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Définition du bien-être animal

Chapitre 2. Les implications éthiques de la relation à l’animal

2.4 Importance de la relation pour le bien-être animal

2.4.1 Définition du bien-être animal

La notion de bien-être animale est très équivoque et très difficile à cerner, puisqu’elle a été définie différemment selon les domaines et les époques. Cependant, elle concerne toujours la question du bon traitement des animaux371. Ce n’est que récemment dans l’histoire occidentale que nous nous sommes tourné vers des indicateurs scientifiques pour comprendre la qualité de vie des animaux afin de quantifier cette dernière et améliorer la réflexion sur le bien-être animal qui, avant le XXe siècle, était plutôt d’ordre philosophique372. Le recours à la science pour définir le bien-être animal permet en fait d’apporter des aspects à la définition que la philosophie ne peut pas couvrir. La réflexion ne peut cependant se contenter non plus de n’être que de teneur scientifique. De nos jours, la définition du bien-être se doit donc de faire appel à plusieurs indicateurs pour être correctement évaluée, car aucun ne suffit en lui-même pour circonscrire ce terme. Nous pouvons penser que pour évaluer le bien-être animal le seul critère d’éviter la souffrance

370 Ibid., p.306.

371 Melissa F. Elischer. (2015). « Dairy Cow Welfare in Automatic Milking System », Michigan State

University, p. 1. Elle s’appuie sur David Fraser. (2008). Understanding Animal Welfare: The Science in its Cultural Context. Wiley-Blackwell, a John Wiley & Sons, Ltd. Publication. Oxford, United Kingdom.

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suffirait, mais il n’en est rien. En fait, le concept de souffrance lui-même manque de précision, car nous pouvons par exemple choisir de le définir en tenant compte de la souffrance physique ou mentale. À cet effet, nous pouvons considérer l’intégrité physique d’un animal comme un critère nécessaire au bien-être, mais insuffisant, puisque les animaux d’élevage peuvent s’adapter à de mauvaises conditions qui nuisent à leur physique, comme le confinement373.

La vision du bien-être change aussi selon la position entretenue par rapport à l’animal. Pour le consommateur, le bien-être serait surtout une image rattachée à une vision idéalisée que le citadin se fait de l’élevage374. Il est néanmoins éloigné du monde rural et n’en connait pas la réalité. Il juge parfois certaines pratiques contraires à l’éthique bien qu’il n’en connaisse pas le fondement, la finalité et comment l’animal ressent cette pratique. Du côté de l’éleveur, il peut associer le bien-être animal à une « contrainte réglementaire venant de l’extérieur, en décalage complet avec les contraintes et les objectifs du métier […] »375

. Il considère plutôt qu’il est apte à apporter du bien-être à ses animaux par lui-même. Ainsi, nous pouvons constater que le bien-être peut être une question de perception.

La zootechnie implique elle aussi une vision particulière du bien-être animal. Dans cette discipline, cet enjeu était traité par les agronomes « sous l’angle des effets délétères du stress sur la santé des animaux et la qualité des produits »376, de sorte que le bien-être d’un animal était évalué en fonction de son rendement : d’une part, parce que s’il est productif, il est dit que c’est à cause de son épanouissement ; d’autre part, parce que son bien-être sera davantage favorisé s’il permet de le rendre plus productif. Dans cet ordre d’idées, les zootechniciens soutenaient qu’il faut respecter le bien-être d’un animal si ce dernier est productif377. Cette vision est également projetée chez l’éleveur : « Pour l’éleveur, les indicateurs de performance zootechnique sont le garant de la bonne santé du troupeau. […] L’idée implicite est que l’animal ne peut produire que s’il est en bonne santé, au sens

373 Florence Burgat. (2001). « Bien-être animal : la réponse des scientifiques », dans Florence Burgat et

Robert Dantzer, Les animaux d’élevage ont-ils droit au bien-être ?, Paris, Inra. p.118.

374 Ibid., p.116.

375 Op cit., Porcher. (2002). p.24.

376 Florence Burgat et Robert Dantzer. (2001). « Introduction », dans Florence Burgat et Robert Dantzer, Les

animaux d’élevage ont-ils droit au bien-être ?, Paris, Inra. p.2.

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physique et mental du terme »378. Bref, la zootechnie a contribué à engendrer chez l’éleveur une conception du bien-être animal centrée sur la productivité et la bonne santé.

Cependant, cette manière d’évaluer le bien-être comporte ses lacunes, car « les indicateurs de production sont le plus souvent estimés au niveau du groupe379 » et ne permettent pas d’identifier les problèmes sur le plan individuel. Cette perception du bien-être à partir des indicateurs cherche à standardiser le bien-être des individus comme s’ils avaient tous besoin des mêmes éléments pour être satisfaits. De plus, il ne faut pas oublier que les indicateurs de production ont d’abord été pensés dans un but économique et non pour favoriser le bien-être de l’animal380. Il est alors peu justifié de les utiliser pour évaluer la condition des individus. En outre, certains éléments rendant les animaux plus productifs peuvent concrètement être des facteurs nuisant à leur bien-être. Par exemple, pour une vache, une production accrue de lait est plus susceptible de lui causer des mammites381.

