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4 Augmentation des quotas : la difficile réorganisation des instituts

Sous l’action conjointe de départs massifs à la retraite, d’une politique de réduction des coûts de la santé imposée par le gouvernement Juppé mais également après la difficile mise en place des 35 heures prônée cette fois par le gouvernement Jospin, les établissements de santé français sont confrontés à une crise du recrutement en personnel infirmier sans précédent. D’autres professions de santé sont concernées, notamment les médecins, mais le volume important d’infirmiers et d’infirmières génère une situation assez singulière quant aux nécessaires mesures correctives à apporter quant au traitement de cette crise.

Ainsi, nous l’avons vu plus haut, le choix d’une augmentation importante des quotas d’entrée en formation infirmière a été fait.

L’ensemble des instituts de formation de France a dû se réorganiser en quelques mois pour intégrer ces nouveaux étudiants. Certains instituts ont du doubler leur capacité d’accueil ce qui, en premier lieu, a nécessité des aménagements architecturaux. En second lieu, le recrutement de nombreux formateurs s’est engagé afin d’assurer le maintien du niveau d’encadrement des étudiants – un formateur pour 15 à 20 étudiants en moyenne. Ce chiffre est donné à titre indicatif car il existe des variations inter-établissements difficiles à cerner, d’autant que le taux d’encadrement réel est en général sensiblement différent de celui qui devrait exister en théorie. Concrètement, le nombre de formateurs est souvent plus faible que ce qu’il devrait être, en lien notamment avec une pénurie

qui touche également les cadres de santé. Autrement dit, tous les postes budgétés ne sont pas occupés.

Deux phénomènes sont alors à noter. Tout d’abord, les équipes pédagogiques ont été majoritairement renouvelées par cet afflux de formateurs.

Certaines d’entre elles voyaient leur nouvel effectif constitué pour plus de la moitié par des débutants en pédagogie. Ensuite, la difficulté pour recruter des formateurs avec un statut et une formation cadre, a conduit à des embauches d’infirmiers et d’infirmières sur des postes de cadres120. Ceux que l’on appelle dans l’univers hospitalier, les « faisant fonction » se sont généralisés à l’image de ce que l’on observe depuis quelques années dans l’encadrement en général (Pinaud, 2004, op. cit. 9). Donc, outre ces formateurs au statut incertain, les équipes pédagogiques composent avec la nécessité de rendre opérationnels leurs nouveaux collègues au plus vite pour « absorber » au mieux ces contingents importants d’étudiants.

Enfin, un autre obstacle est souvent cité parmi les difficultés rencontrées au quotidien, celui de la saturation des terrains de stage (Galaup, Garrachon, 2004, op. cit. 5). Beaucoup de services hospitaliers ont été fermés ou restructurés dans le cadre des différentes politiques de maîtrise des dépenses de santé et cela aura eu notamment pour effet de réduire la capacité générale des établissements à accueillir des stagiaires. Très concrètement, certains services ferment ou réduisent leur activité pendant que les quotas d’étudiants augmentent. Les terrains de stage reçoivent désormais des stagiaires toute l’année, d’autres en accueillent plusieurs en même temps et de professions différentes, le tout étant vécu généralement comme alourdissant la charge de travail des tuteurs de stage.

Dans certaines régions, les étudiants doivent quant à eux, beaucoup se déplacer face à une offre de terrains de stage qui se réduit. En effet, « certains instituts de formation, essentiellement en secteur rural, contraignent les étudiants à une grande

120 Le statut cadre pour exercer en institut de formation est prévu par l’arrêté du 30 mars 1992 relatif aux conditions de fonctionnement des instituts de formation en soins infirmiers, article 5.

mobilité géographique en lien avec l’éloignement des terrains de stage (parfois distants de plus de 100 km vis-à-vis de l’institut) » (Boulet, Joutard, 2005, op. cit.).

Depuis les années 2000-2001, la formation des étudiants en soins infirmiers se déroule dans ce contexte particulier. Il n’est pas sans incidence sur les pratiques quotidiennes d’évaluation et ce d’autant que les textes réglementaires qui régissent la formation et l’évaluation des stagiaires évoluent. Le chapitre suivant permettra entre autres d’élucider ce dernier point.

CHAPITRE 4 : L’évaluation des étudiants en soins infirmiers au cours de leur formation

Introduction

Le second chapitre avait pour objet une description des grands principes historiquement organisateurs de la formation. Nous nous sommes particulièrement attachés à retracer l’évolution des textes réglementaires qui la fondent. Nous avons vu également combien les mutations liées à l’exercice du métier étaient en corrélation avec la nature des rapports sociaux entretenus avec le corps médical dont le discours s’avère prédominant. La formation tente aujourd’hui de s’en dégager pour tendre vers une parole autonome autour de la notion de « rôle propre ». Il faut y voir la trace d’un souci de professionnalisation du groupe infirmier (Carricaburu, Ménoret, 2004, op. cit. 68).

Le troisième chapitre a cherché à donner au lecteur quelques repères démographiques, lesquels permettent de situer la profession et la formation infirmière vis-à-vis des autres professions de santé. L’augmentation massive des quotas d’entrée en formation, afin de faire face à la pénurie de personnel soignant, constitue l’évènement marquant de ces dernières années. Les instituts de formation ont dû se réorganiser en lien avec un renouvellement massif des équipes de formateurs.

Pour commencer ce nouveau chapitre, nous devons évoquer le programme de formation actuel afin d’en préciser les principales orientations. En effet, les formateurs doivent au quotidien traduire des prescriptions réglementaires en actions et séquences pédagogiques. Ces différentes orientations sont données par le programme officiel mais également par des documents internes aux institutions. Par exemple, les instituts de formation travaillent et rédigent leur projet pédagogique (ou projet de formation selon les cas). Ce projet consiste en général à affirmer « localement » les différents choix pédagogiques et conséquemment organisationnels que les équipes en charge de la formation veulent concrétiser. Par ailleurs, certains services hospitaliers élaborent des

projets d’encadrement concernant les stagiaires. Parfois, ces projets ne dépassent pas la simple procédure d’accueil ; parfois, ils s’avèrent beaucoup plus ambitieux. En tout état de cause, les différents partenaires affichent généralement les options qu’ils souhaitent défendre mais comment s’organisent-ils pour les mettre en oeuvre ?

Au cours de cette recherche, nous essaierons d’éclairer cette question qui suppose d’analyser les pratiques pédagogiques et en particulier les pratiques d’évaluation. Par conséquent, nous porterons notre attention sur cette articulation, la traduction du « global » (le programme et les divers textes réglementaires, les projets) en activités (les pratiques réelles en situation).