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Les limites des approches classiques pour l’étude du contrôle de gestion à l’hôpital

Les limites des approches fonctionnalistes dans l’étude du contrôle de gestion sont liées à la fois aux hypothèses qui les sous-tendent mais également aux spécificités de l’hôpital public. Les approches fonctionnalistes ont fait l’objet de plusieurs critiques. Ces critiques pointent leur incapacité à rendre compte des phénomènes observés (Morales et Sponem, 2010). Elles ne permettent pas de décrire les situations telles qu’elles sont vécues par les praticiens et de fait leur proposer des solutions qui leur paraissent utiles. Elles laissent peu d’espace à l’interprétation, à la subjectivité et au relativisme dans la compréhension, par les acteurs, de l’information produite par un système de contrôle. De ce fait, elles ne s’intéressent pas aux conséquences de l’information de contrôle et à la manière dont elle est utilisée par les acteurs. Ces approches mettent peu l’accent sur les acteurs et sur leurs pratiques. En ignorant les acteurs et la manière dont ils interprètent l’information émanant du contrôle de gestion, ces

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approches ne renseignent pas sur la dynamique du contrôle de gestion.

L’approche bureaucratique présente deux aspects qui rendent son application à l’hôpital difficile. Le premier est qu’elle conçoit l’organisation comme un système fermé. De ce fait, elle ne prend pas en compte l’influence du contexte et de l’environnement sur les systèmes de contrôle. Le deuxième aspect de l’approche bureaucratique est l’hypothèse que le contrôle est fondé sur des mécanismes formels en termes de règles, d’objectifs, de système de récompense et de standardisation. Cet aspect du contrôle suppose une homogénéité de la production avec possibilité de standardisation. La production de l’hôpital de par sa nature ne se prête pas à la standardisation. Les objectifs peuvent être fixés en termes du volume d’activité produit. S’il est impossible de fixer des règles et de standardiser les produits et leur consommation de ressources, il existe néanmoins des règles comme la durée moyenne de séjour et le taux d’occupation des lits. En revanche, il n’est pas possible de fixer des standards sur le produit lui-même à savoir les soins. Il n’est pas possible de fixer pour un médecin la manière dont il doit prendre en charge le patient. Quel est le temps que doit consacrer le médecin au patient ? Quel est le volume de produits (médicaments, sang, autres matériels) que doit consommer chaque patient ?

Si nous considérons chaque type de séjour (GHM) comme produit, l’hôpital est une organisation multiproduit. Même au sein de chaque GHM, la standardisation n’est pas possible pour deux raisons. La première est que même si le séjour des patients est classé dans le même GHM, il n’est pas sûr que les moyens consommés sont les mêmes pour tous les séjours du GHM. La deuxième est que la détermination du GHM dans lequel sera classé le séjour est faite a posteriori (à la sortie du patient) et non a priori (à son arrivée à l’hôpital). Le classement du séjour dans un GHM ne dépend pas du service dans lequel le patient est hospitalisé mais de tous les actes et examens que le patient aurait suivis pendant son séjour à l’hôpital. Mais, une approche bureaucratique ne permet pas de renseigner sur la manière dont les opérationnels essayent de se conformer à ces règles. En négligeant le contexte, elle ne permet pas non plus d’identifier les facteurs qui impactent le respect de ces règles par les opérationnels. Or, pour se conformer à ces règles, les opérationnels interagissent avec le contexte et avec d’autres acteurs internes et externes à l’hôpital.

Hofstede (1978) fait la critique de l’adaptabilité de l’approche cybernétique en contrôle de gestion à l’hôpital public. Sa critique est fondée sur les hypothèses de l’approche cybernétique :

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Existence de standards pour l’évaluation de la performance (efficacité et efficience) dans l’atteinte des objectifs de l’organisation ;

Possibilité d’identifier une unité de mesure de la performance. Cette unité est liée aux outputs et correspond au rapport entre les outputs et les inputs ;

La comparaison des résultats avec les standards permet d’identifier les écarts. Ces écarts permettent d’entreprendre les actions correctrices au niveau du processus pour réduire les écarts.

Hofstede (1978) souligne les limites de l’approche cybernétique dans certains secteurs, ces limites sont liées à leurs spécificités. Il s’agit par exemple des activités indirectes (non directement liées au processus de production) dans les entreprises marchandes et des organisations non marchandes comme les écoles, les hôpitaux. En effet, les trois hypothèses nécessaires à la validité du modèle cybernétique ne sont pas réunies dans ces organisations. L’applicabilité de l’approche cybernétique à l’hôpital est confrontée aux mêmes limites que l’approche bureaucratique notamment en matière de fixation de standards pour la production hospitalière. Comment fixer les standards à l’hôpital ? Quelle est l’unité de mesure à l’hôpital et comment mesurer la performance ?

