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PARTIE 2 La représentation de l’acceptabilité par l’entreprise

2 La représentation de l’acceptabilité par l’entreprise et ses présupposés théoriques

2.1 Les causes de l’ « inacceptabilité »

2.1.4 La maîtrise des conflits territoriaux pour lutter contre l’inacceptabilité

2.1.4.1 Typologie des conflits : identifier le conflit pour l’anticiper

Chaque projet territorial porte en lui des confrontations d’intérêts et de valeurs. Selon

Jean-Marc DZIEDZICKI149, il existe huit principaux types de conflits :

- le conflit fondé sur les incertitudes : « craintes en termes de protection du cadre

de vie, risques pour la santé, dévaluation foncière » ;

- le conflit de procédure : « absence de transparence de la décision, absence de

dialogue, insuffisance des dispositifs de participation, non considération de l’avis du public » ;

- le conflit substantiel : « contestation de la nature du projet, des choix de la

politique » ;

148 LUHMANN N. 1991, La sociologie du risque, Berlin, De Gruyter, 272 p.

149DZIEDZICKI J.-M., 2009, Au delà du NIMBY, le conflit d’aménagement, expression de multiples

revendications, in MELÉ P. et al., Conflits et territoires, Tours, Presses Universitaires François Rabelais, p.

- le conflit structurel : « remise en cause de l’action publique, notamment de la légitimité des décideurs, de l’intérêt général, de l’expert et de son expertise, de la représentation démocratique » ;

- le conflit relationnel : « émotions négatives, malentendus, stéréotypes,

communication pauvre ou mauvaise, comportement négatif répété » ;

- le conflit de données : « maque d’informations, désinformation désaccord sur la

pertinence des données, différence d’interprétation » ;

- le conflit d’intérêt : « compétition entre besoins perçus comme incompatibles,

implique des questions de fond, de procédures et psychologiques » ;

- le conflit de valeur : « système de croyance ou de valeur actuels ou perçus

comme incompatibles avec l’éthique ou l’identité ».

Figure 7 : Quatre grandes familles de revendications de la part des opposants aux projets d'infrastructures

Les quatre conflits représentés sur ce schéma sont les conflits les plus représentés lors de l’aménagement de territoire. Ces quatre dimensions se chevauchent de manière plus ou moins importante, dans la mesure où le registre argumentaire des opposants évolue le plus souvent d’une dimension à une autre au cours du conflit.

Le conflit fondé sur l’incertitude est souvent mêlé à un sentiment d’injustice. Le conflit substantiel exprime le désaccord au projet sans considération pour le lieu d’implantation. Le conflit de procédure va notamment fortement critiquer la procédure d’enquête publique. Le conflit structurel permet de revendiquer une « légitimité de proximité ».

La définition des conflits proposés par DZIEDZICKI va permettre à l’entreprise de répondre point par point à chacune des sources du conflit afin de limiter l’opposition. Idéalement l’entreprise essayera d’anticiper ces conflits, avant même que l’opposition ne puisse émerger. Selon elle, il est toujours plus facile d’éviter le conflit que de l’affronter. Il faut distinguer les conflits d’aménagement qui concerne le processus de décision, de l’élaboration du projet à sa réalisation, aux conflits d’environnement qui ne désignent que les conflits liés aux nuisances, aux risques et aux pollutions une fois le projet réalisé. Les conflits d’aménagement, ceux dans lesquels les associations locales de défense luttent pour être reconnues comme ayant part à la construction de l’intérêt général, ont permis de remettre en question la légitimité des décisions, questionnement refoulé par la notion d’acceptabilité sociale. Cette dernière en effet, inscrit la consultation du public dans l’instruction des projets tout en séparant fortement les rôles : la définition du problème et les solutions relèvent de l’expert, la prise en compte des besoins et des attentes de la population représente plutôt une catégorie de justification des projets qu’une réelle reconnaissance de leur capacité autonome d’expression.

