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Typologie d’ambiance d’une journée extraordinaire

Cette période de l’année est d’autant extraordinaire que l’Etat intervient, visiblement, pour imposer une ambiance particulière à ce mois. Il concourt « dans tous les secteurs de la vie collective en aménageant et en décorant des espaces publics traditionnels, en organisant la vie sociale, religieuse, culturelle, et économique »11. Outre ces mesures,

l’Etat interdit, par des lois en vigueur, la vente et la consommation publique des boissons alcoolisées, il ordonne la fermeture des restaurants et des cafés tout en tolérant certaines exceptions, à condition que celles-ci soient discrètes. Il accommode la vie sociale et culturelle en adaptant la journée de travail au rythme du ramadan et en instituant des manifestations artistiques et folkloriques d’animation nocturne.12

On dénote parmi les éléments de mise en scène spécifiques au mois du ramadan : - La réactivation des fontaines jaillissantes.

- « Lumière d’ombre » : L’observation faite pendant le ramadan coïncidait avec le projet de mise en lumière du centre de Tunis. Le projet intitulé « lumière d’ombre » a été proposé par l’artiste français Yann KERSALE qui crée des fictions lumineuses et poétiques par un travail narratif sur l’âme et la mémoire des villes. Ainsi la fin du mois d’octobre 2005 était marquée par la conception d’un long parcours lumineux allant de Bab Bhar à la gare du TGM. Des projecteurs ont été accrochés sur les trottoirs et les lanternes des candélabres étaient habillées de cagoules en lycra rose fuchsia, afin de diminuer l’éclairage existant, « on en tirera un effet de flamme de bougies » dit Samia AKROUT YAICH, Directrice de l’ASM de Tunis13.

- Les devantures des boutiques : Pendant cette période, nous remarquons que les commerçants des articles de cérémonies étalent leurs articles sur les voies piétonnes, devant leurs boutiques. Nous pouvons dire qu’ils se mettent plus en scène que pendant les jours ordinaires, où ils se contentent des coulisses.

- Les restaurants et les cafés maures : Pendant le mois de ramadan les terrasses de cafés se désertent pendant la journée, les établissements baissent leurs rideaux et les clients se font discrets. L’espace extérieur de détente, dans les circonstances ordinaires, accueille, pendant cette période, d’autres pratiques et acquiert une image différente jusqu’à la rupture du jeûne.

Dans cette période événementielle, le spectacle présenté est aussi spécial que la mise en scène. La palette d’usage se développe. Elle implique, en plus du commerce formel, des activités d’échange informelles ; et les pratiques de détentes incluent, outre les jeux enfantins et l’action contemplative (dite aussi de méditation), les réunions (c'est-à-dire les pratiques de rencontre dans les cafés maures pour jouer aux échecs, aux cartes…etc) et les loisirs (par lesquels nous désignons la fréquentation des

11 Ibid, p189. 12 Ibid, p190. 13 Idem.

spectacles musicaux proposés par les salons de thé). Le mobilier urbain est détourné en fonction de ces nouvelles pratiques ; Les voies piétonnes font fonction d’étal pour les boutiques des articles de cérémonie, les parasoleils des terrasses de café se substituent en murs vitrines, les marches des terrasses des cafés servent de fauteuil pour les usagers et les sacs de sables, posés aux pieds des projecteurs, de canapés. À travers ces comportements et ces gestes de marquage, les usagers investissent l’espace de nouveau sens et contribuent à la création de nouvelles images.

Le tableau suivant illustre les ambiances relevées sur la place, pendant le Ramadan et les images qu’elles engendrent.

Tableau n° 2 : Tableau des ambiances relevées lors une journée extraordinaire

Ambiances Emplacement Image dégagée

Ambiance de traversée Toute la place Canal

Ambiance d’échange légal14 Les bords internes Foire

Ambiance de transgression15

-

Centre de la place : les alentours des lampadaires ;

-

Sur les bords internes de la place : aux entrées des souks, sous les arcades de l’ancienne consulat, et à l’entrée de la rue des glacières.

Cachette, planque

Ambiance de transfert16 Les bords externes de la place Gare Ambiance de rencontre Les alentours de la porte Carrefour

jeux d'enfants sur les bords nord internes. Le centre de la place, la placette et Parc public

méditation17

-

Les bords de la place, la placette et sur la limite entre les deux ;

-

Les bords internes de la placette.