Le modèle cybernétique fait le lien entre les inputs et les outputs avec un processus qui relie les deux extrémités dans un système de production. Il peut être également adopté sous forme de processus qui relie les objectifs fixés en amont avec des résultats constatés en aval. La comparaison entre les deux permet d’analyser les écarts et de mettre en place les actions correctives. Conçu de cette manière, le système cybernétique porte peu d’attention aux actions entreprises au sein du processus qui permet d’atteindre les objectifs fixés. Les études de processus par exemple s’intéressent aux systèmes et aux processus dans les organisations comme des unités d’analyse (Chakravarthy et Doz, 1992 ; Chakravarthy et White, 2002) et négligent la pratique qui se trouve au sein de tels processus (Brown et Duguid, 2000). Autrement dit, la question qui se pose est liée à ce que font les individus qui participent au processus et qui sont-ils. Au sein de l’hôpital, ce sont les acteurs opérationnels (médecins et infirmiers) qui sont au cœur du processus. L’analyse des écarts entre les objectifs fixés et les résultats obtenus ne peut être faite sans porter une attention à ce que font ces acteurs opérationnels pour réaliser les objectifs fixés.

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La théorie de la contingence et la théorie de l’agence sont deux autres illustrations des limites des approches dominantes dans l’étude du contrôle de gestion à l’hôpital. La théorie de la contingence présente une vision restrictive et statique des voies par lesquelles les systèmes de contrôle sont affectés par un certain nombre de facteurs (Hopwood dans Miller, 1994, p. 18). Selon cette approche, la forme du contrôle dépend des conditions environnementales. Même si la relation entre l’organisation et l’environnement est considérée comme dialectique (Neimark et Tinker, 1986), la théorie de la contingence fournit peu d’informations sur les processus d’interaction entre les changements de l’environnement et des technologies, d’une part, et le changement des systèmes de contrôle, de l’autre.

Selon Preston et al. (1992), bien que les systèmes de contrôle puissent être contingents, ils le sont de manières beaucoup plus spécifiques que par rapport aux seules caractéristiques générales de l’environnement comme suggéré par la théorie de la contingence. De telles caractéristiques générales ne peuvent pas expliquer la forme particulière ou la nature du changement qui s’opère dans les systèmes de contrôle.

De surcroît, l’approche contingente est fondée sur la notion de l’« individu rationnel » dans l’étude du lien entre le contexte et les systèmes de contrôle. Cette notion suppose un climat organisationnel où les individus associent, sciemment ou inconsciemment, leur utilisation des stratégies de contrôle avec les variables du contexte pour atteindre efficacement les objectifs de l’organisation (Perrow, 1979). Il y a donc nécessité d’étudier les pratiques des acteurs pour analyser la manière dont ils intègrent les variables du contexte et les objectifs de l’organisation dans leurs pratiques. La théorie de la contingence suppose de manière implicite que le changement du système de contrôle sous l’effet du contexte implique le changement des pratiques opérationnelles. Elle ne s’intéresse pas à la manière dont les acteurs opérationnels, à travers leurs pratiques, contribuent à la réalisation des objectifs stratégiques de l’organisation ainsi que les objectifs recherchés par le contrôle de gestion à savoir l’efficacité, l’efficience et l’économie.

La théorie de l’agence, de son côté, présente un certain nombre de limites dans l’étude du contrôle de gestion. Preston et al. (1992) estiment que la théorie de l’agence ne permet pas d’expliquer les modes de création des systèmes spécifiques de contrôle et la manière dont ces systèmes changent. De surcroît, la théorie de l’agence explique la nature des systèmes de contrôle et de budgétisation en fonction des intérêts prédéterminés des principaux et des agents. Or, les intérêts émergent au cours du processus de création des systèmes budgétaires

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et peuvent changer par la fabrication des systèmes budgétaires. Les intérêts n’existent pas indépendamment des systèmes budgétaires. Il est donc difficile d’étudier les intérêts des acteurs sans s’intéresser à leurs pratiques ni à leurs interactions pendant les épisodes budgétaires.

Selon Baiman (1982, p. 155), la théorie de l’agence met l’accent sur la relation contractuelle optimale entre les parties dans la recherche du meilleur avantage économique. Dans le secteur hospitalier, une telle relation contractuelle existe entre l’administration, les soignants et les patients. Chaque partie agit dans le but de maximiser son avantage économique. Or, on ne peut pas étudier la manière dont chaque partie essaie de maximiser son avantage économique sans étudier la manière dont elle le fait c’est-à-dire ses pratiques. La théorie de l’agence présente donc deux limites pour l’étude du contrôle de gestion à l’hôpital. Elle considère l’organisation comme un système fermé où le rôle du contrôle de gestion est lié à l’existence d’objectifs propres pour deux parties : le principal et l’agent. Le principal déléguant à l’agent un service à effectuer en contrepartie d’une compensation. Donc, elle ne prend pas en compte l’impact du contexte sur le système de contrôle de gestion. La deuxième limite de la théorie de l’agence est qu’elle s’intéresse uniquement au principal (qui peut être représenté à l’hôpital par la direction) et à l’agent (qui peut être représenté par les soignants). Or, au sein de l’hôpital, les deux parties (les administratifs et les soignants) sont en interaction avec d’autres acteurs externes et internes.