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Le contrôle externe budgétaire et la comptabilité analytique

Selon Nyland et Pettersen (2004), le budget et la comptabilité dans la gestion du secteur public ont souvent été considérés comme des moyens de planification et de reporting. Cependant, à travers les différentes réformes du secteur public, le budget et la comptabilité sont aussi devenus des dispositifs de contrôle (Olson et al., 1998). Les systèmes de comptabilité contribuent à la construction d’organisations plus rationnelles, en particulier, des hôpitaux rationnels où les individus peuvent être contrôlés sur le fondement de responsabilités attribuées (Miller, 1992 ; Roberts et Scapens, 1985). Les services publics ont tendance à être contrôlés à travers des systèmes de comptabilité ou par l’intermédiaire de procédures d’évaluation qui comparent les objectifs aux résultats (Power, 1997).

En France, le modèle des groupes homogènes de malades (GHM) peut être considéré comme un instrument du pouvoir gestionnaire et confirme l’hypothèse du contrôle externe de

110 l’activité médicale. En effet, le modèle des GHM et le système de comptabilité analytique sont développés par le ministère, afin de mieux contrôler le système de santé dans son ensemble, compte tenu des contraintes de financement auxquelles il est soumis. II existe ainsi une absence de contrôle interne et plus particulièrement de pilotage car ce n’est pas l’objectif visé par les autorités de tutelles (ministère et agences régionales de santés) pour mettre en œuvre ces outils de gestion (Nobre, 2001).

Tant la littérature française qu’internationale mettent l’accent sur deux modalités de contrôle au niveau hospitalier. La première modalité est un contrôle des résultats à travers le système de tarification à l’activité fondé sur le modèle de DRG dont le corollaire en France est le GHM dans le cadre du PMSI.

La deuxième modalité de contrôle se matérialise par une comptabilité analytique hospitalière censée permettre aux responsables hospitaliers, notamment les directeurs, un meilleur pilotage de l’activité et du budget de l’hôpital.

2.2.1. Un contrôle externe limité au contrôle budgétaire des résultats

La logique de budgétisation est traditionnelle dans la sphère publique. Preston et al. (1992) soulignent que le système de contrôle budgétaire est présenté comme un moyen pour influencer la planification, l’allocation et l’utilisation des ressources et les méthodes d’évaluation de la performance à plusieurs niveaux (régions, districts et hôpitaux) du NHS (National Health Service) au Royaume Uni. La logique budgétaire a induit la mise en place de tableaux de bord dans le système hospitalier (Leteurtre et Vaysse, 1994 ; Merlière et Kieffer, 1997) présentant les caractéristiques des tableaux de bord traditionnels utilisés par les entreprises et ayant trois caractéristiques : une forte logique financière et budgétaire, un objectif de reporting interne et un fonctionnement centralisé. À l’hôpital, ces outils sont destinés à être utilisés par la direction générale pour le suivi budgétaire, avec en arrière-plan un objectif de justification par rapport aux tutelles (Nobre, 2001).

La loi du 31 juillet 1991 qui vise notamment l’accroissement de l’autonomie des établissements et le développement de la responsabilité des acteurs, pose surtout les bases pour une gestion accrue des coûts. Cela est illustré par la démarche contractuelle préconisée par la loi du 24 avril 1996 (Alvarez, 2011). La contractualisation, qui traduit une volonté de responsabilisation des acteurs, est mise en place à deux niveaux (Marquet, 1996) : (1) de

111 manière obligatoire entre l’établissement et la tutelle : il s’agit du contrat pluriannuel d’objectifs et de moyens (déjà prévu dans la loi de 1991) ; (2) de manière facultative à l’intérieur de l’établissement : il s’agit de la délégation par centre de responsabilité. Ces délégations, sans cesse élargies, qu’induit le contrôle de gestion, ont pour corollaire « le contrôle des moyens mis à disposition. C’est pourquoi s’impose la pertinence d’une démarche systématique d’évaluation des coûts et de la mesure de l’efficacité des activités » (Merlière et Kieffer, 1997).

La France introduit un contrôle des résultats dans le secteur public. Cela se traduit, dans les hôpitaux publics français, d’une part par un réaménagement du mode d’allocation des ressources et, d’autre part, par des changements organisationnels au sein de la structure. (Georgescu et Naro, 2012). À l’instar de la Loi Organique relative aux Lois de Finance (LOLF), mise en œuvre dans la fonction publique d’État, le train de réformes dans lequel s’inscrivent la nouvelle gouvernance (mise en place des pôles dans les hôpitaux) et la T2A, semble largement inspiré des logiques du nouveau management public. Affichant l’ambition d’une gestion plus responsable, efficiente et efficace, ces réformes dites de « modernisation », visent à substituer une logique de résultats à une logique de moyens et, instaurent ainsi, un contrôle organisationnel fondé sur le contrôle des résultats (Georgescu et Naro, 2012).

L’émergence des centres de responsabilité a été renforcée par la réorganisation de l’hôpital public en pôle d’activité. Ces derniers, financés en fonction du montant de l’activité qu’ils déclarent réaliser, perçoivent des recettes supplémentaires en cas d’objectifs budgétaires dépassés ou, a contrario, voient leur financement se réduire si l’activité déclarée diminue par rapport à l’exercice précédent. (Georgescu et Naro, 2012).

