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Chapitre 3. Comprendre la subjectivité animale

3.2 La phénoménologie et le statut animal

3.2.2 La diversité des statuts

Pour Burgat, les philosophes, agissant dans une perspective anthropocentrée, n’ont pas su rendre justice à la nature de l’animal qui ne leur servait qu’à comprendre la nature de

435

Ibid., p.78-79.

436 Ibid., p.86. 437 Ibid., p.130.

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l’homme438. De plus, elle croit que puisque l’humain réfléchit par opposition des contraires, « rien ne se dit positivement de l’humain qui ne se dise en même temps négativement de l’animal »439

. Cette manière d’ainsi opposer les caractéristiques des humains et des animaux pour mieux les définir n’aurait pas été établie à l’avantage des êtres animaliers. L’auteure affirme également que les animaux participent à la constitution du monde, qu’ils nous aident à le concevoir et à le comprendre440. Elle nous montre que notre rapport direct avec eux dépasse celui de la science. En effet, lorsque nous les rencontrons, ils nous sont donnés de manière intuitive. Nous nous en rendons compte par le fait que nos agissements avec eux ne relèvent pas de connaissances théoriques441, mais d’une certaine spontanéité. Nous n’avons pas nécessairement besoin de connaissances scientifiques à leur sujet pour les comprendre, car nous pouvons prendre conscience de leur intériorité de manière immédiate par le phénomène de leurs expressions. De surcroît, les humains se font des représentations de l’animal qui constituent en fait une figure de l’autre. Par le fait même, elles nous permettent de nous identifier comme humain. L’autre dans ce cas-ci est l’animal qui « serait cet être différent sur lequel l’humanité repose »442. Cette forme de comparaison agit en fait comme un miroir pour l’humain, ce qui pose la question de nos origines et nous permet de comprendre comment nous détacher d’eux.

Dans cet ordre d’idées, il est pertinent de comprendre pourquoi les humains souhaitent attribuer des statuts aux animaux. En effet, il s’agit d’un besoin qui vient des humains. Les animaux, de leur côté, même s’ils sont en mesure de transmettre à l’humain qu’ils n’aiment pas subir tel ou tel traitement, ne revendiquent pas eux-mêmes de statut. En tout état de cause, il est évident qu’ils ne le réclament pas, ne sachant pas l’effet que cette condition aurait sur eux. Ce dernier agira de la même manière vis-à-vis de l’humain, peu importe le statut qui lui est donné. C’est donc l’humain qui s’impose cette réflexion, car lui-même a besoin de tels cadres de pensée.

438 Marie Gaille. (août-septembre 2009). « « Inquiétudes » animale et humaine face à la différence entre les

vivants. Florence Burgat, Liberté et inquiétude de la vie animale », Critique, Libérer les animaux, p.2.

439

Ibid., Gaille p.2. Elle cite Florence Burgat. (2006). Liberté et inquiétude de la vie animale, Paris, Kimé, p.27.

440 Florence Burgat. (2012). Une autre existence : la condition animale, Paris, Albin Michel. p.253. 441 Ibid., p.254.

442

Jacques Hassoun. (1998). « Une figure de l’autre », Dans Boris Cyrulnik, Si les lions pouvaient parler, essais sur la condition animale, Paris, Éditions Gallimard, p.1115.

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Par ailleurs, nous constatons que la perception des animaux change à mesure que nous avons perdu le contact avec plusieurs espèces que nous fréquentions autrefois. Cela s’explique effectivement par le fait que la plupart des animaux que nous utilisions pour le travail ont été remplacés par des machines. Nos sociétés cherchent à effacer l’animal de travail de son quotidien, comme en témoigne la création de viande synthétique en laboratoire. Pour certains, le fait de ne pratiquement plus employer d’animaux est une nouveauté de notre époque443 qui représente une coupure non seulement avec le passé, mais avec une forme de rapport qui disparait progressivement avec l’animal : « À de rares exceptions près, nous n’avons plus besoin du travail des animaux. Mais nous avons toujours besoin d’eux, […] Peut-être est-ce par sa présence d’être vivant à la fois semblable et différent de nous que l’animal nous est nécessaire. Semblable, il nous permet de nous comparer, différent, de nous distinguer. Il constitue, en somme, un terme de référence qui nous aide à nous situer dans le monde et à construire notre conscience d’être humain… »444. Ces propos expliquent bien l’évolution de la condition animale, en montrant que leur place auprès de nous est nécessaire, même si nous écartons les animaux de notre mode de vie. Il ne reste donc qu’à certains que la présence des animaux de compagnie qui ne va pas de soi pour tous : « L’animal de compagnie ne procure qu’une compagnie factice. Il n’est plus que le substitut d’une nécessité qui a disparu »445

. Dans un contexte où le contact avec l’animal ne repose que rarement sur le travail ou l’échange de services, il faut se questionner sur ce que représentent les animaux de compagnie.

Une diversité de statut a été pensée pour les animaux, allant du philosophique au juridique et étant de différents types, comme l’animal sujet-d’une-vie de Tom Regan446. De nos jours, tous ces statuts servent à donner un cadre entourant les pratiques faites aux animaux. En effet, plusieurs personnes préfèrent plutôt associer les animaux à des êtres sans statut afin de ne pas avoir à se demander comment elles doivent les traiter lorsqu’elles les exploitent. Un autre exemple se trouve dans l’élevage industriel qui place l’animal essentiellement

443

François Sigaut. (1998). « Compagnie des animaux utiles et utilité des animaux de compagnie », dans Boris Cyrulnik, Si les lions pouvaient parler, essais sur la condition animale, Paris, Éditions Gallimard, p.1082.

444 Ibid., p.1084. 445

Ibidem.

110 dans un statut d’animal nourricier447

de sorte à ne pas avoir à le traiter autrement que comme une marchandise. Nous reviendrons plus tard au statut à donner à l’animal en fonction de sa subjectivité. Nous verrons dans la prochaine section en quoi considérer qu’il existe une spécificité humaine peut être un frein à attribuer un statut à l’animal.