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2 ème Partie : Une histoire du cinéma en Afrique du Sud

1.1. La période pré-apartheid

1.1.1. Les premiers pas du cinéma en Afrique du Sud

Il est très difficile de savoir exactement quand le cinéma est introduit en Afrique du Sud. Toutefois, plusieurs pistes semblent nous indiquer que le cinématographe est arrivé très tôt, au regard de l’histoire globale du cinéma. Jean Rouch pense que le cinéma fait ses débuts en Afrique en 1896, l'année où un magicien de vaudeville vole un projecteur « theatregraph » du Théâtre Alhambra Palace de Londres pour présenter des films en

Afrique du Sud125.

Andrew Worsdale, dans son article sur les liens entre la ville de Johannesburg et le cinéma, nous donne plus de précisions. Les premiers Kinétoscopes sont ouverts au public dès le 19 avril 1895, seulement six ans après leur introduction par Edison aux

États-Unis126, dans les arcades Herwoods, au croisement de Pritchard Street et President

Street127. À cette époque, la jeune ville minière où l’on a découvert de l’or en 1886

accueille la première l’invention d’Edison en Afrique du Sud. « La première présentation de film en Afrique du Sud a été faite le 9 mai 1896, quelques mois après la présentation de Manhattan, à l’Empire Palace of Varieties dans Commisioner Street à

Johannesburg. »128 Nous ne savons pas quel était le premier film projeté, mais la date

est importante. Moins d’un an après la projection des Frères Lumière, le cinéma est

arrivé à l’autre bout du globe grâce à Carl Hertz129 ; cela témoigne de la vitesse à

laquelle le spectacle cinématographique s’est propagé. Andrew Worsdale nous donne d’autres informations intéressantes, bien que partielles, concernant le premier film tourné en Afrique du Sud en 1896 : « le premier film sud-africain qui a été produit est

125 Jean Rouch cité in UKADIKE Nwachukwu Frank. Black African Cinema. 1ère éd. Berkerley - Los Angeles -London : Universiy of California Press, 1994, p. 31

126 BOTHA Martin. 110 Years of South African Cinema. South African Cinema. Kinema a journal for film and audiovisual media [en ligne]. 2006. Disponible sur : http://www.kinema.uwaterloo.ca/article.php?id=46&feature [consulté le 10 mai 2009].

127 WORSDALE Andrew. Jozi and the movies – A history. Gauteng Film Commission South Africa [en ligne]. September 2007. Disponible sur : http://www.gautengfilm.co.za/index.php?option=com_content&view=article&id=183:jozi-and-the-movies-a-history-&catid=96:september&Itemid=134 [consulté le 25 novembre 2010].

128 Ibid.

129 Time line history of south african film industry. Sahistory [en ligne]. Disponible sur : http://www.sahistory.org.za/article/timeline-history-south-african-film-industry [consulté le 3 mai 2011].

composé de scènes tournées à l'avant d'un tramway dans la ville animée de

l'or (Johannesburg130) »131. Il n’y a pas de titre à ce film, puisque c’est une simple vue

innovante réalisée, depuis un tramway, par un pionnier du cinéma en Afrique du Sud,

Edgar Hyman132. De 1895 à 1909, ce sont en majorité des films britanniques et

américains qui parcourent le pays, par le biais des cinémas mobiles que sont les

bioscopes133 − terme qui continuera à être employé en Afrique du Sud pour désigner les salles fixes de cinéma. Si les premières projections de films se sont déroulées à Johannesburg, le premier cinéma permanent consacré exclusivement à la projection de

films est érigé à Durban en 1909134. Notons que c’est aussi à Durban que le premier

cinéma pour « Coloured people only » ouvre ses portes, le 11 décembre 1910135. Enfin,

ce qui est considéré comme le premier film narratif produit en Afrique du Sud est The

Great Kimberley Diamond Robbery (1910), produit par la société Springbok Films136. Le titre fait écho au « premier film » (tous les observateurs ne sont pas d’accord) narratif réalisé aux États-Unis, The Great Train Robbery (1903) d’Edwin S. Porter. Il rappelle, en outre, le cinéma de genre − d’autres films de la même époque portent le même titre − donc des codes narratifs déjà déterminés. Par ailleurs, Kimberley est le nom d’une ville minière (aujourd’hui Northern Cape) et se rapporte donc à une partie de l’histoire nationale, ce qui fait de ce film un film de genre local.

