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31 Les grands principes

La formation professionnelle telle qu’elle est dispensée jusque là divise la profession. D’un côté, il existe une formation pour les infirmiers en soins généraux et d’un autre côté, une formation destinée aux infirmiers de secteur psychiatrique. Les premiers semblent cantonnés aux soins du corps (pathologies organiques et fonctionnelles) pendant que les seconds s’attachent à ceux de l’esprit (pathologies mentales et troubles psychiques).

Cette dichotomie dans la formation et l’exercice professionnel, dont nous venons de relever quelques aspects, a duré près de quarante ans, jusqu’à la création du diplôme d’Etat polyvalent en 1992.

Malgré les polémiques et les logiques corporatistes qui avaient pu émerger à l’époque, nombre de professionnels de santé avaient compris que l’homme qu’ils soignent est le même, que cet homme est indivisible et que la formation devait pouvoir former des infirmiers capables de prendre en charge à la fois l’aspect somatique et psychologique de la personne soignée. Cependant, le challenge est difficile car ce nouveau programme doit prendre en compte la diversité des devenirs possibles des étudiants en lien avec la grande variété des exercices possibles (Dropsy, 1995, op. cit).

Par conséquent, le nouveau programme d’enseignement du 23 mars 1992 va regrouper les deux secteurs de soins. Cette évolution est significative du progrès accompli au niveau des pratiques infirmières et de la conception du soin infirmier. La restructuration a entraîné la fermeture des centres de formation en psychiatrie et des écoles d’infirmières. Les nouveaux étudiants sont alors formés dans des instituts de formation en soins infirmiers.

Cette évolution des pratiques soignantes s’est prolongée par une évolution du registre symbolique et sémantique dans le programme des études. Par exemple, l’apparition de nouvelles appellations : les élèves-infirmiers sont devenus des étudiants en soins infirmiers ; la monitrice et l’enseignante sont devenues formatrice en soins infirmiers, acteur responsable de la formation initiale et continue des infirmiers.

Le programme actuel date de 1992 et s’inscrit dans une logique d’harmonisation européenne. Ce nouveau diplôme vise à favoriser la libre circulation des infirmiers et infirmières sur le territoire de l’union européenne. Il répond ainsi à des raisons pratiques de gestion de la main d’œuvre en instaurant davantage de mobilité au sein du territoire national et européen. Le diplôme unique permet désormais de postuler sur n’importe quel poste vacant, ce qui n’était pas le cas précédemment avec les mesures limitant l’exercice des infirmiers de secteur psychiatrique.

Il s’agit avant tout de former un infirmier polyvalent notamment en mettant fin à la double filière en usage jusqu’alors (psychiatrie et soins généraux). Le nouveau texte met également l’accent sur le travail d’élaboration du projet professionnel et intègre la notion de « savoir infirmier ». Autrement dit, on constate dans les textes l’apparition de la démarche diagnostique infirmière c’est-à-dire la capacité à identifier des problèmes de santé dans le cadre du rôle propre infirmier. Le registre de l’autonomie professionnelle est ainsi affirmé avec force, tout au moins dans les textes qui organisent la formation.

Le chapitre 4 permettra de décrire avec plus de détails ce programme de 1992, actuellement en vigueur.

32 Les perspectives

Les élèves-infirmiers sont devenus étudiants en soins infirmiers, les écoles d’infirmières sont devenues instituts de formation en soins infirmiers aussi, dans ce prolongement, un projet retient actuellement particulièrement l’attention du milieu infirmier. Il s’agit de la mise en place de l’ensemble des formations paramédicales à l’université. Ainsi, les départements de médecine pourraient accueillir à plus ou moins long terme, outre leurs propres étudiants, les candidats aux diverses formations paramédicales ; les sages-femmes ont déjà franchi cette étape depuis peu. On peut voir dans ce projet plusieurs objectifs de niveaux différents :

- une dynamique de professionnalisation et par conséquent, de reconnaissance sociale, déjà engagée qui passe par l’ « universitarisation »98 des formations à plus ou moins long terme. Pour ne prendre qu’un seul exemple, les infirmiers actuels n’ont obtenu qu’une reconnaissance à Bac +2 malgré leurs 37 mois de formation. Il s’agit là d’une situation maintes fois dénoncée par les représentants de la profession. L’accès à l’université pourrait clarifier ce point particulier,

- l’acquisition d’une culture commune entre les différents professionnels de santé qui doivent coopérer pour le bénéfice des malades,

- une poursuite de la logique d’harmonisation européenne puisque la France reste l’un des rares pays où la formation infirmière n’est pas encore intégrée à l’université,

- une réorientation possible pour ceux que l’on appelle les reçus/collés, étudiants en première année de médecine ayant validé leur cursus mais n’étant pas admis en seconde année à cause du numerus clausus.