Dans les procédures d’utilité publique, le citoyen parlerait au nom de l’intérêt général alors que le riverain défendrait uniquement ses intérêts particuliers. Cependant, les conflits ont vu apparaître de nouveaux participants se revendiquant les « citoyens en

tant que riverains »150. Ils refusent le partage des rôles véhiculés par le terme

d’acceptabilité sociale et utilisent la concertation comme un moyen de prendre part à la

150 FOURNIAU J.-M., 2007, « L’expérience démocratique des citoyens en tant que riverains dans les conflits d’aménagement », Genève, Revue européenne des sciences sociales, n° 136, pp. 149-179.

construction de l’intérêt général. En effet, pour JOBERT151, l’interprétation ne se réduit pas seulement aux conflits existants entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel comme le suggère le phénomène « Pas dans ma cour ». Cette situation traduit la montée d’un nouveau modèle de construction de l’intérêt général. Ainsi la reconstruction des grandes infrastructures après la Seconde Guerre Mondiale semblait si évidente et nécessaire qu’elle n’intégrait pas de concertation préalable. Aujourd’hui la majorité des projets d’aménagement nécessite des enquêtes d’utilité publique. Pour l’auteur, la contestation serait avant tout un désir de démocratie plus forte envers les citoyens qui refusent d’être oubliés dans la concertation au moment de la planification du projet.

Lorsque le conflit est absent de la concertation ou tout du moins qu’il n’y a pas de positions contradictoires, trois éléments peuvent expliquer cette absence :

- si le sujet n’est pas polémique ;

- si le dialogue a satisfait les intervenants ;

- si les acteurs ne se sentent pas concernés.

Les groupes sociaux qui disposent de ressources plus conséquentes (niveau d’éducation, revenus, capacité à prendre la parole, etc.), participent plus fréquemment à la concertation. À l’inverse, les groupes à ressources plus faibles n’ayant pas l’habitude de participer, ne vont même pas lutter contre des projets susceptibles de remettre en cause leurs intérêts. L’absence de conflit ne signifie donc pas automatiquement que le projet est complètement accepté.

Pour inciter les exclus à participer, l’entreprise développe plusieurs propositions :

- vulgariser le message pour le rendre compréhensible par tous ;

- utiliser les canaux de diffusion de l’information les plus proches des habitants

(bulletin municipal, réunions publiques sur les communes concernées) ;

- créer un lieu d’échanges où les habitants pourront facilement faire passer leurs

messages (un numéro de téléphone vert, la désignation d’un représentant, boîte à idées) ;

151 JOBERT A, 1998, « L'aménagement en politique, ou ce que le syndrome Nimby nous dit de l'intérêt général », Politix, n° 42, pp. 67- 92.

- considérer la colère comme légitime et constructive, car elle montre parfois des éléments que l’expertise n’avait pas mis en lumière ;

- rendre la participation plus égalitaire (égaliser le temps de parole des

intervenants lors des réunions, lever les obstacles à la participation (garde des enfants, transports) ;

- etc.

Les effets de la concertation face aux conflits sont multiples :

- un effet gestionnaire : la participation est vue comme un instrument de

modernisation de l’action publique et doit résoudre les conflits ;

- un effet émancipateur : la participation est une revendication de changement des

rapports sociaux dans les conflits contre les injustices et dans les luttes pour l’égalité ;

- un effet démocratique : la participation est un processus destiné à légitimer les

décisions et à surmonter les conflits par des nouvelles formes d’accord et de délibération.

Ces trois effets constituent un idéal participatif. Cet idéal participatif inclut donc à la fois un aspect de contribution (qu’elle soit technique, morale, politique, etc.) et la prise en compte des attentes et des besoins des participants. Pour l’entreprise, l’effet gestionnaire sera naturellement favorisé car c’est celui qui permettra de faire aboutir le projet le plus rapidement.