Par ailleurs, la définition du bien-être animal change selon les contextes et les époques. Par exemple, l’idée d’inclure des critères d’autonomie et de liberté dans le bien-être animal est relativement récente382. Ces nouveaux critères sont entre autres mis de l’avant par des compagnies comme Lely qui cherchent à montrer que laisser l’animal être autonome et choisir le déroulement de sa journée consiste à respecter son comportement naturel, car dans la nature, c’est lui qui établit sa routine. Cet aspect va de pair avec une compréhension du bien-être animal voulant qu’un animal soit bien s’il peut agir conformément au comportement qu’il aurait dans son milieu naturel. Néanmoins, considérant que beaucoup d’espèces d’animaux domestiques n’ont plus de congénère à l’état sauvage, il s’avère ardu d’identifier leurs comportements dits naturels. De plus, en favorisant ingénument un bien- être animal qui priorise ses besoins comportementaux naturels, nous risquons de revenir à une vision de l’animal qui ne le considère pas pleinement. Il s’agit effectivement d’une conception de l’animal comme d’« une machine programmée par son code génétique pour

378 Robert Dantzer. (2001). « Comment les recherches sur la biologie du bien-être animal se sont-elles

construites ? », dans Florence Burgat et Robert Dantzer, Les animaux d’élevage ont-ils droit au bien-être ?, Paris, Inra. p.94.

379 Ibidem. 380 Ibidem. 381

Ibidem.

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effectuer certains comportements »383, laquelle est plutôt désuète. Si certains comportements sont génétiques, d’autres se développent surtout en lien avec l’environnement ; dans ces cas, les animaux ne souffrent pas de ne pas pouvoir exercer des comportements qu’ils n’ont jamais connus384

.

Pour en revenir à l’inclusion de la liberté dans le bien-être animal, il est possible de répondre aux compagnies produisant des robots de traite. En effet, les auteurs Driessen et Heutnick se tournent vers Foucault et son concept de discipline pour montrer qu’au contraire, le robot exerce une forme de contrôle sur l’animal385

, ce qui est perceptible par le fait que l’animal ne peut recevoir de concentré que s’il accepte de se faire traire par la machine. À partir de cet exemple, force est de remettre en question l’idée que l’animal se rend volontairement au robot. Sa liberté se retrouve alors troquée contre sa discipline d’aller à la traite deux fois par jour. C’est dorénavant la vache qui est jugée responsable de sa traite, ce qui engendre des attentes envers elle qui n’étaient pas présentes avant que le robot de traite ne trouve sa place dans son environnement386. Or, s’il ne répond pas à ces nouvelles attentes, il se peut qu’il ne puisse plus participer à la vie de la ferme. De surcroît, si nous considérons que les robots de traite éliminent parfois le pâturage pour des raisons pratiques, il s’agit d’une autre manière de restreindre les libertés des animaux qui se retrouvent désormais confinés à l’intérieur. Certains agriculteurs demeurent parfois prêts à effectuer ce compromis, même s’ils reconnaissent que le pâturage est sain physiquement et mentalement pour les animaux387. Enfin, il est pertinent de se demander si cette liberté contrôlée dont bénéficieraient les vaches participe réellement à leur bien-être, malgré les avantages qu’offre le robot de traite.

Malgré la difficulté de bien rendre le concept du bien-être animal, en 1993, l’organisme anglais The farm Animal Welfare Council a énoncé cinq libertés qui doivent servir de fondement au bien-être animal. Il s’agit de « l’absence de soif, de faim et de malnutrition ; l’absence d’inconfort ; l’absence de douleur, de blessures et de maladies ; la possibilité

383 Op cit., Dantzer. p.96. 384 Ibid., p.97.

385 Op cit., Driessen et Heutnick. p.11. 386

Ibidem.

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d’exprimer les comportements naturels ; l’absence de peur et de stress »388

. Cette définition est largement utilisée en agriculture au Québec pour se doter de repères communs afin de prendre soin des animaux. De notre point de vue, cette approche comporte aussi ses limites, car elle ne va pas au-delà des besoins physiques des animaux domestiques. De plus, pour être en mesure de vérifier quels sont les comportements naturels des animaux, il faudrait leur donner un environnement adéquat « où les comportements sont libres d’entraves »389, entre autres en les laissant en plein air. En somme, ces cinq libertés sont critiquées, car elles ne prennent pas en considération les perceptions et le monde subjectif des animaux390.