En outre, si les débuts du cinéma en Afrique du Sud sont synonymes d’appropriation de l’outil technique et des premières formes filmiques, le contrôle des images en provenance de l’étranger est lui aussi rapide à s’installer. Le premier film à être interdit

130 Note de l’auteur.

131 WORSDALE Andrew. Jozi and the movies – A history. Gauteng Film Commission South Africa [en ligne]. September 2007. Disponible sur : http://www.gautengfilm.co.za/index.php?option=com_content&view=article&id=183:jozi-and-the-movies-a-history-&catid=96:september&Itemid=134 [consulté le 25 novembre 2010].

132 Time line history of south african film industry. Sahistory [en ligne]. Disponible sur : http://www.sahistory.org.za/article/timeline-history-south-african-film-industry [consulté le 3 mai 2011].

133 BOTHA Martin. 110 Years of South African Cinema. South African Cinema. Kinema a journal for film and audiovisual media [en ligne]. 2006. Disponible sur : http://www.kinema.uwaterloo.ca/article.php?id=46&feature [consulté le 10 mai 2009].

134 Durban film office [Ressource électronique]. Disponible sur : http://www.durbanfilmoffice.com/film.php [consulté le 9 octobre 2009].

135 Time line history of south african film industry. Sahistory [en ligne]. Disponible sur : http://www.sahistory.org.za/article/timeline-history-south-african-film-industry [consulté le 3 mai 2011].

136GAUTENG FILM COMMISSION. Almost 100 years old and still rolling ! The history of SA cinema. Part. 2. Gauteng Film

Commission South Africa [en ligne]. February 2010. Disponible sur : http://www.gautengfilm.org.za/index.php?view=article&id=640%3Aalmost-100-years-old-and-still-rolling-the-history-of-sa-cinema-part-2&option=com_content&Itemid=104 [consulté le 18 septembre 2010].

de projection en Afrique du Sud est un documentaire américain sur la boxe présentant le match d’un boxer noir, Johnson, battant son opposant blanc, Jeffries, en 1910.

1.1.2. La population blanche et le cinéma : entre

impérialisme britannique, industries de studios et nationalisme afrikaner

Le cinéma sud-africain a véritablement commencé à se développer, en matière de production, à cause d’une guerre. En effet, plusieurs observateurs remarquent que la guerre anglo-boer (1899-1902) qui déboucha sur l’Union sud-africaine (1910) est le premier moteur de la production locale. Les premières bobines tournées sont des films d’actualité. La demande de la Grande-Bretagne pour des images de guerre provenant d’Afrique du Sud montrant l’avancée des combats est importante. La société « British

Warwickshire Company »137 répond à cette demande en produisant des récits de

batailles. Cette production se mue bientôt en tradition puisque les actualités filmées sont l’objet d’une production régulière au sein de la société African Film Productions Ltd, que nous présenterons en détail plus loin : « African Films commença une tradition de production d’actualités sous la forme de l’African Mirror, la plus longue production

d’actualités au monde (1913-1984) »138.

Selon Ian Christie, d’un point de vue plus global, « la guerre anglo-boer de 1899-1902 est connue depuis longtemps comme l'un des premiers conflits dans lesquels les médias modernes ont joué un rôle important, avec une illustration photographique, le télégraphe

et le cinéma tous activement impliqués »139. Cette période est fondamentale, puisque

c’est le début des « flag films ». Ces « films-drapeaux » sont clairement identifiables comme patriotiques et nationalistes. Ian Christie en propose une définition et en indique les origines : « Edison avait déjà produit un certain nombre de titres patriotiques pendant la guerre hispano-américaine de 1898, et semble avoir été à l’origine du genre du "flag film" − essentiellement reconnaissable par un gros plan sur le drapeau national

137 Sales : introduction. History of the South African Film Industry. M-Net corporate [en ligne]. February 2008. Disponible sur :

http://www.mnetcorporate.co.za/ArticleDetail.aspx?Id=975 [consulté le 20 octobre 2010].

138 BOTHA Martin. 110 Years of South African Cinema. South African Cinema. Kinema a journal for film and audiovisual media [en ligne]. 2006. Disponible sur : http://www.kinema.uwaterloo.ca/article.php?id=46&feature [consulté le 10 mai 2009].

139 CHRISTIE Ian. An England of our Dreams" ? : early patriotic entertainments with film in Britain during the Anglo-Boer War.

Early Cinema and the "National" / dir. Richard ABEL, Giorgio BERTELLINI, Rob KING. 1ère éd. New Barnet : Nathan, John

remplissant l'écran − ce qui pourrait être le premier genre nationaliste. [...] Le but de ce

dernier, on peut le supposer, était d'accroître l'émotion patriotique »140.

