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Typologie, liens entre les pratiques et interactions

1.3. Définition de la pratique

1.3.3. Typologie, liens entre les pratiques et interactions

Schatzki (1996) introduit une distinction entre ce qu’il appelle « pratiques intégratives » et « pratiques dispersées ». Les premières sont les pratiques les plus complexes se trouvant dans et constitutives de domaines particuliers de la vie sociale (Schatzki, 1996), comme, la cuisine, l’agriculture ou le domaine des affaires. En revanche, les pratiques dispersées comprennent

Compréhension commune (Signification)

Contrôle de gestion : Quoi contrôler, quand,

avec qui, où

Connaissances et compétences pratiques et tacites (Compétence) Comment contrôler Infrastructures matérielles (Matériel) Contrôle de gestion : outils, moyens matériels, logiciels,… La pratique du contrôle de gestion

Les composants ou éléments de la pratique sociale du contrôle de gestion (Adaptation du modèle développé par Strengers (2009) ; Strengers et Mallers (2011))

163 « la description, l’explication, le questionnement, les rapports, l’examen et l’imagination » (Schatzki, 1996). Elles peuvent prendre place dans des domaines ou entre des domaines et des sous-champs différents.

À l’instar des activités (ou des « faits et gestes ») qui sont liées entre elles pour former une pratique, les pratiques sont interconnectées avec d’autres pratiques (par exemple, les pratiques de cuisine et les pratiques d’achat de nourriture, d’aliments). Elles se constituent mutuellement au sein de systèmes politiques, économiques, juridiques et culturels plus ou moins formels (Røpke, 2009). Giddens (1984) soutient que chaque pratique est façonnée par un large domaine de relations de pouvoir, d’infrastructures et de technologies. Chaque pratique participe à la formation de larges systèmes sociaux.

Les pratiques sont liées entre elles à travers les significations (sens), les compétences et les objets qu’elles partagent. Les pratiques sont également liées par d’autres moyens : par exemple, certaines sont complémentaires comme la cuisine et les achats de produits alimentaires. D’autres pratiques peuvent être remplacées mutuellement comme les différents modes de transport. Les pratiques peuvent également être reliées au sein de groupes (par exemple, toutes les activités impliquées dans la conduite et l’entretien d’une voiture).

Certaines pratiques peuvent être effectuées individuellement (lire un livre ou faire une promenade). Mais de nombreuses activités impliquent une sorte d’interaction avec les autres comme, par exemple, jouer au football. Shove et Pantzar (2005) n’incluent pas explicitement l’interaction, probablement parce que leur apport met l’accent sur les composants de la pratique sans décrire les activités quand il définit la pratique. Røpke (2009), à l’instar de Schatzki, préfère mettre explicitement l’accent sur les activités et prendre en compte l’importance de l’interaction. Selon Jarzabkowski (2004), la pratique est un processus d’évolution de l’ordre social qui émerge de l’interaction entre la structure sociale externe et la structure sociale interne. Sztompka (1991) définit la structure externe comme un large contexte sociétal dans lequel il y a un mouvement social « ce qui se passe dans la société ». La structure interne est tout groupe donné engagé dans sa propre construction locale de la pratique « ce que les gens font ».

Jarzabkowski et Whittington (2008), en lien avec leurs travaux sur la stratégie, soulignent que les praticiens de la stratégie sont définis de façon large, afin d’inclure tous ceux qui sont directement impliqués dans la réalisation de la stratégie (les managers et les consultants) et

164 ceux qui exercent une influence indirecte (les décideurs politiques, les médias…) qui façonnent la praxis et les pratiques légitimes.

En conclusion, une pratique implique des individus (ceux qui réalisent la pratique), un contexte dans lequel la pratique est réalisée et un ensemble d’activités interconnectées qui composent la pratique. Ces trois éléments constituent les thèmes centraux de la théorie de la pratique que nous explicitons dans la section suivante.

Section 2 : les fondements de la théorie de la pratique

Pour la théorie de la pratique, le social est abordé différemment que dans les approches individualistes ou holistes (Reckwitz, 2002). Si ces approches situent le social plutôt à un niveau micro ou à un niveau macro, selon les théories de la pratique les phénomènes sociaux dérivent de la praxis sociale. Les auteurs de la théorie de la pratique cherchent à réconcilier le « micro » et le « macro » à travers la conceptualisation de la « praxis » sous forme d’activités localement situées (sphère micro) et des « pratiques » comme des types routiniers de comportement qui s’étendent dans le temps et dans l’espace (sphère macro) (Schiller- Merkens, 2007).

Selon Whittington (2006), la théorie de la pratique est fondée sur trois thèmes centraux. Le premier thème est la « société ». Les auteurs de la théorie de la pratique mettent l’accent sur la manière dont le social (compréhensions partagées, règles culturelles, langages et procédures) définit les pratiques qui guident et permettent l’activité humaine. La notion de social fait référence à la notion de « champ » chez Bourdieu (1980) ou celles de « systèmes » chez Giddens (1984). Cette influence du social sur l’activité humaine est conceptualisée par Foucault (1993) à travers la manière dont les pratiques disciplinaires guident les attentes et le comportement. De manière analogue, Bourdieu (1980), à travers la notion d’« habitus », introduit l’idée de l’incorporation inconsciente de traditions et de normes sociales dans la conduite humaine. Les acteurs ne sont pas des individus « atomisés » mais ils font partie du social.

Le deuxième thème met l’accent sur l’activité en tout genre. Pour Whittington (2006), les auteurs de la théorie de la pratique s’intéressent à l’activité réelle des individus « en

165 pratique ». Les pratiques sociales sont suivies ou mobilisées « en pratique » par les individus en fonction des exigences de la situation.

La distinction entre « pratiques » et ce qui est réalisé « en pratique » renvoie au troisième thème de la théorie de la pratique à savoir les acteurs. L’activité dépend des compétences et de l’initiative de ces acteurs. Bourdieu (1980) présente l’exemple des joueurs de cartes qui peuvent jouer la même main de manière différente en fonction de leur compétence et du déroulement de la partie. Ces acteurs ne sont pas considérés comme de simples automates mais comme des interprètes astucieux des pratiques.

Les trois thèmes de la théorie de la pratique sont donc les « pratiques » présentes au sein des organisations et dans les champs sociaux auxquels elles appartiennent, l’activité réelle des acteurs que Whittington (2006) nomme « praxis » et les acteurs qualifiés de « praticiens ». La théorie de la pratique ne traite pas ces trois thèmes de manière séparée mais elle les considère comme des parties interdépendantes d’un ensemble (Giddens, 1984).