• Aucun résultat trouvé

1.1.2 Impacts de l’énergie électrique

1.1.2.1 Électricité et société

Pour se développer, les civilisations ont appris à maîtriser l’énergie, devenue un facteur vital pour leur accroissement. Sans elle, le progrès technique n’est pas concevable et il suffit de constater, lors de pénuries, à quel point elle joue un rôle primordial.

17 Source : Observ’ER

18 EUROBSERVER, 2008, Etats des Energies Renouvelables en Europe.

Les systèmes énergétiques, la naissance d’un modèle productif

Selon Jean-Claude DEBEIR, Jean-Paul DELÉAGE, Daniel HÉMERY, les transitions énergétiques se sont historiquement produites sur des bases socio-économiques et politiques avec les jeux de pouvoir qu’elles suggèrent ou pour des raisons écologiques et

techniques20.

« La rente énergétique est, avec le surproduit créé par la force de travail, l’une des deux composantes de tout surplus social. Elle peut comporter quatre modalités distinctes mais souvent associées : rente absolue, forme naturelle du surplus ; rente différentielle, forme géographique et spatiale ; rente de monopole déterminée par le mode

d’appropriation ; rente technique, engendrée par le progrès technique »21.

Au fil de l’évolution de la société, les systèmes énergétiques évoluent : l’espace géographique s’agrandit, les rapports de force entre filières s’inversent ou s’intensifient, de nouvelles technologies disparaissent tandis que de nouvelles font leur apparition. Néanmoins, à cause des investissements nécessaires et des différents intérêts sociaux, les systèmes évoluent lentement à l’échelle de l’humanité.

Un détour par l’histoire, même succinct permet de mieux comprendre quel système énergétique prévaut aujourd’hui et comment il a pu s’imposer au cours de l’évolution des sociétés. Il est utile de rappeler quelques grands événements qui ont conduit à la fois à l’émergence d’une conscience environnementale et au modèle de développement énergétique qui sera par la suite appliqué à l’énergie éolienne.

Dans l’Antiquité romaine, il est facile et bon marché de se procurer des esclaves en grand nombre, ce qui limite l’intérêt pour le progrès technique. Par exemple, l’utilisation de l’énergie hydraulique n’apparaît qu’au IVème siècle au moment de la crise de la main-d’œuvre. Avec les invasions barbares, Rome ne parvient pas à satisfaire sa demande en esclaves et doit donc mettre en place de nouvelles formes d’énergies moins gourmandes en force humaine. Sans cette contrainte de main-d’œuvre, la société romaine aurait certainement conservé son modèle de production basé sur l’esclavage et n’aurait alors

20 DEBEIR J-C., DELEAGE J-P., HEMERY D., 1986, Les servitudes de la puissance, Paris, Flammarion, p. 29. 21Ibid., p. 29.

pas cherché un nouveau modèle. Les innovations naissent des contraintes et l’évolution des sociétés dépend de sa capacité à les surmonter.

À partir du Moyen-Âge, pour répondre à la croissance démographique, l’agriculture s’intensifie. Les moulins à eau se développent intensément. Détenus par le seigneur ou le clergé, les moulins nécessitent un droit sur l’eau, pour être exploités. A chaque utilisation, les paysans doivent payer une taxe au propriétaire du moulin. Ce dernier

devient « un moyen d’exploitation du paysan par le seigneur »22. Les moulins à vent

apparaissent pour compléter les moulins à eau qui se développent à raison de l’utilisation systématique des cours d’eau. Les moulins à vent peuvent être installés n’importe où : on choisit donc de les mettre en place à proximité des villes pour répondre à la demande croissante de pains liée à l’expansion urbaine. Ce sont les premières éoliennes, certes rudimentaires mais elles répondent à un besoin croissant en énergie et il est intéressant de noter qu’on choisit à cette époque de les placer à proximité des centres urbains (ce qui est l’opposé de ce que l’on pratique aujourd’hui).

En France, le bois commence à manquer à partir du XVIIIème siècle (son utilisation est massive pour la construction, le chauffage domestique, les forges, etc.) et on s’intéresse alors au charbon, peu utilisé jusque-là, en raison du coût du transport. C’est grâce à une meilleure maîtrise des moyens de transport représentée par la révolution ferroviaire que la révolution énergétique a pu se faire en France.

Un nouveau système énergétique apparaît, mêlant vapeur et charbon et annonçant les prémisses de la production de masse et donc du capitalisme. Le développement des autres ressources énergétiques dépend de leur possibilité à être transportées. Au XXème siècle, l’utilisation du charbon se généralise, passant du cadre local et régional au cadre national. Le nouveau système énergétique s’accroît grâce à l’évolution des réseaux de transports mais également d’éclairage. L’éclairage artificiel au gaz obtenu par distillation du charbon est d’abord utilisé dans les usines pour augmenter la durée du temps de travail, avant d’être mis en place comme éclairage urbain.