Ceci étant, rien ne permet actuellement de savoir quelle sera la nature du projet universitaire retenu. Parmi les questions qui font débat : faut-il rejoindre les sciences médicales ou plutôt les sciences humaines ? La première hypothèse renforcerait selon les uns la dépendance médicale et constituerait un retour en arrière. Pour d’autres, il s’agit de la filiation la plus légitime tant la profession infirmière parait liée à la discipline médicale. La seconde hypothèse semble pour les uns l’occasion d’une émancipation autour du rôle propre et de savoirs spécifiques. Pour les autres, cette seconde hypothèse n’est même pas envisageable tant les sciences humaines paraissent secondaires dans l’exercice professionnel. Une troisième voie tente alors de percer, bien timidement si l’on

98 Nous reprenons ce néologisme à notre compte car la presse professionnelle en fait usage depuis maintenant quelques années.

en juge par la presse professionnelle, celle qui conduirait à la création de départements universitaires en soins infirmiers voire en sciences de la santé comme ils peuvent exister, au Canada notamment.

Synthèse

Plusieurs éléments importants méritent d’être retenus à la fin de ce second chapitre. En premier lieu, le corps infirmier, en accédant à la fois à la formation et au salariat, a rompu avec l’image et les valeurs des « sœurs hospitalières ». La laïcité et la reconnaissance statutaire ont permis de s’affranchir de cette culture sacerdotale. Toutefois, les premières initiatives concernant la formation infirmière furent l’apanage des médecins qui y virent une occasion de former des auxiliaires de qualité. Les valeurs morales et religieuses d’abnégation, de disponibilité continuaient malgré tout à être prônées. Formés par les médecins, ces auxiliaires devaient intégrer dans leurs pratiques, les évolutions scientifiques afin de prolonger de manière adéquate le geste médical. Les rapports sociaux générés par cet état de fait, s’inscrivent dans une logique de soumission des infirmiers vis-à-vis du monde médical. D’ailleurs, les textes réglementaires qui régissent la profession ont envisagé le travail infirmier uniquement comme exécution de la prescription médicale et ce, jusqu’en 1978. Ce n’est qu’à partir de cette époque que la reconnaissance statutaire d’un « rôle propre » autorise une pratique soignante autonome et cherche à affirmer pour les infirmiers une place de collaborateur plutôt que d’exécutant. Montésinos, dans un texte relativement ancien (1977, p. 19) donc antérieur à la définition légale du rôle propre, résume la problématique sociale présentée par le groupe infirmier. De ce point de vue, son propos reste d’actualité quand il déclare que « les infirmières tentent de rejeter la quadruple sujétion de la déesse science, des robots machines, des médecins féodaux et de la bureaucratie administrative »99.

Les différents programmes de formation ont accompagné ces évolutions du métier qui tiennent compte à la fois des progrès des connaissances scientifiques,

99 Montésinos André., Formation des infirmières à l’organisation du travail, Editions Le Centurion, Collection « Infirmières d’aujourd’hui », Paris, 1977.

mais également des rapports sociaux entretenus dans l’univers hospitalier. Ainsi, le niveau d’autonomie des personnels infirmiers doit autant aux velléités émancipatrices de ses membres qu’aux négociations plus ou moins explicites entretenues avec le corps médical. Ce mécanisme est maintenant bien connu et le concept de négociation tel qu’il est développé par Anselm Strauss (1992, op. cit.) s’avère alors particulièrement éclairant afin de comprendre comment les choix des acteurs en situation interagissent avec les contextes structurels (politique de santé, organisation du travail) qui les déterminent en partie et en partie seulement. En effet, bien que les fonctions des divers professionnels de santé soient définies et encadrées par la réglementation, les négociations quotidiennes au sein des services de soins modifient à terme le champ d’exercice (chacun cherchant, selon Strauss, à contrôler ses conditions de travail). A titre d’exemple, Bernard Dropsy écrivait en 1995 que « de nouveaux territoires […] sont concédés, grignotés sur les professions voisines, et surtout sur les médecins […]. Des gains symboliques viennent également modifier l’image sociale de l’infirmière : des rôles d’information, d’éducation, de formation s’ajoutent aux soins proprement dits… ».

