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Uexküll : Théorie sur les mondes animaux

Chapitre 3. Comprendre la subjectivité animale

3.1 Uexküll : Théorie sur les mondes animaux

Les humains ne peuvent tenter de comprendre les animaux sans faire un effort pour se mettre à leur place. Le philosophe et biologiste allemand Jakob Von Uexküll a élaboré une théorie selon laquelle les humains ont leurs perceptions communes dans leur propre monde, alors que chaque espèce animale a aussi sa perception du monde qui diverge grandement d’une espèce à l’autre. Cette section nous permettra d’exposer sa théorie.

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Uexküll développe la théorie du Umwelt stipulant que chaque individu animal ait une compréhension propre de son monde et qu’il crée des liens avec celui-ci. L’extrait suivant constitue d’ailleurs une introduction pour expliquer comment l’animal constitue son monde à l’aide de ses perceptions : « …tout ce qu’un sujet perçoit devient son monde de la perception, et tout ce qu’il fait, son monde de l’action. Monde d’action et de perception forment ensemble une totalité close, le milieu, le monde vécu »428. L’animal perçoit donc son milieu et ses agissements reflètent ce qui constitue son monde vécu. Enfin, c’est en raison de cette perception singulière que l’auteur fait de l’animal un sujet.

Ensuite, Uexküll nous explique que chaque espèce animale possède ses propres caractères perceptifs distincts de ceux de toutes les autres espèces. Cela fait en sorte que la perception d’un même milieu est différente pour chacune des espèces selon la complexité avec laquelle elles comprennent le monde : « tous les sujets animaux, les plus simples comme les

plus complexes, sont ajustés à leur milieu avec la même perfection. À l’animal simple

correspond un milieu simple, à l’animal complexe un milieu richement articulé »429

. Nous pouvons aussi supposer que les mêmes milieux sont perçus probablement différemment non seulement d’une espèce à l’autre, mais d’un individu à l’autre à l’intérieur d’une même espèce, car ils ne font pas tous exactement le même apprentissage de leur environnement. Un milieu est d’ailleurs à ce point différent d’une espèce à l’autre que la perception du temps et de l’espace changerait pour chacune d’entre elles. Uexküll prend d’ailleurs cette idée en exemple pour souligner qu’il n’y a pas de monde unique partagé entre toutes les espèces : « Trop souvent nous nous imaginons que les relations qu’un sujet d’un autre milieu entretient avec les choses de son milieu prennent place dans le même espace et dans le même temps que ceux qui nous relient aux choses de notre monde humain. Cette illusion repose sur la croyance d’un monde unique dans lequel s’emboiteraient tous les êtres vivants »430. L’auteur cherche ici à déconstruire le préjugé humain selon lequel toutes les espèces percevraient le monde de la même manière.

428 Jakob Von Uexküll. (1956). Mondes animaux et monde humain, Éditions Gonthier, p. 14. 429

Ibid., p.22.

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Dans un autre ordre d’idées, Uexküll inscrit l’action de chaque animal dans ce qu’il appelle le « plan de la nature », ce qui explique en quelque sorte le comportement des animaux, par exemple, lorsque les oiseaux construisent un nid ou que les araignées tissent une toile431. En effet, les animaux, à la différence des humains, ne se fixent pas d’objectifs propres. Ils tendent plutôt à se manifester à travers des actions téléologiques qui sont subordonnées elles-mêmes sur le plan de la nature. Plus précisément, ce plan crée les conditions d’ordre dans la nature : « Sans plans, c’est-à-dire sans les conditions régulatrices qui gouvernent tout, il n’y aurait pas d’ordre naturel, mais un chaos »432

. Le comportement des animaux est aussi compris dans ces conditions régulatrices. Ils agissent en fonction de se coordonner avec ce que la nature attend d’eux afin d’éviter le désordre.

En revanche, malgré ce plan de la nature, les animaux doivent tout de même élaborer eux- mêmes leur milieu en l’interprétant de sorte à pouvoir agir en cohérence avec ce dernier. Leurs actions sont nécessairement orientées par les objets qui se trouvent dans leur milieu, mais aussi limitées par ceux-ci. En agissant avec ces objets, ils leur attribuent un sens ou une signification qui leur est propre. Uexküll explique que « ce sont les actions des animaux projetés dans leur milieu qui confèrent leur signification aux images perceptives grâce à la connotation d’activité »433

. Cette signification est acquise lorsque les animaux font des liens entre l’image qu’ils ont des objets et la manière dont ils agissent avec ceux-ci. Par ailleurs, il arrive que les animaux ne parviennent pas à comprendre complètement les choses qui les entourent. Dans ce cas, nous dirons qu’ils vivent en quelque sorte dans des milieux magiques et que leur logique ne leur permet pas d’interpréter tout ce qui s’y passe. Par exemple, le rôle que joue son maître pour un chien peut probablement pour lui relever de la magie. Il ne comprend pas la logique voulant que cet homme soit son propriétaire434 et adhère pourtant à ce mode de vie.

Ensuite, le même objet dans un environnement peut avoir un rôle différent selon les espèces qui sont en lien avec cet objet. Uexküll prend en exemple le cas d’un chêne : il peut servir d’abri pour un renard qui a creusé sa tanière ou soutenir le nid d’une famille d’oiseau, 431 Ibid., p.51. 432 Ibid., p.52. 433 Ibid., p.55. 434 Ibid., p.74.

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etc435. Uexküll aborde aussi une théorie de la signification montrant que les objets prennent leur signification dans la relation qu’un individu, humain ou animal, entretient avec ces derniers. Par exemple, une pierre sur la route n’a pas la même signification si soudainement elle est prise par un humain pour être lancée à un chien. Elle passe du rôle d’assise pour le pied à celui de projectile436. La signification peut également être subie pour l’animal. Nous pouvons prendre le cas d’une mouche prise dans la toile d’une araignée ; cette toile n’aura aucun sens pour la mouche qui ne fera que subir437.

Bref, même si la théorie d’Uexküll ne considère pas les animaux domestiques, il est pertinent pour un éleveur de garder en tête que ses bêtes ne perçoivent pas leur entourage commun de la même manière. Nous expliquerons plus loin comment concilier les mondes humains et animaux dans un cadre de domestication. Nous retenons cependant que les vaches et les éleveurs ne comprennent pas leur milieu de la même manière et peut-être subissent-elles la signification des robots dans leur environnement.