En Chine, on distribue gratuitement des lampes à pétrole aux populations, créant ainsi un nouveau besoin et incitant à la consommation de pétrole. Cette anecdote montre néanmoins les prémisses d’une stratégie destinée à faire consommer un nouveau produit et donc à créer un nouveau besoin.

Les usages de l’électricité se répandent rapidement : dans les usines avec l’invention du moteur à courant alternatif, en ville comme éclairage public, dans les transports avec les premières locomotives électriques.

Après la Seconde Guerre Mondiale, « le changement du mode d’accumulation capitalistique a bouleversé les structures de consommation au profit des biens de consommation électriques. Le modèle de consommation qui s’impose désormais à l’échelle du monde industrialisé est l’american way of life, largement fondé sur

l’électrification du quotidien »23 : réfrigérateurs, horloges électriques, machines à laver,

aspirateurs, etc. En plus d’accroitre les besoins électriques, l’accumulation des biens de consommation est un distinctif social et contribue à alimenter un système productif à grande échelle.

La consommation d’énergie fossile progresse avec l ‘invention du moteur à explosion, entrainant une forte augmentation du nombre de véhicules. La consommation de biens et de services s’intensifie parallèlement.

Avec l’automobile, le transport se transforme et s'affranchit des réseaux ferrés. Le contrôle du pétrole devient un enjeu géopolitique majeur pour les sociétés industrialisées.

La première crise pétrolière de 1973 multiplie par quatre le prix du pétrole. Les compagnies pétrolières de grande ampleur parviennent à sortir de la crise sans trop de dommages mais perdent leur droit de propriété sur le pétrole au profit des pays producteurs. Les investissements nécessaires à la production de pétrole sont de plus en plus coûteux.

La perspective de l’épuisement à long terme des énergies fossiles montre la fragilité du système capitaliste qui a misé son extension sur ces énergies limitées.

À son commencement, par manque de technicité, l’homme a privilégié l’énergie humaine et animale et dans une certaine mesure l’énergie exosomatique (utilisation d’outils : bois comme matériau de construction et de chauffage ou le soleil pour les cultures). Au fur et à mesure du développement des civilisations et des besoins qui y sont liés, les différentes sources d’énergie ont été maîtrisées afin d’être converties en produits consommables. Inversement, c’est la maîtrise de ces énergies qui a permis l’évolution des sociétés. Cette rétrospective a pour objectif d’illustrer comment le lien entre la société et les ressources énergétiques a favorisé le développement d’un modèle basé sur la production et la consommation de masse et s’est imposé comme l’unique modèle envisageable depuis le XIXème siècle. L’industrialisation des activités humaines a entre autres abouti à une stratégie, précurseur du marketing actuel, destinée à faire consommer de nouveaux produits et à les intégrer dans la vie quotidienne.

L’Homme a maintenu son expansion en la basant presque uniquement sur des ressources énergétiques non renouvelables telles que le charbon ou le pétrole. L’énergie devient alors la clef des interactions entre la « Nature », vue comme fournisseur d’énergie brute, et la société, qui canalise cette énergie et l’utilise à son compte pour se développer.

L’énergie est immatérielle. Selon Elizabeth SHOVE, elle ne se manifeste que par l’intermédiaire « d’objets médiateurs ». Les consommateurs la voient à travers l’utilisation d’une pluralité d’objets domestiques et la considèrent en termes d’usages, de facture mais rarement en tant que telle. « Livrée sous une variété de formes, gaz, électricité, pétrole, charbon, bois, etc., l’énergie rend d'innombrables services et s'incarne dans presque tout ce que nous voyons autour de nous. À la fois partout et nulle

part, elle reste un élément mystérieux sinon magique, de la vie quotidienne »24. À travers

la facture d’électricité, la connotation à cette énergie est forcément négative. Son utilité au quotidien n’est plus à démontrer, mais elle semble si difficile à cerner pour l’utilisateur que sa représentation en devient floue. Le consommateur finit par ignorer sa provenance, les méthodes de production et de distribution qu’elle nécessite. La « fée électricité » a quelque chose de magique, d’immédiat et d’évident : chercher son origine

reviendrait à briser la magie et présente finalement peu d’intérêt. Malgré tous les sondages de l’ADEME sur la bienveillance des français à l’égard de l’énergie éolienne, un point reste cependant déterminant : la facture ne doit pas augmenter et le consommateur doit avoir accès à l’électricité dès qu’il le souhaite, sans quoi sa « bienveillance » ne durera pas éternellement.

L’indépendance énergétique pour un pays, la dépendance du consommateur

Depuis son apparition comme vecteur énergétique au XIXème siècle et son expansion dans le monde, Amérique et Europe dans un premier temps, l’électricité a fondamentalement modifié les sociétés où elle s’est imposée.

En Europe, les pays n’ont pas fait les mêmes choix en termes de système énergétique. La

France et la Belgique (à travers Electrabel25) ont misé sur le nucléaire alors que la

Pologne utilisait en priorité les énergies fossiles et que l’Autriche choisissait les ENR. Cette diversité de choix énergétique conduit à la construction de sociétés différentes où le rapport à l’énergie et sa gestion sont spécifiques à chaque système.