Nous pouvons retenir au final que les infirmiers et infirmières françaises doivent composer avec un héritage culturel empreint de références religieuses et de soumission au corps médical100. Aujourd’hui, le corps infirmier cherche à montrer ce qui fait la spécificité de son travail dans une perspective de professionnalisation dont la reconnaissance sociale serait une des dimensions.

Pour cela, il s’agit de développer une pensée autonome – que d’aucuns appellent

« savoir infirmier » – qui, à ce jour, reste tributaire de savoirs empruntés à d’autres disciplines101. L’intitulé du récent – et premier – congrès national

100 Pour aller plus loin sur ce passage de la femme consacrée à la femme auxiliaire du médecin, l’ouvrage de Marie-Françoise Collière (1982, op. cit.) reste une référence, notamment les chapitres 2, 3 et 4.

101 Une large revue de la littérature professionnelle montre que de nombreux auteurs, pour la plupart anglo-saxons, ont proposé des approches théoriques des soins infirmiers. Elles restent confidentielles pour ne pas dire ignorées d’une majeure partie des infirmiers et infirmières en activité. Pour une synthèse de ces différents courants, voir Rosette Poletti (Les soins infirmiers :

infirmier, ainsi que l’intervention inaugurale de la présidente du conseil scientifique sont autant d’exemples qui font état de ce processus de professionnalisation102. Les questions relatives à la formation et à l’évaluation des étudiants doivent par conséquent être considérées dans ce contexte particulier.

théories et concepts, Editions Le centurion, Collection « Infirmière d’aujourd’hui », Paris, 1978) ou Magnon (2001, op. cit. 95-100).

102 Jovic Ljiljana., Les questions posées et les objectifs du congrès in Congrès national infirmier, La réponse infirmière aux besoins de santé en France, l’affirmation d’une discipline, Nantes, 22-24 mars 2006.

CHAPITRE 3 : Contexte sociodémographique de la formation infirmière

Introduction

Ce chapitre vise à fournir un certain nombre de repères sociodémographiques concernant les étudiants en soins infirmiers. Nous observerons combien leur nombre a augmenté ces dernières années pour faire face à la pénurie de personnel dont les divers établissements de santé sont victimes. Le conseil économique et social souligne par exemple que « 40% des postes de soignants seront libérés dans les prochaines années par leurs titulaires qui partiront à la retraite » (Guérel, 2004a)103. Plus précisément, 30% des postes d’infirmières et d’aides soignantes seront bientôt vacants en lien avec « le départ à la retraite des professionnels issus du baby-boom » (Guérel, 2004b)104. En outre, on considère qu’il manque entre 15 000 et 60 000 infirmières en France selon les sources et que, par conséquent, le rythme des étudiants entrant en formation est insuffisant. Parmi les facteurs explicatifs, le conseil économique et social précise que 50 000 infirmières diplômées n’exercent pas (Pinaud, 2004, op. cit. I-31).

Ensuite, la carrière moyenne est courte et semble se stabiliser autour de 12 ans, ce qui reste problématique (Guérel, 2004b, op. cit.).

Les données montrent également que l’augmentation des quotas d’étudiants autorisés à entrer en formation va de pair avec la progression du nombre des arrêts de formation et des échecs aux épreuves finales du diplôme

103 Guérel Marie-France., « Formation : tous concernés », Revue de l’infirmière, Hors-Série, août 2004a.

104 Guérel Marie-France., « La formation, une arme contre la pénurie », Revue de l’infirmière, Hors-Série, août 2004b.

d’Etat (Galaup, Garrachon, 2004, Dion, 2004)105. En d’autres termes, nous aurons l’occasion de le développer, le ratio « étudiants admis en formation/étudiants diplômés » est plus faible depuis l’augmentation massive des quotas par le ministère. Ce constat inquiète les tutelles tant nationales que régionales. Il vient en même temps interroger les pratiques pédagogiques, du recrutement des candidats aux différentes étapes de validation des compétences des étudiants. Un état des lieux s’impose afin de prendre la mesure du contexte dans lequel la formation se déroule, ce contexte imprègne nécessairement les pratiques des professionnels qui participent à l’encadrement et l’évaluation des stagiaires.