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Evaluer les stagiaires : l’hétérogénéité des pratiques et ses effets sur la carrière des étudiants

Au cours de cette deuxième partie, nous mettrons en évidence en quoi les situations qui consistent à évaluer les étudiants en stage subissent l’interférence de facteurs n’ayant parfois que peu de lien à proprement parler avec les finalités formelles de l’épreuve. L’acte d’évaluation ne saurait en effet être réduit à son instrumentation. Il engage pleinement les sujets (évalués et évaluateurs), leurs représentations du monde ainsi que leurs investissements symboliques (Vial, 2001, op. cit. 103). Ainsi, évaluer peut être considéré comme la résultante d’un processus inter-subjectif dans lequel les acteurs en présence agissent.

Corrélativement, évaluer ne peut pas être exclusivement envisagé comme mesure des écarts face à une norme, ce serait en nier la dimension irrémédiablement sociale.

Le principe d’alternance favorise l’expression d’enjeux spécifiques. Par exemple, il ne va pas de soi que les formateurs de l’institut et les formateurs-soignants aient un désir véritable de collaboration. Sous cet angle, l’évaluation des stagiaires vient mettre en tension l’apparente loyauté entre école et terrain de stage (chapitre 5). De même, tout étudiant en stage peut de manière stratégique tenter d’influencer le cours des épreuves qu’il doit subir. Pour cela, il peut bénéficier de la plus ou moins grande complaisance de l’équipe soignante, de son institut de formation (chapitre 6) voire des malades. Ces derniers, loin d’être passifs contribuent à leur manière à l’évaluation des stagiaires en donnant leur avis sur les soins dispensés (chapitre 9). Dans le même ordre d’idée, ceux qui ne collaborent pas directement aux jurys des différentes épreuves – responsables hiérarchiques ou simples collègues des membres du jury – peuvent manifestement indirectement user de leur influence et infléchir certaines décisions (chapitre 8). Les pratiques des formateurs en situation d’évaluation des stagiaires en formation par alternance sont manifestement disparates. L’objet ainsi que les fonctions même de l’évaluation reste ambigus (chapitre 7), ce qui concoure à poser l’hypothèse d’un effet évaluateur voire d’un effet établissement, lesquels orientent pour partie le maintien ou l’exclusion des stagiaires (chapitres 10 et 11).

Les chapitres qui vont suivre ont pour objectif de mettre en évidence quelques facteurs non exhaustifs qui permettent de comprendre combien les

étudiants doivent apprendre à composer avec l’hétérogénéité des pratiques d’évaluation. On peut y voir, outre une contribution à une sociologie de l’évaluation en formation par alternance, une tentative d’élucidation des processus décisionnels en pédagogie dont l’identification participe au développement de la compétence étudiante.

CHAPITRE 5 : L’ambiguïté de la fonction tutorale et ses répercussions sur l’activité d’évaluation

Introduction

L’alternance, dans toute formation, suppose des écarts entre les pratiques professionnelles et les pratiques d’école. Du fait de ces écarts, les étudiants évoquent des difficultés à se repérer entre le discours, les préconisations de l’institut de formation et les pratiques et logiques propres aux infirmiers et infirmières des équipes de soins. Cette situation parait caractéristique des formations alternantes où l’apprentissage nécessite en effet pour les stagiaires d’apprendre à travailler dans des espaces aux exigences parfois contradictoires.

La fonction de formateur suppose alors d’intégrer l’analyse de ces décalages pour permettre les acquisitions de l’apprenant (Malglaive, 1981152 ; Allouche-Bénayoun et Pariat, 1993153 ; Fabre, 1994, op. cit.).

Ces décalages constituent une réalité sociale singulière peu étudiée où les jeux d’acteurs s’exercent. Les acteurs en présence sont les membres de l’équipe qui accueille l’étudiant en stage (les formateurs-soignants), ceux qui représentent l’institut de formation (les formateurs de l’institut) et bien entendu, les étudiants.