Salle de spectacle retrouvailles18 Les bords internes de la placette. Club

Ambiance de détente

loisirs l’entrée des souks- Les bords ouest de la place –à Salle de spectacle Ambiance de repos sur la limite entre les deux. Les bords de la place, la placette et Café

Ambiance de découverte des souks. Les alentours de la porte et à l’entrée Musée

On note suite à ce tableau que :

La place se ‘spécialise’ : Nous remarquons l’extension spatiale des ambiances de détente pendant le Ramadan. La notion même de ‘détente’ s’est élargie. Ceci dit, les jeux d’enfants usent toujours des mêmes lieux sur la place, mais sur un espace temporel plus important de la journée. Les actions de contemplation - qui existaient

14 Ambiance relative aux activités de commerce formel. 15 Ambiance relative aux activités de commerce informel. 16 Ambiance relative aux activités de transport.

17 Ambiance relative aux activités de contemplation. 18 Ambiance relative aux réunions.

déjà pendant les jours ordinaires - s’emparent d’un plus grand rôle tant spatial que temporel. Les ‘spectateurs’ s’approprient des espaces ponctuels éparpillés sur toute la place : les terrasses des cafés, leurs marches, les masses cubiques bordant la place et la placette, les bacs à fleurs délimitant la place centrale, les grands bacs à palmier, les sacs de sables au pied des projecteurs posés à côté de la porte et au centre nord et sud de la place…. La salle étant au complet, certains contemplatifs préfèrent rester debout sous les arcades de l’ancien consulat, au pied de la porte, devant les boutiques, ou adossés aux sacs à sable jouxtant les projecteurs. La notion de détente peut aussi couvrir les pratiques relatives au temps libre: les moments de repos et les moments de découverte sont des moments de distraction. Il s’ensuit une image dominante de parc public englobant des espaces communs tel qu’une salle de spectacle, un club et une buvette, autour d’un espace historique.

- Une fragmentation spatiale : tout comme dans les jours ordinaires, la pluralité des ambiances urbaines sur la place Bab Bhar fragmente l’espace. Bien plus un même lieu peut produire diverses ambiances. Les terrasses des cafés par exemple sont autant des lieux de détente que de commerce informel. C’est ce que confirme Larbi CHOUIKHA en parlant des « discontinuités spatiales et temporelles »19, les mêmes

lieux d’un même espace peuvent faire l’objet d’une multitude d’usage territoires, et ce, selon les moments et le contexte global. Cependant le découpage temporel des ambiances extraordinaires sur la place Bab Bhar décèle deux séquences principales, pouvant être subdivisées en ‘sous-séquences’ secondaires. Ces deux moments s’articulent autour de la rupture du jeûne.

On a attribué à ces activités une note selon leur intensité le long de la journée allant de « 0 » lorsqu’elle n’a pas lieu à « 4 » quand elle est très fortement pratiquée. Le « 1 » correspond à une faible intensité d’usage, le « 2 » à une moyenne intensité d’usage et le « 3 » à une activité importante.

Il en ressort le classement des ambiances extraordinaires, en trois catégories : • Des ambiances exclusivement diurnes, relatives aux pratiques de transport et de découverte. Le repos, classé parmi les pratiques exclusivement diurnes, n’est pas pour autant absent, mais il demeure imperceptible le soir à cause de l’expansion des pratiques de contemplation : les spectateurs occupent les sièges le long de la soirée et ne laissent pas d’espace vacant pour la pause.

• Des ambiances exclusivement nocturnes, relatives aux activités de loisirs, d’échange illégal (des ambiances de transgression) et de retrouvailles, spécifiques au mois de ramadan. Les mesures prises par les autorités pour adapter la vie sociale et culturelle au rythme du Ramadan favorisent ces pratiques. Les soirées ramadanesques de la place Bab Bhar sont animées par des manifestations artistiques et folkloriques. Les cafés maures permettent aussi une convivialité fondée sur

l’appartenance aux quartiers avoisinants ; les fréquenter répond à un besoin de s’identifier à une communauté locale. Cela favorise les réunions nocturnes au sein des cafés maures.

