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Les limites des approches dominantes dans l’étude du contrôle

La recherche académique en contrôle durant les années 1970 s’intéresse aux analyses économiques et aux modèles quantitatifs. Les chercheurs en contrôle de gestion adoptent une approche économique pour la prise de décision. Le contrôle est fondé sur des modèles mathématiques, simples ou complexes, qui prescrivent ce que les praticiens doivent faire. Scapens (2006).

Selon Scapens (2006), l’idée dominante est que toutes les théories sont développées et qu’il suffirait de les communiquer aux praticiens. Ces derniers, conscients des nouveaux modèles, les appliquent en pratique. Il souligne que les chercheurs estiment qu’ils ont développé la théorie et les techniques de contrôle de gestion que les praticiens doivent utiliser. Ainsi, le rôle essentiel des académiques est conçu comme étant la communication des analyses économiques aux étudiants pour qu’ils deviennent la nouvelle génération de praticiens. Les praticiens du contrôle de gestion doivent donc apprendre comment appliquer les nouveaux modèles économiques.

123 Le courant de recherche dit « dominant » se caractérise par une vision objective du monde, par un comportement individuel déterministe, par l’utilisation de l’observation empirique et une méthodologie de recherche positiviste (Hopper et Powell, 1985 ; Chua, 1986 ; Ryan et Scapens, 2002 ; Andon et Baxter, 2007 ; Tuttle et Dillard, 2007). De surcroît, les recherches fondées sur le courant dominant s’appuient sur des données empiriques et se limitent généralement à des données publiques disponibles dans les bases de données. Or, la plupart des données intéressantes dans le domaine du contrôle de gestion ne sont pas publiques (Ittner et Larcker, 2001).

Le contrôle de gestion au sein de l’hôpital public est une illustration parfaite des limites des approches classiques en contrôle de gestion. La perspective orthodoxe soutient que l’objectif du contrôle est de faciliter la prise de décisions rationnelles à travers la représentation de la réalité économique et technique de l’organisation (Ijiri, 1965 ; Homgren, 1977 ; Cooper et Kaplan, 1991 ; Chandler et al., 1991). Ainsi, le contrôle en général et le modèle des DRG (GHM en France) et le système de comptabilité (case-mix) en particulier représentent une réalité économique et technique de l’hôpital. Contrairement à la perspective orthodoxe, la théorie institutionnelle (par exemple, Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983) met l’accent sur les aspects sociaux et comportementaux déterminant les pratiques de contrôle. Cette perspective suggère qu’on ne peut pas comprendre des pratiques organisationnelles et réglementaires comme le modèle des DRG (GHM) et la comptabilité « case-mix » uniquement en référence à la rationalité générale de leurs propriétés structurelles. Covaleski et al. (1993) estiment qu’il est possible de caractériser plus précisément des pratiques telles que le modèle DRG (GHM) et la comptabilité « case-mix » comme étant de nature sociale. L’objectif principal de ces pratiques est d’exprimer et de démontrer une conformité aux règles et aux attentes institutionnalisées (Meyer et Rowan, 1977 ; DiMaggio et Powell, 1983). Contrairement à la perspective orthodoxe, l’approche institutionnelle estime que la survie d’une organisation exige autant la conformité aux normes sociétales que l’atteinte de niveaux élevés d’efficacité et d’efficience de la production.

La théorie institutionnelle a fait l’objet de critiques dont les plus importantes portent sur les questions du pouvoir et du découplage. En ce qui concerne le pouvoir, Perrow (1985, 1986) souligne que la théorie institutionnelle ne porte pas une attention au pouvoir et aux intérêts des groupes. Or, comme nous l’avons présenté précédemment, l’hôpital public se caractérise par l’existence d’un contrôle par le « clan » (Ouchi, 1980) exercé par les professionnels de

124 santé notamment les médecins. Concernant le découplage, Meyer et Rowan (1977) soulignent que les organisations tendent à éviter un dysfonctionnement massif en « découplant » leurs systèmes d’images externes et relativement simplistes de leurs processus opérationnels internes, complexes et relativement idiosyncratiques.