L’introduction de la T2A et la réorganisation interne de l’institution hospitalière poursuivent un objectif déclaré d’orienter cette dernière vers plus d’efficacité et d’efficience. Ainsi, ces transformations financières et organisationnelles orientent l’hôpital, dominé par un contrôle professionnel, vers un autre mode de contrôle organisationnel à savoir le contrôle par les résultats. Le financement en fonction l’activité déclarée introduit un lien de dépendance direct entre les ressources perçues et la production réalisée (Georgescu et Naro, 2012).

Ainsi, les conditions nécessaires et suffisantes qui sous-tendent l’existence d’un contrôle par les résultats (Sponem et Chatelain-Ponroy, 2010) semblent réunies : une division de l’hôpital en pôles d’activités disposant d’une autonomie de gestion, des objectifs de performance

112 établis en fonction du niveau d’activité à atteindre, une mesure de l’activité par le PMSI et un système de sanction récompense visant à financer les pôles en fonction de leur activité déclarée (Georgescu et Naro, 2012).

Selon Nobre (2001), le contrôle budgétaire implique une notion de performance conduisant à un suivi de conformité. La performance consiste en un degré maximal d’adéquation entre la consommation de ressources et la prévision, sans que le résultat obtenu et son impact n’entrent vraiment en ligne de compte. II s’agit ainsi d’un contrôle externe puisqu’il a pour objectif d’informer les financeurs de l’affectation des ressources. Ce contrôle se révèle peu opérationnel dans la mesure où les informations utilisées ne sont pas déclinables en actions par le centre opérationnel au sens de Mintzberg (1982).

2.2.2. La comptabilité analytique et le tableau du « case-mix »

Les systèmes de comptabilité à l’hôpital sont traditionnellement au service du contrôle externe et sont destinés à rendre compte (Paulsson, 2012). Comme le rappelle Halgand (2000), les outils développés correspondent aux besoins de régulation de la tutelle. La comptabilité analytique développée à l’initiative du ministère de la Santé privilégie ainsi un contrôle budgétaire (Nobre, 2001).

Selon Paulsson (2012), les systèmes de calcul des coûts issus du secteur industriel sont implémentés à l’hôpital de telle manière que les coûts associés à des patients ou des groupes de patients puissent permettre d’évaluer la profitabilité des différentes « lignes de produits » de l’hôpital (Chua et Degeling, 1991 ; Preston, 1992). Un des objectifs de la comptabilité analytique hospitalière est le calcul du coût par GHM.

En plus de son rôle dans la détermination des tarifs de remboursement des séjours (GHS) à travers l’alimentation de la base ENCC, la comptabilité analytique permet à chaque hôpital de construire son « Tableau Coût de Case-Mix (TCCM) ».

Le « tableau coût case-mix (TCCM) » permet de comparer les données de coûts et d’activité d’un établissement avec les données de la base de l’Étude Nationale de Coûts (ENC). L’objectif est de comparer les dépenses directes et indirectes d’un établissement aux dépenses d’un établissement fictif disposant du même case-mix (ensemble des séjours réalisés à l’hôpital). Cette démarche permet d’identifier les spécificités, en termes de structure de coûts

113 ou d’activité, d’un établissement par rapport à l’échantillon des établissements de l’ENC participant au référentiel.

Le rapprochement entre les recettes issues des GHM (T2A) et les coûts engendrés (à travers le TCCM) fournit des informations permettant de guider l’allocation des ressources et l’évaluation de la performance des différentes sous-unités de l’hôpital (Fetter et Freeman, 1986 ; Fetter et al., 1991). Cette approche assume que le GHM / DRG et le « case-mix » cherchent à représenter fidèlement les coûts (Covaleski et al., 1993).

Selon Covaleski et al. (1993), le « case-mix » fournit aux administrateurs de l’hôpital un moyen de mesure de l’efficacité de la production et encourage les comparaisons entre les services et les médecins. Il établit ainsi une relation entre les décisions médicales et administratives (Thompson et al., 1979 ; Fetter et al., 1980 ; Fetter et al., 1991). Eastaugh (1987), par exemple, suggère que les hôpitaux pourraient et devraient utiliser les DRG / GHM et le système du case-mix pour offrir uniquement des produits qui promettent un certain seuil de profitabilité. De plus, les patients qui ne peuvent pas être soignés de manière profitable pour l’hôpital devraient être dirigés ailleurs pour être traités (Fetter et Freeman, 1986 ; Eastaugh, 1987).

Le DRG et le « case-mix » peuvent aussi servir pour la redistribution du pouvoir au sein des hôpitaux. L’hôpital est une « bureaucratie professionnelle » (Mintzberg, 1979). Les médecins ont longtemps agi en tant que praticiens autonomes et ont longtemps possédé le pouvoir organisationnel (Freidson, 1986 ; Abbott, 1988 ; Scott et Backman, 1990) ; par exemple, les médecins prennent traditionnellement des décisions unilatérales en matière d’admission des patients, de traitement, de durée de séjour et de fin de séjours (Covaleski et al. 1993).