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Le contrôle de gestion et le pouvoir des acteurs hospitaliers

2.3. Le contrôle de gestion à l’épreuve des spécificités de l’hôpital public

2.3.2. Le contrôle de gestion et le pouvoir des acteurs hospitaliers

L’hôpital public constitue un cadre favorable à un renouvellement de la réflexion sur les systèmes de contrôle, qui « procède largement du contexte des entreprises employant des acteurs à forte identité professionnelle, associant des champs de compétence reconnus et variés et développant des gestions en réseau ce qui implique coordinations, synergies et démarches stratégiques communes » (Cauvin, 1999). Ces caractéristiques fondamentales déterminent les enjeux du contrôle du point de vue de sa constitution, de sa finalité, de ses interactions avec l’environnement et de son évolution (Schmitt, 1994, p. 16). Sur le plan organisationnel, la complexité des processus se traduit par une hyperspécialisation des tâches, et plus globalement, par une professionnalisation de la structure qui débouche sur une bipolarisation de la carte des pouvoirs, axée sur les sphères gestionnaires et médicales (Halgand, 1995).

Selon Alvarez (2011), le domaine de la santé utilise « des référentiels professionnels puissants » et nourrit « des préventions fortes envers les démarches de gestion » (Cauvin, 1999). Gauthier et al. (1975, p. 26) précisent à ce sujet qu’un certain « humanisme » propre à la profession tend à rejeter toute approche quantitative, chiffrée, des divers domaines de l’activité hospitalière. Debrosse (1994, p. 89) enfin, souligne que « […] tous ces éléments, recueillis et analysés, sont les outils d’une démarche stratégique, en rupture avec l’exercice traditionnel de la médecine. Il faut reconnaître que la mutation recherchée est particulièrement forte. Il est donc compréhensible que le corps médical résiste ».

Le service rendu (ou produit) par l’hôpital est réalisé lors d’un « moment de vérité » où le client (patient) interagit en face-à-face avec le médecin ou l’infirmier. La gestion n’a aucune influence sur ce qui se produit du fait que le service rendu (le soin) est créé par la combinaison des qualifications et de la compétence des professionnels et au regard de la situation. Dans beaucoup de cas, la vie et la mort des patients dépendent des qualifications professionnelles des médecins et des infirmiers. De ce fait, la coordination des activités

118 médicales peut difficilement s’opérer uniquement à travers des règles mais elle nécessite une gestion guidée par le jugement professionnel et les pratiques médicales acceptées (exemple : procédures opérationnelles standardisées) (Pettersen, 1995).

Le budget est un mécanisme administratif formel de contrôle conçu suivant les principes bureaucratiques du contrôle (Paulsson, 2012). Plusieurs travaux de recherche démontrent que les professionnels (médecins et infirmiers) sont en conflit quand ils sont invités à participer à cette forme de contrôle (Scott, 1966 ; Hall, 1967 ; Copur, 1990 ; Raelin, 1991). Une des solutions pour éviter ce qui peut être qualifié de conflit « professionnel-bureaucratique » est d’éviter la confrontation entre les professionnels et les systèmes bureaucratiques qui restreignent l’autorégulation de leurs activités (Abernethy et Stoelwinder, 1995). En raison de l’environnement financier et politique actuel auquel les hôpitaux doivent faire face, les professionnels subissent une pression pour s’impliquer dans le budget et les autres formes administratives de contrôle (Paulsson, 2012).

Selon Mintzberg, la partie la plus importante d’une organisation professionnelle est le centre opérationnel, dominé par les cliniciens. Le système comptable reposant sur le modèle des DRG / GHM peut alors être analysé comme une tentative de conquête de pouvoir émanant de la technostructure aux dépens du corps médical (Halgand, 1997).

L’approche de la bureaucratie professionnelle développée par Mintzberg (1982) permet d’appréhender le rôle central joué par le centre opérationnel, c’est-à-dire le corps médical. L’analyse proposée par Mintzberg montre comment les médecins et les chirurgiens détiennent le pouvoir. La spécificité et la spécialisation de leur activité leur ont permis jusqu’à récemment de constituer une zone interdite à tout membre extérieur au « clan » au sens de Ouchi (1980) et Merchant (1982). Selon Pettersen (1995), la complexité du processus de production au sein de l’hôpital confère aux professionnels qui fournissent les soins (médecins et infirmiers) le monopole de la production (pour exercer l’activité médicale il faut être médecins). Les normes et les valeurs professionnelles sont la plateforme sur laquelle est fondée l’évaluation de la qualité (seuls les chirurgiens peuvent évaluer les résultats des traitements chirurgicaux). Quand l’évaluation est fondée sur les normes professionnelles, les professionnels ont le monopole de l’information et de l’évaluation. Ce double monopole de la production et de l’évaluation confère aux professionnels à l’hôpital une position unique de

119 supériorité (suprématie) à travers de fortes normes d’autorité légitime. Ainsi, on découvre un mode de contrôle par le « clan » à l’hôpital (Ouchi, 1980).

Le modèle de la bureaucratie professionnelle décrit les rapports de pouvoir existant au sein de l’hôpital avec la prédominance du corps médical (Nobre, 2001). Quand les processus de production dépendent de l’expertise des professionnels, ces derniers bénéficient d’une autonomie considérable au sein des organisations (Abernethy et Stoelwinder, 1995).

Raelin (1989) souligne qu’il existe un risque de « choc de cultures » quand les professionnels (médecins) appartiennent à une organisation bureaucratique. Selon Abernethy et Stoelwinder (1995), le conflit entre les professionnels et les normes et valeurs bureaucratiques est réduit quand les professionnels travaillent dans un environnement où les contrôles de la production ne restreignent pas l’autorégulation de leurs activités.

Certes, les démarches découlant des procédures budgétaires sont nécessaires pour le contrôle de la consommation des ressources dans le cadre d’une gestion centralisée des différentes unités appartenant à un même établissement. Néanmoins, elles se révèlent incapables de favoriser un pilotage effectif des activités en aidant les différents acteurs à guider leur prise de décision et leurs actions (Nobre, 2001). Le budget représente une preuve externe de l’adhésion de l’hôpital aux plans et aux décisions gouvernementales mais il n’est pas une preuve d’efficience. Ainsi, l’évaluation met plus l’accent sur la conformité avec les règles que sur les résultats atteints (Scott, 1992, p. 124). Le contrôle à l’hôpital est enraciné dans les décisions cliniques et non dans l’évaluation administrative (Pettersen, 1995).

2.3.3. Le contrôle de gestion face au découplage entre planification et action