiée par une série d'événements se succédant suivant un schéma causal et débouchant sur une nouvelle situation qui mène à la fin du récit. Dans cette définition,

la causalité et le temps sont les deux éléments centraux »43.

Prenons pour exemple un film du genre du western. Pour correspondre à l’attente des spectateurs, celui-ci doit intégrer une scène de duel, une scène dans un saloon, des

41 BORDWELL David, THOMPSON Kristin. L'Art du film, Une introduction. 1ère éd. Bruxelles : De Boeck Université, 2000, p. 76 42

Citant John Cawelti in CASETTI Francesco. Les théories du cinéma depuis 1945. 1ère éd. Paris : Nathan, Armand Colin Cinéma, Paris, 1999, p. 299

43

BORDWELL David, THOMPSON Kristin. L'Art du film, Une introduction. 1ère éd. Bruxelles : De Boeck Université, 2000, p. 118

chevaux, des paysages désertiques, des personnages équipés de colts, de santiags, de stetsons, un shérif, etc.

Comme nous le remarquions plus haut, les genres sont perméables et mouvants. Il arrive qu’un spectateur veuille voir un « western classique » ; cela signifie qu’il espère trouver dans le film la liste communément acceptée de codes et de conventions que l’on estime être les codes du genre. Le film des frères Coen sorti en 2011, True Grit, est considéré comme un western de facture classique, car il est composé d’une quantité suffisante d’éléments considérés comme caractéristiques du genre du western. Au contraire, le public peut désirer voir un « nouveau style de western ». Au moment de la rédaction de ce rapport est sorti en salle un film qui illustre bien cette idée, Cowboys et envahisseurs

de John Favreau. Au début du XIXe siècle, des extraterrestres envahissent l’Ouest

américain… Entre science-fiction et western, ce film est une mutation classique dans le cinéma commercial pour rassembler le maximum d’amateurs des deux genres, ainsi que les spectateurs les plus curieux.

1.3.2. Repères et évasion

Toutefois, David Bordwell et Kristin Thompson nous rappellent que « les genres sont des drames réglés comme des rites (au sens anthropologique du terme), comparables aux célébrations des jours fériés − des cérémonies qui nous satisfont parce qu'elles perpétuent des valeurs culturelles avec un minimum de variations. Tout comme l'on peut considérer que ces cérémonies permettent à leurs participants d'oublier les aspects les plus désagréables de leur vie, les intrigues et les personnages familiers des genres

peuvent servir à distraire le public des vrais problèmes de la société »44. Cette remarque

est intéressante puisqu’elle recouvre les notions de repères et d’évasion. Les repères d’un genre s’additionnent à la multiplicité des films qui constituent ce genre ainsi qu’à la fréquentation du public dont le désir est de revoir des films avec des repères communs. Les spectateurs ne souhaitent pas nécessairement observer des variations, ou alors il faut qu’elles soient subtilement amenées pour ne pas les choquer. Cette idée

montre ce sur quoi les studios et les industriels s’appuient pour continuer à produire des films de genre : l’habitude et la fidélisation des spectateurs. Par ailleurs, « l’évasion mentale » procurée par un film est cruciale. Le cinéma commercial de genre propose de divertir le spectateur en l’emmenant dans un « univers » dont il connaît les principaux contours où l’on lui réserve des surprises sans le choquer. Il s’agit d’un voyage imaginaire dans un lieu qui lui est inconnu, mais où il ne peut pas se perdre. La prise de risque est donc minimale. La nécessité de s’évader sans se perdre dans un monde autre accentue l’aspect addictif du cinéma de genre, aspect sous-jacent dans les propos de David Bordwell et Kristin Thompson.

Les genres évoluent : les plus anciens, comme les westerns, prennent une signification différente selon la période à laquelle les films sont produits. « Il est courant de dire qu'à différents moments de l'histoire, les récits, les thèmes, les valeurs ou l'imagerie d'un

genre sont en accord avec les préoccupations du public. »45

1.3.3. Les genres « locaux »

En prenant des exemples de récits et de genres hollywoodiens, nous n’évoquons pas les genres locaux qui leur correspondent et fonctionnent sur les mêmes bases, mais à un niveau local. Le public et les cinéastes qui partagent les conventions de ce genre sont localisés géographiquement et culturellement. David Bordwell et Kristin Thompson nous donnent quelques exemples précis : « Le cinéma populaire, dans la plupart des pays, est celui des films de genre. L'Allemagne à ses Heimatfilms, où l'on raconte la vie dans les petites villes de province. En Inde, le cinéma hindi produit des films "de dévotion" qui ont pour sujet les vies des saints et des grandes figures religieuses, et des films "mythologiques", adaptés de légendes et de classiques de la littérature. Les réalisateurs mexicains inventèrent la cabaretera, un type de mélodrame ayant pour

personnages principaux des prostituées »46. Ces genres locaux sont des genres que l’on

qualifie de populaires, dans le sens où le public le plus large, sans notion d’élitisme, se

45 Ibid, p. 81 46 Ibid, p. 75

rend en salle et souhaite regarder ces « formules » filmées. La structuration de ces genres et la production de ces films populaires s’imposent aux studios, pour qui « populaire » signifie « succès commercial ».

1.4. Le système des studios

Les studios sont des entreprises commerciales dans lesquelles est fabriqué le produit-film. Deux citations nous viennent immédiatement à l’esprit pour prolonger le sens que recouvre le terme « usine » dans l’expression d’André Malraux que nous avons déjà évoquée. L’une est attribuée au célèbre réalisateur Erich Von Stroheim, confronté plus d’une fois à l’implacable politique des studios ; il parlait du système de production des

studios comme d’une « machine à fabriquer des saucisses »47. La seconde est de Cary

Grant, qui définissait son métier de la sorte : « On a notre usine, qui s'appelle un plateau. On fait un produit, on le colore, on le titre et on l'achemine dans des boîtes en ferraille ». L’objectif avoué étant de « fournir du spectacle en boîte à des entrepreneurs

de spectacles »48.

1.4.1. Reproduction et copies