Cependant, un homme en Afrique du Sud est le symbole de l’accélération du développement du cinéma et de son élaboration en tant qu’industrie, Isadore William Schlesinger. En 1894, il a dix-huit ans et quitte New York pour l’Afrique du Sud. C’est seulement en 1913 qu’il entre dans l’industrie du divertissement. Auparavant, Isadore

W. Schlesinger officie dans les assurances141, ce qui lui permet de gagner suffisamment

d’argent pour investir et acheter progressivement l’« Empire Theatres et l’Amalgamated Theatres ainsi que plusieurs autres entreprises pour former l’African Theatres Trust Ltd

le 10 avril 1913 »142. D’autre part, il crée également l’African Film Trust, importateur et

distributeur de films, qui devient la figure de proue de son empire. Il fait construire le premier studio de cinéma en Afrique du Sud à Killarney, dans la banlieue de Johannesburg. D’après Martin Botha « pour les 43 prochaines années Schlesinger a le

monopole de la distribution de films du Cap au Zambèze »143, ce qui fait de lui « le roi

sans couronne des mass-médias »144. En effet, Isadore W. Schlesinger est rarement cité,

à tort selon nous, comme l’un des initiateurs des systèmes médiatiques globaux − industriels et géographiques. Celui que l’on considère alors comme le père du cinéma en

Afrique du Sud produit avec sa société quarante-trois films entre 1913 et 1956145.

Dans le cadre de l’African Film Production Ltd (AFP), un autre émigré − anglais celui-ci − prend une place importante dans la réalisation de plusieurs films qui vont marquer l’histoire du cinéma sud-africain ; il s’agit de Joseph Albrecht, opérateur pour les

actualités anglaises146. Il est invité par Isadore W. Schlesinger à venir gérer le studio de

cinéma de Killarney. Il participe en tant que caméraman au film Die Voortrekkers (1916) d’Harold M. Shaw ; il est le co-scénariste de The symbol of sacrifice (1918) de Dick Cruickshanks. Il poursuit sa carrière en tant que réalisateur et producteur des deux

140 Ibid, p. 93

141ANCESTRY24 [Ressource électronique]. Isidore William Schlesinger. Mois Année. Disponible sur :

http://ancestry24.com/isidore-william-schlesinger/, [consulté le 1er juillet 2011].

142 Time line history of south african film industry. Sahistory [en ligne]. Disponible sur : http://www.sahistory.org.za/article/timeline-history-south-african-film-industry [consulté le 3 mai 2011].

143 BOTHA Martin. 110 Years of South African Cinema. South African Cinema. Kinema a journal for film and audiovisual media [en ligne]. 2006. Disponible sur : http://www.kinema.uwaterloo.ca/article.php?id=46&feature [consulté le 10 mai 2009].

144 Citant Kaplan in MAINGARD Jacqueline. South African National Cinema. 1ère éd. London - New-York : Routledge, 2007, p. 18 145 NEL Willem. Profile 2000 : Towards a viable South African Film Industry. Johannesburg : Pricewaterhouse Coopers, 2000, p. 3 146 MAINGARD Jacqueline. South African National Cinema. 1ère éd. London - New-York : Routledge, 2007, p. 36

premiers films parlants sud-africains, Sarie Marais et Moedertjie (1931) ; enfin il assume le même rôle pour They Built a Nation (1938). Il faut mentionner que pour le film Moedertjie, Joseph Albrecht se verra décerné « une médaille par le Suid Afrikaanse Akademie vir Taal, Lettere en Kuns (l’Académie sud-africaine de la Langue, de la Littérature et de l’Art) en 1933 pour "l'adaptation à l’écran et la réalisation du premier

film parlant en afrikaans" en 1933 »147.

Avant de continuer notre parcours de l’histoire du cinéma sud-africain pré-apartheid, constatons quelques caractéristiques de ces deux pères de la cinématographie sud-africaine que sont Isadore W. Schlesinger et Joseph Albrecht.