Selon Tolbert (1988, p. 101, 109), bien que la perspective institutionnelle établisse explicitement le lien entre les attentes du niveau macro (ou du contexte) et les pratiques organisationnelles au niveau micro (voir, par exemple, DiMaggio et Powell, 1983, p. 154- 156), la recherche s’est concentrée presque exclusivement sur les effets macro, laissant les pratiques institutionnalisées au sein des organisations non examinées.

La théorie de la contingence et la théorie de l’agence sont une autre illustration des limites des approches dominantes dans l’étude du contrôle de gestion à l’hôpital.

La théorie de la contingence est rejetée pour son appréhension restrictive et statique des voies par lesquelles les systèmes comptables sont affectés par un certain nombre de facteurs (Hopwood dans Miller, 1994, p. 18). Selon cette approche, la forme du contrôle dépend des conditions environnementales. Même si la relation entre l’organisation et l’environnement est considérée comme dialectique (Neimark et Tinker, 1986), la théorie de la contingence fournit peu d’informations sur les processus par lesquels les environnements changeants, les technologies opérationnelles changeantes et les systèmes de contrôle changeants interagissent. Selon Preston et al. (1992), bien que les systèmes de contrôle puissent être contingents, ils le sont de manières beaucoup plus spécifiques que par rapport aux seules caractéristiques générales de l’environnement comme suggéré par la théorie conventionnelle de contingence. De telles caractéristiques générales ne peuvent pas expliquer la forme particulière ou la nature changeante des systèmes de contrôle.

Preston et al. (1992) estiment que la théorie de l’agence ne permet pas d’expliquer les modes de création des systèmes spécifiques de contrôle et la manière dont ces systèmes changent. De surcroît, la théorie de l’agence explique la nature des systèmes de contrôle et de budgétisation en fonction des intérêts prédéterminés des principaux et des agents. Or, les intérêts émergent au cours du processus de création des systèmes budgétaires et peuvent changer par la fabrication des systèmes budgétaires. Les intérêts n’existent pas indépendamment des systèmes budgétaires.

125 Dominantes jusqu’au début des années 1980, les approches fonctionnalistes ont commencé à faire l’objet de plusieurs critiques. La principale réside dans l’incapacité du courant dominant à rendre compte des phénomènes observés (Morales et Sponem, 2010). De surcroît, le modèle dominant a été critiqué pour sa difficulté à rendre compte des situations telles qu’elles sont vécues par les praticiens et son incapacité à leur proposer des solutions qui leur paraissent utiles. Selon Bromwich (2007, p. 14), « ce type de recherche, très technique et formel, ne peut être transféré directement dans les pratiques ». Ainsi, « dans de nombreux cas les théories économiques ne peuvent pas expliquer de manière complète les pratiques observées » (Ittner et Larcker, 2001, p. 395), et « les disciplines économiques ne donnent pas une image suffisamment riche et claire des activités internes de l’organisation pour guider les concepteurs de systèmes de contrôle » (Otley, 1999, p. 363).

Le point commun entre les courants critiques envers le courant dominant en recherche en contrôle de gestion est la non-adoption des postulats économiques et une conception du contrôle comme « phénomène à la fois organisationnel et social » (Hopwood, 1976, p. 3). Il s’agit notamment de prendre en compte de manière plus explicite des « questions de pouvoir, d’influence et de contrôle » (Hopwood, 1976, p. 3).

Le contrôle de gestion peut être étudié à travers une approche moins objectiviste et moins réaliste. Cette manière d’étudier abandonne les abstractions des approches économiques et adopte une logique de l’interaction, des actions et du réseau (Macintosh et Quattrone, 2010). En effet, les modèles économiques, les métaphores biologiques et les compréhensions structuralistes sont utiles mais laissent peu d’espace à l’interprétation, à la subjectivité et au relativisme dans la compréhension de l’information produite par un système de contrôle, de ses conséquences et de la manière dont cette information est utilisée.

Une variété de théories et un nombre d’approches méthodologiques différentes commencent à être utilisés pour étudier les pratiques du contrôle de gestion. Ces nouvelles approches visent à étendre le domaine théorique, de l’économique à un travail interprétatif et des perspectives critiques fondés sur la théorie sociale.