Nous retiendrons cette appellation de formateur-soignant car nous la considérons moins ambiguë que celle généralement admise de « formateur de terrain ». D’une part, elle met en évidence la double fonction (soigner des malades, former des stagiaires) que doivent remplir les infirmiers et cadres au sein des services de soins. D’autre part, comme le soulignent Alain Bouvier et Jean-Pierre Obin (1998, op. cit. 5) « pourquoi parle-t-on tantôt de ‘‘formateurs’’ (tout court, si l’on ose dire) et tantôt de ‘‘formateurs de terrain’’ ? Cette expression souligne-t-elle la maîtrise de

152 Malglaive Gérard., Politique et pédagogie en formation d’adultes, Edilig, 1981.

153 Allouche-Bénayoun Joëlle, Pariat Marcel., La fonction formateur : analyse identitaire d’un groupe professionnel, Editions Privat Dunod, Série « Formation et travail social », Paris, 1993.

compétences spécifiques, et alors quelles sont-elles ? Ou bien renvoie-t-elle de façon quelque peu hypocrite à une hiérarchie implicite opposant ‘‘aristocrates’’ et

‘‘roturiers’’ de la formation ? ».

Concernant les formateurs-soignants, la typologie présentée recense trois cas de figure. Ils correspondent à trois discours particuliers de la part des formateurs-soignants, trois types d’encadrement des stagiaires.

Ces discours sont à considérer comme des « idéal-types » au sens de Max Weber (1995, op. cit. 31), c'est-à-dire des constructions sociologiques permettant de décrire la réalité. On pourra considérer l’idéal-type comme une élaboration théorique qui met en évidence des éléments caractéristiques d’un phénomène, ces éléments étant considérés comme les plus typiques ou les plus significatifs.

Cependant, chaque formateur-soignant ne peut être totalement associé à l’une ou l’autre de ces constructions. Les positionnements professionnels sont plus contrastés que toute tentative de modélisation ne pourrait le laisser supposer.

Les formateurs-soignants oscillent donc entre trois types de discours :

- Un premier groupe d’infirmiers, formateurs-soignants, au discours loyal vis-à-vis de l’institut de formation. La recherche de cohérence entre l’institut et le terrain de stage semble première.

Pour ce premier groupe, le savoir véhiculé à l’institut de formation est légitime,

- Un second groupe où les formateurs-soignants se posent en contradicteurs du discours et des pratiques de l’école. Pour cela, ils mettent en avant l’inadéquation de la formation aux réalités des pratiques de soin quotidiennes. Pour ce second groupe, le savoir véhiculé à l’institut de formation n’est pas légitime,

- Un troisième groupe de formateurs-soignants assume plus ou moins son ambivalence et ses conseils paradoxaux. Il occupe une position médiane vis-à-vis des deux premiers groupes. Les formateurs-soignants sont animés par un conflit de loyauté vis-à-vis des formateurs de l’institut de formation et tentent, par des

arrangements locaux, d’accommoder au mieux les logiques en présence.

Le concept de loyauté est au centre de cette première analyse. Il s’avère pertinent en ce sens qu’il permet d’apprécier le degré de cohésion sociale au sein d’un groupe dont les membres sont censés collaborer (Boudon, Bourricaud, [1982], 2000, p. 14)154. Ainsi, le niveau de confiance que les partenaires s’accordent mutuellement est à analyser depuis les groupes d’appartenance auxquels les acteurs estiment être affiliés et il ne va pas de soi qu’une communauté de vues puisse exister sur ce point. La loyauté renvoie à un ensemble de devoirs plus ou moins contraignants qui semblent lier les sujets. Elle semble inexorablement liée au conflit car renvoyant aux attachements multiples des individus, lesquels sont parfois difficilement compatibles comme la typologie suivante va le montrer.

Ce chapitre a également pour objet de mettre en évidence, outre la typologie précédemment citée, les répercussions possibles sur l’activité d’évaluation des stagiaires conduite par les formateurs (soignants ou de l’institut).

Ces répercussions concernent l’évaluation des mises en situation professionnelles où un jury bipartite est constitué mais également celle des stages dont la responsabilité incombe cette fois pleinement aux formateurs-soignants.