Aucun d’eux n’est natif de l’Afrique du Sud et n’est donc Afrikaner. L’un d’entre eux, Joseph Albrecht, est anglais. Pourtant, ils sont à l’initiative de films, nous le verrons dans la partie suivante, porteurs d’un nationalisme afrikaner revendiqué. Joseph Albrecht est même couronné pour avoir produit le premier film parlant de l’histoire de l’Afrique du Sud, un film en afrikaans. Cette langue, qui est le véhicule et l’axe du nationalisme afrikaner, devient la première langue parlée au cinéma en Afrique du Sud. Avec cette simple donnée, il est possible de reconnaître le poids du public afrikaner, premier public cible du cinéma industriel sud-africain. Les sujets et les moyens mis en œuvre pour les représenter cinématographiquement font des films de Joseph Albrecht des œuvres prenant le masque du nationalisme afrikaner à des fins commerciales.

1.1.3. Un État, une nation, un cinéma

L’Union sud-africaine fondée en 1910 soutient le cinéma à des fins promotionnelles. Le Publicity and Travel Department of the South African Railways and Harbours aide

financièrement des films publicitaires sur l’Afrique du Sud148. D’ailleurs, c’est ce

département qui commandera le film They Built a Nation à l’AFP, pour la célébration du centenaire du Grand Trek en 1938. Une autre institution présentée par Jacqueline Maingard vient s’impliquer dans la production de films : le comité Celliers. « Au début des années 1940, le comité Celliers est fondé afin d'enquêter sur la "pertinence" de la

147 Citant Gutsche in Ibid, p. 48

148 « Gutsche asserts that SAR&H was "the most consistent sponsor of film production in South Africa" » cité in MAINGARD Jacqueline. South African National Cinema. 1ère éd. London - New-York : Routledge, 2007, p. 53

production cinématographique en afrikaans en Afrique du Sud ainsi que la distribution de ces films sur la base de quotas. Le comité Celliers a été la première institution nommée par le gouvernement à s’interroger sur l'idée de créer un conseil national du film (National Film Board, NFB) pour mettre en place une politique nationale. Faisant suite à la ferveur des célébrations du centenaire du Grand Trek de 1938, le rapport (du

comité Celliers149) se lit en partie comme un traité sur la "culture nationale" dans une

perspective afrikaner. Ironiquement, il s’appuie fortement sur les initiatives anglaises et canadiennes afin de conduire en Afrique du Sud une politique de quotas de films sud-africains pour bloquer l'infiltration des films américains, perçus comme limitant la

portée de la culture nationale. »150 Le comité Celliers introduit aussi une politique

destinée à la présentation de films pour les autres populations − nous y reviendrons dans une prochaine partie. Cette politique de quotas destinée à favoriser la présence culturelle du cinéma local est une méthode protectionniste que l’État met en place, conscient de la faiblesse (quantitative) de la production nationale au regard de celle d’Hollywood. Cette politique est initiée pour tenter de limiter ce raz-de-marée américain. En effet, depuis 1922, l’industrie sud-africaine est en difficulté et la production décline : « en dépit des normes techniques élevées, il y avait très peu d'intérêt dans les marchés britannique et

américain et l'industrie n’était pas autosuffisante »151. Sur les quarante-trois films

produits par l’AFP entre 1913 et 1956 « 37 ont été produits pendant la période de 1913 à 1922. Du fait de la Première Guerre mondiale, il est devenu trop cher d’importer les productions américaines. Après la guerre, la production a diminué rapidement, et entre

1930 et 1950, très peu de films sud-africains ont été produits »152.

Un film est donc à cette époque un défi en lui-même. Pour assurer l’attractivité du cinéma pré-apartheid destiné au public blanc, l’État et les industriels vont sélectionner des thèmes et en assurer la pérennité. L’État et l’industrie y trouvent un terrain d’entente. Le cinéma devient le relais des mythes afrikaners. De surcroît, la stratégie de sortie d’un film devient d’autant plus cruciale que la production décline. Le cinéma doit donc concentrer les éléments propices à attirer un public précis et à le fidéliser, en

149 Note de l’auteur

150 MAINGARD Jacqueline. South African National Cinema. 1ère éd. London - New-York : Routledge, 2007, p. 9

151 WORSDALE Andrew. Jozi and the movies – A history. Gauteng Film Commission South Africa [en ligne]. September 2007. Disponible sur : http://www.gautengfilm.co.za/index.php?option=com_content&view=article&id=183:jozi-and-the-movies-a-history-&catid=96:september&Itemid=134 [consulté le 25 novembre 2010].

faisant de la projection d’un film un événement − célébration d’un fait national, premier film parlant, etc. Pour illustrer cette idée, nous examinerons quatre films emblématiques de cette époque, Die Voortreekker, They Built a Nation, ainsi que Moerdetjie et Sarie

