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Le corpus se compose d´un ensemble d´interviews faites avec des personnes qui occupent l´espace public décrit ci-dessus, d´une pièce de théâtre élaborée sur la base de ces interviews, et des images vidéo de cet espace et de ces personnes.

Les interviews ont été faites par Okamura (2004). Comme cette auteure le raconte (ibidem et 2007), la première étape du prélèvement des données fait par l´auteur a été la reconnaissance du terrain, appelée « plongée » anthropologique dans le terrain, d´où surgissent des rapports journaliers contenant des descriptions. En parallèle, elle a effectué un prélèvement des données socio-historico-démographiques à propos du local étudié. Ces renseignements ont été pris progressivement, à partir de sources indirectes, par l´intermédiaire de l´analyse des ouvrages de recherche et d´investigation scientifiques, aussi bien que des travaux et des études développés dans cette branche, par des institutions gouvernementales et non-gouvernementales.

Cette incursion a permis de vérifier l´existence de différents segments sociaux qui partagent les espaces publics, qui forment plusieurs communautés fermées. Des entrevues ouvertes de 15 représentants de ces communautés ont été réalisées : une

leader de la communauté, un SDF, une drag queen, une retraitée, une petite fille habitant des rues, une « envahisseuse», le président de l´association locale, un travesti, un propriétaire de restaurant, un syndic d´immeuble, un exécutif, un vigile du quartier, un homosexuel, un avocat et un vendeur à la sauvette. Il a été demandé à chaque personne interviewée de parler de sa vie et plus spécifiquement de son quartier.

Les images vidéo ont été produites en fonction des espaces occupés par les sujets interviewés et du parcours réalisé pour y arriver, selon la description ci-dessous.

À deux moments, les 22-23 et 26-27 février 2006, l’équipe du projet a cherché à capter des images de la ville qui ajoutent quelque chose aux investigations antérieures réalisées avec d’autres outils documentaires et d’autres approches méthodologiques. Les images ont commencé à être filmées alors que nous étions encore à l’intérieur du véhicule qui nous menait de Campinas, SP, à São Paulo. L’idée de documenter le parcours sur l’autoroute utilisée quotidiennement par des centaines de milliers de véhicules nous a semblé stimulante pour chercher à voir le gradient de transformation des paysages urbains et les différents milieux existant sur le chemin menant à São Paulo : forêts naturelles et aires de reboisement coexistant avec des noyaux résidentiels de classe moyenne, d’ouvriers et d’occupations urbaines ; de petits passages de calme champêtre entremêlés au désordre quotidien de zones urbaines ne révélant pas particulièrement la présence de la main planificatrice de l’État ; des images suggestives d’une tranquillité silencieuse contrastées par le mouvement bruyant de l’autoroute. À l’entrée de São Paulo les embouteillages caractéristiques de la ville nous attendaient, alors que nous écoutions à la radio les reporters narrer les très mauvaises conditions de trafic de ce jour-là.

Sur ce trajet, la caméra jouait le rôle des yeux et des oreilles d’un passager attentif cherchant un regard à la fois détaillé et dispersé sur ce paysage extrêmement varié. Des ramasseurs de déchets recyclables réunis sous des ponts, des vendeurs ambulants cherchant à vendre leurs produits aux occupants des véhicules pratiquement à l’arrêt, des favelas apparaissant soudainement forment le décor qui marque les impressions de qui arrive à la ville, bien qu’il passe très souvent inaperçu de la conscience et des regards habitués à la gêne quotidienne du conflit entre le besoin d’arriver et la lenteur provoquée par l’excès de véhicules. Un peu plus loin, de belles rues de commerces élégants sont des passages obligatoires pour qui se dirige vers le centre historique de la ville.

Notre caméra « regardait » tout comme un touriste arrivant pour la première fois à la ville, curieuse, stupéfaite, mais sans aucun scénario préalable orientant son regard. Les jours suivants, ce regard n’a rien enregistré de très différent. Plus intuitive que méthodologiquement informée, la « documentation » se basait sur l’idée de ce que, outre la recherche de terrain déjà réalisée, la caméra offrirait aux chercheurs une plus grande liberté d’expérimentation sensorielle (même si ce sensoriel se limitait au visuel et à l’auditif) de l’« ambiance » de ces espaces, permettant en outre de partager cette expérience sensorielle avec les intégrants du travail. Dans le sens ample du terme

« expérience », nos enregistrements cherchaient plus à tendre la « toile de fond » sensorielle et perceptive de la notion d’ambiance1.

Loin d’avoir conduit à la sûreté d’une espèce de certitude, cette expérience doit encore être l’objet d’analyses plus détaillées et l’incorporation de la documentation audiovisuelle au projet sera certainement une étape à travailler à partir de ces analyses. Quoi qu’il en soit, la réalisation même du travail a fait surgir, sinon des certitudes, comme nous l’avons dit ci-dessus, pour le moins quelques questions qui pourront servir de points de départ pour une conceptualisation plus efficace de l’incorporation méthodologique de l’outil de documentation et du moyen d’expression :

1. Quelle est la signification dans la vie des personnes, de la présence d’une équipe d’enregistrements dans leur ambiance quotidienne ? Quelles représentations construisent-ils de cet événement et quel type de relation cela peut-il articuler, dans le processus de recherche, avec les chercheurs ? La longue histoire du genre documentaire en cinéma présente un nombre effarant de possibilités pouvant indiquer quelques pistes pour enrichir la recherche dans le champ de l’ambiance par l’incorporation d’enregistrements audio-visuels.

2. Pour compléter la question précédente, il faut prendre en considération le fait qu’une partie considérable des conditions architecturales du milieu urbain est en relation intime avec les médias et leurs instruments et processus visuels. Il semble impossible de séparer le rapport immédiat de la présence de la caméra des médias usuels : pendant notre travail, plusieurs personnes nous ont demandé « sur quelle chaîne » passerait ce que nous étions en train de filmer. Comprendre ce rapport et l’incorporer aux préoccupations du reste du projet semble également être un des défis de ce type de recherche.

3. Comment aborder tout le processus de capture et les différentes étapes d’édition d’image et d’audio pour rapprocher les « sensations » produites de celles vécues par les sujets de l’« ambiance » ? Le défi présenté ici est analogue à celui discuté par Macintyre et Mackenzie, quand elles cherchent à comprendre les manières de surmonter la distance, produite par l’objectif de la caméra, entre le chercheur e l’univers qu’il étudie. Dans le cas des deux auteures ci-dessus, il convient de souligner la discipline où elles s’insèrent, car, depuis le début du XXe siècle, l’anthropologie a cherché à développer des stratégies méthodologiques diminuant la distance des univers symboliques entre les chercheurs et les sujets de la culture étudiée2.

Il semble donc important de souligner l’importance de la réflexion sur l’incorporation des moyens d’expression audiovisuels en particulier dans un type de recherche où les perceptions et relations entre individus et collectivités et l’ambiance environnante sont des préoccupations centrales. Pendant plus d’un demi-siècle, cela a été le souci de Margaret Mead, qui a dédié une bonne partie de son travail significatif à comprendre pourquoi des films documentaires et des narrations fictionnelles sont très souvent plus

1 Thibaud, Jean-Paul The Sensory Environment of Cities: Towards an Approach of urban Ambiances, p. 2. 2 Macintyre, Martha e Maureen Mackenzie, “Focal Length as an Analogue of Cutural Distance”. in Ant-

efficaces pour comprendre et divulguer d’« autres » réalités que le travail scientifique lui-même3.