Le conflit est utile dans le sens où il permet aux personnes qui se sentent lésées par le projet de s’exprimer. Il offre ainsi la possibilité de coordonner les acteurs entre eux et de favoriser l’intégration de nouveaux acteurs dans les mécanismes de décisions et de construction d’un projet. Cependant l’entreprise a tout intérêt à chercher au maximum à éviter le débat car il peut l’amener vers deux voies qu’elle ne souhaite surtout pas emprunter : la constitution d’une mauvaise image à l’externe (sur ses méthodes de développements, sur sa capacité à susciter un compromis, etc.) et/ou le basculement des individus jusque-là neutre vers une opposition ferme (et donc le durcissement du conflit). L’entreprise craint que du débat surgisse le conflit et qu’il signe l’arrêt du

développement du projet tant que ce dernier n’est pas résolu (voire, pire pour l’entreprise, l’abandon du projet).

Pourtant selon Laurent MERMET152, il est préférable de mettre en place des espaces de

« dissensus », c’est-à-dire des espaces où les désaccords puissent s’assumer durablement. Plutôt que de considérer les désaccords comme les perturbateurs de l’accord, il faut les considérer dans leur contexte, avec leur qualité et leur vitalité, afin de pouvoir analyser les préoccupations dans la mise en action. Ces espaces de dissensus rappellent que la concertation ne résout pas tout, mais ils semblent si difficiles à mettre en place pour l’entreprise qu’ils ne sont finalement pas mis en place du tout.

Les conflits ruraux, une problématique locale à laquelle doit faire face l’entreprise

Avec l’exode rural, la diminution de l’emploi agricole, l’étalement urbain, etc., l’espace rural s’est modifié et a développé diverses fonctions :

- économique (production et tourisme) ;

- résidentielle (résidents permanents ou occasionnels) ;

- écologique (conservation du patrimoine naturel) ;

- culturel (conservation des bâtis ou des traditions).

L’espace rural, à travers ces diverses fonctionnalités, est source de tensions et de conflits entre les différents acteurs locaux, dont les usages peuvent différer voire s’opposer. Par exemple, aux agriculteurs de souche qui souhaitent préserver leurs méthodes de travail considérées comme traditionnelles s’opposent les néo-ruraux qui considèrent l’espace rural comme un espace de ressourcement. « Les agriculteurs, qui demeurent politiquement et foncièrement dominants, doivent inventer d’autres formes de cohabitation avec les nouveaux ruraux, pour qui l’espace rural est avant tout un capital

paysager et une zone de ressourcement.153 […] L’exploitation agricole, au-delà des

152 MERMET L., 2004, « Les porteurs de projets face à leurs opposants : 6 critères pour évaluer la concertation en aménagement », Politique et Management Public, vol. 22, pp. 1-22.

153 NICOURT C., GIRAULT J-M, BOURLIAUD J., 2000, « Les odeurs d’élevages : textes, conflits et négociations locales », Economie Rurale, p. 83.

bâtiments de ferme et d’élevage, acquiert ainsi un statut quasi public. Les nouveaux

arrivants appréhendent l’espace rural comme un espace collectif »154.

L’opposition ici vient de la fonction d’usage différente selon l’individu concerné : l’agriculteur responsable des nuisances relevées par le néo-rural n’a pas conscience ou ne se préoccupe pas des avantages et des inconvénients de son activité pour un tiers. La proximité géographique ne facilite évidemment pas la cohabitation.

Un schéma similaire peut être attribué pour la mise en place de projets éoliens : le développeur ne considérera pas l’espace rural où il envisage son projet avec le même regard que le riverain qui devra partager au quotidien ce même espace avec les éoliennes. Il s’agit donc de parvenir à concilier les intérêts contradictoires des différentes fonctions d’un même espace, qu’elles soient de patrimoine, productives, résidentielles, de loisirs, etc. Grâce à une réglementation spécifique, des zones dédiées aux différents usages vont être constituées notamment par le classement des zones sensibles en diverses catégories (réserves naturelles, parcs nationaux, schémas régionaux, etc.) qui prennent en compte l’extension urbaine, l’activité agricole et la préservation des sites et des paysages. Le plan d’urbanisme, à travers le permis de construire, régit la nature de l’activité autorisée sur une zone définie, accorde l’autorisation d’implantation et les périmètres de sa mise en place. La réglementation joue donc un rôle de régulatrice du conflit mais les points de tension sont trop multiples pour qu’une seule solution suffise.