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CHAPITRE 1 : L’ENSEIGNEMENT AU VIETNAM SOUS LA COLONISATION

3. La colonisation à la recherche de s on école : 1860-1916

3.5. Un enseignement colonial encore en devenir

La France peine à installer un système éducatif en Indochine. Il y a des points positifs. Le maintien des écoles de caractères évite le conflit avec les élites confucéennes. Les écoles franco-indigènes popularisent le quốc ngữ et le français. La modernisation des programmes est bien reçue par les populations, dont l’espoir, dit Henri Russier, Inspecteur des Écoles en

257

Voir la notice biographique de Phan Châu Trinh dans l’Annexe 5.

258

NGUYỄN THẾ ANH, « L’élite intellectuelle vietnamienne et le fait colonial dans les premières années du XXe siècle », in Philippe PAPIN (ed.), Parcours d’un historien du Viet Nam, Recueil des articles écrits par Nguyễn

Thế Anh, Paris, Les Indes Savantes, 2004, p. 404.

259

Gilles de GANTÈS et NGUYỄN PHƯƠNG NGỌC (eds.), Vietnam le moment moderniste, Publications de l’Université de Provence, 2009, p. 7.

260

BÙI TRÂN PHƯỢNG, « L’éveil des élites vietnamiennes au début du XXè siècle », in Đổi mới giáo dục đại học

Việt Nam, hai thời khắc đầu thế kỷ, Kỷ yếu hội thảo [Rénover l’enseignement supérieur au Viet Nam, deux moments du début du siècle, Actes du colloque organisé par l’Université Hoa Sen en 2008], Văn hóa Sài Gòn et

Université Hoa Sen, 2009, p. 37.

261

Institut d’enseignement bénévole de Đông Kinh. Đông Kinh, l’ancien nom de Hà Nội, est phonétisé Tonkin par les Occidentaux.

262

Son directeur, Nguyễn An Khương, est le père de l’intellectuel Nguyễn An Ninh dont nous parlerons ultérieurement.

263

TRUNG TÂM NGHIÊN CỨU QUỐC HỌC (ed.), Nguyễn An Ninh qua hồi ức của những người thân [Nguyên An

Ninh à travers les mémoires de ses proches], Hà Nội, Văn học, 2009, p. 38.

264

NGUYỄN THẾ ANH, « L’élite intellectuelle vietnamienne et le fait colonial dans les premières années du XXe siècle », op. cit., p. 408.

Cochinchine265, est « pareil au frisson du réveil après un sommeil millénaire »266. L’éducation des filles est bien acceptée au Vietnam267

. En Cochinchine « l’enseignement des

filles indigènes a définitivement conquis la faveur des familles »268. Au Tonkin, la première école de filles « dépassa les espérances les plus optimistes. L’établissement nouveau refusa

des élèves dès la première année et la population demanda de divers côtés la création d’écoles semblables »269

. En Annam, « les indigènes demandent avec insistance la création

de nouvelles classes et de nouvelles écoles pour leurs filles »270. Mais le manque de moyens et

les lenteurs administratives gênent l’application des décisions. Les conditions d’enseignement sont parfois indignes271. Les effectifs restent faibles : 30.000 élèves dans le cycle élémentaire et 3000 dans le primaire en 1910272. Entre 1905 et 1908, les taux de scolarisation (ramenés à la population globale) sont de 0,5 ‰ (Annam), 0,9‰ (Tonkin) et 6‰ (Cochinchine), alors que ces taux sont de 60‰ en Algérie, de 14‰ en Inde et de 35‰ au Philippines273. 42 diplômés sont produits en 1907, très en-deçà des besoins des administrations274, qui les « enlèvent en cours d’études »275. Pour Russier :

Trop d’élèves encore désertent nos écoles, dès qu’ils ont acquis quelques bribes de français, pour se caser dans les emplois subalternes de l’Administration sans grand profit pour personne.276

L’immense majorité des élèves s’arrête au primaire supérieur ou avant. Gourdon note que « les prétendus déclassés que formeraient ces établissements n’ont jamais existé »277 et regrette que la France ne sache satisfaire le désir d’éducation des élites :

265

Oissila SAAÏDIA et Laurick ZERBINI, La construction du discours colonial, op. cit., p. 114.

266

Henri RUSSIER, L’instruction des indigènes au Tonkin, op. cit., p. 4.

267

Ce n’est pas le cas au Laos et au Cambdoge. En 1925, les autorités regrettent que dans ces deux pays « les

familles […] répugnent à faire instruire leurs filles. D’ailleurs, pour celles-ci, dès que se manifestent les premiers signes de nubilité, elles doivent « entrer dans l’ombre » et mener une vie très retirée. »

GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE L’INDOCHINE, Rapports au Conseil de Gouvernement de l’Indochine. Session

ordinaire de 1925. Deuxième partie, Hanoï, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1925, p. 433.

268

GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE L’INDOCHINE, Rapports au Conseil de Gouvernement de l’Indochine. Session

ordinaire de 1917. Première partie, Hanoï, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1917, p. 50.

269

GOUVERNEMENT GÉNÉRAL DE L’INDOCHINE, Rapports au Conseil de Gouvernement de l’Indochine. Session

ordinaire de 1918. Première partie, Hanoï, Imprimerie d’Extrême-Orient, 1918, p. 279.

270

Ibid., p. 135.

271

Pascale BEZANÇON, Une colonisation éducatrice ? L’expérience indochinoise (1860-1945), op. cit., p. 114.

272

CONSEIL SUPÉRIEUR DE L’INDOCHINE, Communication sur la réforme de l’enseignement indigène, présentée

au nom du Gouvernement général, par l’Inspecteur-conseil de l’Enseignement, Session ordinaire de 1910, op. cit., p. 12‑15.

273

Henri GOURDON, « Lettres à Antony Wladislas Klobukowski, Gouverneur général de l’Indochine, du 14 et 19 août 1908 », op. cit., p. 105.

274

Ibid., p. 108.

275

Rapports au Conseil de Gouvernement. Session ordinaire de 1913, op. cit., p. 853.

276

Henri RUSSIER, L’instruction des indigènes au Tonkin, op. cit., p. 11.

277

Tous les Collèges refusent des élèves payants et les parents, qui représentent la bourgeoisie indigène aisée : fonctionnaires, mandarins, commerçants, propriétaires fonciers désireux de donner à leurs fils une instruction supérieure à celle des écoles primaires, ne cessent de réclamer l’extension des collèges existants.278

L’enseignement traditionnel reste puissant. Au Tonkin, en 1910, l’examen du 1er

degré produit 4407 diplômés tandis que le concours triennal de 1909 produit 200 Licenciés et Bacheliers279. Son corps enseignant est pourtant de faible qualité et les performances scolaires s’en ressentent. Lors du Concours du Palais de 1919, les candidats interprètent si mal les sujets que la revue Nam Phong ironise :

Voilà donc le niveau de leur annamite, et même de leur sino-annamite. Grand Dieu, toute l’élite de notre Grand Annam est bien égale à elle-même ! 280

Les objectifs de l’éducation coloniale – former des subalternes pour développer la colonie et des lettrés pro-français pour servir d’intermédiaires – ne sont pas remplis.