Marais destinés principalement au public afrikaner. Mais avant de nous engager dans

cette analyse, notons que, lorsque nous évoquons le public cible, cela ne signifie pas que les autres publics blancs ne puissent pas voir ou comprendre le film. Nous pensons seulement, et nous allons le démontrer, que le public le plus à même de comprendre les subtilités, les discours et les images de ces films, est justement le public afrikaner. Les « Afrikaners voulaient voir leurs idéaux dans ces films. Ce conservatisme idéaliste se caractérise par un attachement au passé, aux idéaux de pureté linguistique et raciale et aux normes religieuses et morales. Les films ont à souscrire à ces normes

conservatrices afin d'avoir du succès au box-office »153. Ces films « ont tenté d'explorer

la psyché culturelle nationale, et en tant que tels ont été une forme fermée, faite par et

pour un groupe de population spécifique »154. Ils sont donc « ouvertement nationalistes,

renforçant la culture afrikaner de plus en plus dominante dans le secteur

cinématographique »155.

Die Voortrekkers (1916) d’Harold M. Shaw est une œuvre forte. Témoignage du

nationalisme afrikaner dans sa forme filmique, il assure ce sens et le renforce en prenant pour sujet le Grand Trek et la bataille de Blood River, deux des mythes fondateurs de la nation afrikaner. Par ailleurs, le titre lui-même, pour poursuivre cette idée, mérite d’être étudié : « Les Voortrekkers (littéralement, en afrikaans, ceux qui vont de l’"avant"

(voor) − dans ce cas, avant la Nation »156. Les Afrikaners sont les premiers colons

arrivés en Afrique du Sud, et cette notion leur est chère.

Mais le film est aussi produit dans un esprit de réconciliation nationale entre Anglais et Afrikaners, comme l’analyse Lucia Saks. « En 1916, quand il a été fait, il s'agissait de satisfaire ou tout du moins de répondre aux deux besoins les plus pressants de la colonie

152 NEL Willem. Profile 2000 : Towards a viable South African Film Industry. Johannesburg : Pricewaterhouse Coopers, 2000, p. 3 153BOTHA Martin. South African film industry. The South African Film Industry : fragmentation, identity, crisis and unification.

Kinema a journal for film and audiovisual media [en ligne]. Disponible sur : http://www.kinema.uwaterloo.ca/article.php?id=355&feature [consulté le 10 mai 2009].

154 NEL Willem. Profile 2000 : Towards a viable South African Film Industry. Johannesburg : Pricewaterhouse Coopers, 2000, p. 3 155 BOTHA Martin. Part One. An Introduction to Post-Apartheid Cinema. Chapter 1. Post-Apartheid cinema. Marginal lives &

painful Pasts, South African cinema after apartheid. ed. by Martin BOTHA. 1ère éd. Parklands : Genugtig ! Publishers, 2007, p. 22 156 SAKS Lucia. Cinema in a democratic South Africa, The Race for representation. 1ère éd. Parklands : Bloomington Indianapolis : Indiana University Press, 2010, p. 186

sud-africaine du point de vue des groupes de colons : la réconciliation et la construction de la nation entre les Anglais (qui comprenaient la plus large catégorie linguistique, la majorité des d'anglophones) et les Afrikaners. Ici donc, c’est un rôle évident qu’endosse le cinéma dans la nouvelle nation : approuver l’État nouvellement formé qui a émergé il

y a six ans de l'Union d'Afrique du Sud en 1910 »157.

Le film est une adaptation de la biographie de Piet Retief, héros afrikaner du Grand Trek, rédigée par Gustav Preller, journaliste et historien afrikaner. Il retrace de façon épique le Grand Trek qui eut lieu en 1838. Le film se veut grandiose et partial, c’est une véritable apologie de la nation afrikaner. Il développe des notions importantes et fondatrices du mythe du Grand Trek. L’esprit de clan et de famille, qui prime l’individu afin de rester entre semblables, est mis en avant sans aucune ambiguïté. La communauté est faite pour perdurer. Il n’y a pas d’exclu au sein du groupe, tout le monde doit être solidaire. Un portrait du courage inébranlable et de l’esprit de sacrifice des Afrikaners est brossé dans plusieurs scènes du film − batailles, rencontre avec les Zoulous, etc. La religion est aussi fortement présente dans le film à travers le personnage du révérend Owen, missionnaire de bonne foi, cherchant à convertir les Zoulous ; les images symboliques de crucifix viennent accentuer la récurrence de cette thématique. Les