De son côté, devant les multiples définitions du bien-être animal qu’il répertorie, Robert Dantzer rassemble sous trois catégories les types de caractérisation : « La première met l’accent sur l’état de santé, la seconde fait jouer un rôle important aux capacités d’adaptation et la troisième prend en compte le monde subjectif de l’animal »391. L’auteur note toutefois qu’une « définition minimale » du bien-être persiste et elle constitue en « un état de bonne santé physique et mentale, caractérisé par l’absence de maladie, de stress, de douleur et d’inconfort. Mais le bien-être a une connotation plus large que l’absence de maladie. Le bien-être désigne plutôt l’état dans lequel on est quand on peut réaliser toutes ses aspirations. […] dans un environnement donné, le bien-être devrait se traduire, pour un observateur extérieur, par une harmonie entre un individu et son environnement »392. Dantzer explique ensuite, en s’appuyant sur Donald Broom, que l’harmonisation avec l’environnement peut passer par l’adaptation : « […] le bien-être est l’état d’un individu au regard des tentatives qu’il fait pour s’adapter à son environnement »393

. Puis, il explique que pour savoir si un animal est en mesure de répondre à ses aspirations, il faut qu’il soit en mesure de pouvoir agir selon ses « comportements naturels » et qu’il demeure en santé394.

En outre, le bien-être a longtemps été assimilé ou confondu avec la notion d’adaptation. Toujours selon Dantzer, la logique de cette association s’explique de la manière suivante : 388 Op cit., Burgat. (2001). p.107. 389 Ibid., p.108. 390 Op cit., Dantzer (2001). p.86. 391 Ibidem. 392 Ibid., p.86. 393 Ibidem. 394 Ibidem.

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[…] le milieu dans lequel l’animal est placé sollicite ses capacités d’adaptation de façon plus ou moins intense en fonction des contraintes du milieu sur le fonctionnement normal de l’animal. Ce n’est pas parce que l’animal doit s’adapter à un milieu contraignant qu’il va souffrir. L’animal ne souffre que s’il n’arrive pas à s’adapter, c’est-à-dire s’il ne peut mettre en place les éléments réactionnels dont il dispose […] ou si le coût de cette adaptation est tel que son état de santé physique s’en trouve compromis395.

En fait, il nous semble que cette vision du bien-être animal peut être commode dans les milieux d’élevage et d’exploitation des animaux, car elle permet de les traiter d’une multitude de façons, notamment en misant sur une capacité de pouvoir s’adapter à plusieurs situations qui est définie arbitrairement. Par ailleurs, il est possible de déterminer lorsqu’un animal n’arrive pas à s’adapter à un milieu, puisqu’il développe des comportements anormaux396. L’exemple le plus représentatif de cette idée est la stéréotypie, qui s’explique comme une « séquence de mouvements à peine ébauchés, exprimés de façon répétée et sans utilité apparente »397. Ces comportements anormaux peuvent durer de quelques minutes à plusieurs heures, sont fréquents398 et associés à des milieux qui n’offrent pas suffisamment de stimulations aux animaux qui les habitent. De plus, les stéréotypies sont parfois interprétées par certains comme le comportement naturel de l’animal, mais il s’agirait de son comportement naturel en situation de confinement, car il s’agirait d’une « stratégie générale d’ajustement au milieu »399

. En ce sens, il nous semble que résumer la question du bien-être à l’adaptation n’est pas non plus suffisant et peut créer une confusion, car l’adaptation est aussi un concept équivoque. En fait, il arrive qu’au lieu de chercher à savoir si l’animal est bien, les spécialistes chercheront à vérifier s’il arrive à s’adapter à de mauvaises conditions de l’élevage industriel400

, comme dans le cas du gavage auquel les animaux s’habituent sans toutefois que cela ne leur plaise ou ne soit sain pour eux.

Pour conclure, cette partie consistait en une tentative de développement du concept de bien- être animal. Nous avons montré que chacun des éléments pouvant servir à définir cette notion n’est pas suffisant en soi et qu’il faut plutôt additionner ceux-ci tout en les nuançant pour mieux comprendre le bien-être animal. Cette difficulté à circonscrire le concept nous montre bien sa complexité et nous fait voir que l’industrie agricole ne peut le réduire à un 395 Ibid., p.87. 396 Ibid., p.94. 397 Ibidem. 398 Ibidem. 399 Op cit., Burgat. (2001). p.120. 400 Ibid., p.122.

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seul aspect, comme il le fait parfois avec l’évitement de la souffrance, la productivité ou encore, l’adaptation. En tout état de cause, ce n’est pas les animaux qu’il faut adapter aux systèmes d’élevages intensifs, mais Burgat nous explique qu’il « faudrait adapter les systèmes de production aux besoins éthologiques et physiologiques des animaux »401. Enfin, la notion de subjectivité qui a été brièvement énoncée comme facteur de bien-être animal sera davantage abordée dans le courant de notre troisième chapitre. La prochaine partie se penchera donc sur l’importance des relations dans le bien-être.