• Des ambiances tout au long de la journée : l’ambiance d’échange légal, les rencontres, les jeux d’enfants, les ambiances de méditation et celles de traversée. Sur ces cinq pratiques précitées, deux relèvent de la détente : les jeux d’enfants et les actions de contemplation. Nous pouvons en déduire, par ailleurs la dominance temporelle des comportements de distraction ; la place paraît favoriser une ambiance de détente le long de la journée.

Ces trois catégories évoluent, le long de la journée, chacune autour du rythme ramadanesque particulier de la vie sociale. Elles sont illustrées par les courbes suivantes20 :

Figure n° 1 : Courbes d’évolution des pratiques nocturnes21

0 1 2 3 4 5 18H 20H 22H 24H 02H heure in te ns ité

ambiance de traversée ambiance d'échange légal ambiance de transgression

ambiance de rencontre ambiance de jeux ambiance de méditation

ambiance de retrouvailles ambiance de loisirs

On note à l’observation de ces courbes que la majorité des ambiances se déclenchent tout juste après à la rupture du jeûne, et progressent à un rythme évolutif. Les pratiques de passage, qui ne s’interrompent presque pas tout le long de la journée, reprennent vers 18h à une cadence assez importante. En fait c’est la colonne qui soutient toutes les autres formes d’usage sur la place. Par ailleurs des autres comportements spatiaux, à savoir, le commerce formel, les rencontres et les pratiques de détente, se développe en parallèle suite à la rupture du jeûne. Les loisirs et le commerce informel ne prennent place que plus tard. Ceci dit le salon de thé commence à recevoir ses clients à 18h, mais le spectacle n’est présenté qu’à partir de

20 Tout comme pour l’observation d’une ambiance ordinaire, nous avons attribué à ces activités une note selon leur intensité le long de la journée allons de ‘O’ lorsqu’elle n’a pas lieu à ‘4’ quand elle est très fortement pratiquée

20h et dure jusqu’à 1h du matin. Les adeptes de la scène ne quittent leurs sièges qu’à la fin de la séance ; ce qui explique l’horizontalité de la courbe entre 20h et 1h. Les marchands ambulants quant à eux dépendent de près des autorités de contrôle, et ne peuvent exercer leurs activités que vers 22h, moment où la place grouille de monde et où le contrôle est plus difficile. En conséquence, ils se retirent quand l’activité s’affaiblit et que le contrôle policier ressurgit. Les pratiques relevant de la détente, soit les jeux d’enfants, les réunions et les actions de contemplation, s’intensifient à un rythme accéléré et s’emparent d’une étendue temporelle importante. Les contemplatifs et les enfants occupent la place pendant cinq heures de temps, et les habitués des cafés traînent encore jusqu’à 4 h du matin. Hormis les activités de passage, les réunions nocturnes représentent la pratique d’usage la plus longue sur la place pendant le Ramadan. Ce qui octroie aux lieux l’image d’espace de distraction.

Figure n° 2: Courbes d’évolution des pratiques diurnes22

0 1 2 3 4 5 04H 06H 08H 10H 12H 14H 16H heure in te ns ité

ambiance de traversée ambiance d'échange légal ambiance de rencontre

ambiance de jeux ambiance de méditation ambiance de repos

ambiance de transfert ambiance de découverte

L’observation des courbes d’évolution des pratiques diurnes nous permet de noter que les ambiances diurnes sur la place débutent, toutes, à un rythme progressif relativement au temps de la nouvelle organisation de la vie sociale, pendant le Ramadan. Ces ambiances s’intensifient graduellement le long de la journée, pour atteindre, chacune, un maxima entre 12 h et 16 h. Ce moment correspond à l’heure de pointe pendant le Ramadan. C’est entre ces deux instants que l’on quitte les bureaux et les établissements scolaires. Ce temps libre est voué aux courses, à la flânerie et aux activités de distractions. Les pratiques de journées sont interrompues à leur maximum et d’une façon brusque. Vers 16h, et à une heure de la rupture du jeûne, les boutiques ferment leurs portes, les passants diminuent, les spectateurs disparaissent

pour retrouver leurs domiciles. Ainsi toutes les activités sont soudainement rompues pour laisser libre cours aux enfants. Ces derniers profitent de la place - en ces moments de désertion - et l’occupent jusqu’au moment exact de la rupture du jeûne.