Pierre RADANNE26 distingue trois types de politique énergétique en fonction de la

réponse à la seconde crise pétrolière : les pays qui bénéficient de ressources en hydrocarbures propres, ceux qui se sont engagés dans le nucléaire après la première crise comme la France et la Finlande, et les pays à structure fédérale qui se tournent plus vers la cogénération et les énergies renouvelables.

25 Créée en Belgique en 1905, Electrabel rassemble plusieurs producteurs et fournisseurs d’électricité. Fournisseur historique belge, la société est présente en France depuis 2001 par le rapprochement entre Electrabel Europe et GDF SUEZ, dont elle est filiale à 100% depuis 2003.

En Belgique elle se positionne en concurrent direct d’EDF par ses capacités de production et son statut d’opérateur historique.

L’énergie nucléaire est la principale source d’énergie pour Electrabel avec 57,4% de sa production. Viennent ensuite le gaz naturel (26,6% de sa production) et les énergies renouvelables (5% de sa production) pour une capacité de production (toutes énergies confondues) de 9879 MW à la fin de l’année 2012.

Electrabel compte plus de 5400 employés, faisant de cette entreprise l’une des quinze principaux employeurs directs en Belgique.

Source : Electrabel, 2012, Un partenaire fiable en énergie, dans une année pleine de défis.

Tableau 4 : Indépendance énergétique par pays, 200827

Pays jouissant de ressources fossiles Taux

Royaume-Unis 74% Danemark 112% Etats-Unis 73% Chine 92% Brésil 89% Russie 150% Allemagne 39%

Pays sans ressources fossiles

France 50%

Portugal 17%

Italie 15%

Espagne 20%

Belgique 24%

La consommation d’un pays est égale à la production domestique (D) augmentée des importations nettes des exportations (I) et le taux d’indépendance (t) est le rapport entre la production domestique et la consommation.

T = D/(D+I)

Dans ce tableau, on distingue les pays bénéficiant de ressources naturelles fossiles (pétrole, charbon, gaz) de ceux qui n’en possèdent pas. Les premiers comme le Danemark (avec le pétrole et le gaz de la mer du Nord) ou la Russie (gros producteur et exportateur de gaz) ont évidemment un taux d’indépendance énergétique élevé. Malgré l’absence de ressources naturelles fossiles, la France possède un taux d’indépendance énergétique raisonnable (50%) alors que l’Allemagne a un taux moins élevé (39%) malgré ses ressources charbonnières. La France est cependant fragile face aux risques de rupture d’approvisionnement ou de fluctuations des prix mais l’est moins que ses voisins.

La France exporte plus (12% de la production en 2010) qu’elle n’en importe (7% de la production). Cependant ses exportations et ses importations varient en fonction de la demande et varient en fonction du coût de l’électricité à un instant T.

En France, la mise en place d’un système électronucléaire à partir des années 1970 aboutit à une hyper centralisation du système énergétique avec un niveau d’étatisation maximal où la société civile n’est pas ou peu prise en compte.

De plus, un système d’approvisionnement central, comme c’est le cas pour l’énergie nucléaire, provoque inéluctablement la dépendance de l’utilisateur en mettant fin à son autonomie et à son autarcie et en le liant totalement au producteur et/ou au distributeur. Le contrôle social et politique des individus dans leurs foyers est la résultante de l’expansion de l’énergie électrique qui a modifié la part des différents niveaux de pouvoir.

L’individu a un besoin quotidien et croissant en électricité et sa dépendance vis-à-vis de son fournisseur crée immanquablement un rapport de force inégal. Ses choix sont limités : payer quel que soit le montant de sa facture ou réduire sa consommation mais alors se priver d’un confort devenu nécessité. On devine aisément comment les énergies renouvelables devraient contribuer à bouleverser le rapport de force entre les différents acteurs, de par leurs aspects décentralisés notamment.

Pourtant ce bouleversement des rapports de force reste relatif, notamment pour l’énergie éolienne. Le consommateur peut éventuellement devenir actif avec des outils de production de moindre importance (en termes de puissance et d’investissement) comme les éoliennes domestiques ou les panneaux solaires. Cependant en dehors des

éoliennes domestiques28, les éoliennes industrielles sont des outils de production de

grande échelle, au même titre que les centrales nucléaires ou hydrauliques, dont

l’exploitation est gérée par des groupes industriels. D’un point de vue productif29, pour

le consommateur, l’implantation d’éoliennes industrielles ou d’une centrale nucléaire ne modifie pas sa maîtrise de l’outil de production et ne lui permet pas de revendiquer son indépendance vis-à-vis du producteur/distributeur.

28 Les grandes éoliennes industrielles de plusieurs MW dépassent les 100 mètres de diamètre. Le petit et moyen éolien correspond à des éoliennes dont les tailles sont comprises entre 3 et 30 mètres, pour une puissance de 1 à 50 kW.