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SIR ELI

5. Les aspects « typifiés » de l’enfant

5.1. La typfication des enfants selon leur âge : les « grands » et les « petits »

5.1.1. La répartition des enfants en fonction de leurs compétences motrices

Les trois extraits suivants concernent la mise en place d’une activité menée par la stagiaire dans un groupe de « bébés » et la répartition des enfants qui y participent. Dans le premier extrait, une des éducatrices interpelle la stagiaire à la fin de la réunion pour lui demander quels enfants sont prévus pour l’activité :

Séquence Lign

e Transcription 63 Photos/Commentaires

M-A3 16.34-16.48 Psycho-motricité R1 + S1 et 6 enfants âgés de 10 à 18 mois

1 2 3 4 5

EDE

S1 EDE S1

« Ceux qui marchent »

on prend tous ceux qui marchent/ . c'est ça je pense 6 qui marchent 6 qui ben mais faut voir euh::

je vais voir un peu

c'est une activité motrice quoi donc euh::

16.44

Au niveau institutionnel, le groupe des bébés se construit à travers une typification des enfants selon leur âge. Dans ce groupe, la participation ou non à une activité dépend ensuite de leurs compétences motrices : « On prend tous ceux qui marchent » (ligne 1). Etant donné que les compétences motrices des enfants pour savoir marcher ou non sont liées fortement à leur âge et à leur développement moteur, cette typification se base sur des notions de développement des enfants. Dans cet énoncé, la notion des « marcheurs » est une catégorisation qui vise à faciliter l’organisation de l’activité et elle a fondamentalement un aspect pragmatique.

Le prochain extrait se déroule environ huit minutes plus tard, lorsque la référente professionnelle demande à la stagiaire d’appeler les enfants prévus. Cet extrait montre que dans ce contexte d’un groupe de bébés, les termes de « marcheurs » et de « grands » sont utilisés comme synonymes. : Séquence

Ligne Transcription 64 Photos/Commentaires

M-A3 24.00-24.12 Psycho-motricité R1 + S1 et 6 enfants âgés de 10 à 18 mois

1 2 3 4 5 6

R1 S1

R1 S1

« Il y a pas tous les grands »

je te laisse . eh . démarrer/

+oui+ . ben là . °du coup il y a pas tous les grands qui sont réveillés\°

un deux trois . on en a cinq

trois quatre cinq ((en pointant les enfants))

24.06

La répartition prévue se heurte à des contraintes organisationnelles. Dans le groupe des bébés, les enfants font la sieste en fonction de leur rythme individuel. Ceci amène la stagiaire à constater qu’il n’y a pas « tous les grands qui sont réveillés » (lignes 2-3) et qu’il n’y a pas suffisamment de « grands » pour répartir les enfants en fonction de ce critère de typification. La stagiaire ajuste la répartition du groupe et y inclut TIM. Lors de la discussion consécutive à l’activité menée, elle justifie ce choix :

Transcription 65 : Entretien hebdomadaire de stage

S1 c'est vrai j'avais dans l'idée de prendre les marcheurs . en fait/ les enfants qui marchaient (oui)./ et du coup je devais en prendre six/ là ils étaient cinq marcheurs et je me suis dit/ c'était un peu un DEfi que je me suis mis/ je me suis dit . ben je vais essayer avec TIM qui marche pas/ et c'est vrai il y a certaines choses qu'il peut faire/ donc je me suis dit je vais . le prendre aussi/ mais . il . il a quand-même bien investi les jeux .

Une répartition en « marcheurs » et « non marcheurs » nécessite de catégoriser chacun pour décider de quel type d’enfant il s’agit. La notion de « marcheurs » est floue. Un « marcheur », est-ce un enfant qui fait ses premiers pas, encore un peu hésitants ? Ou un enfant qui se déplace rapidement et avec aisance en marchant ? L’extrait de l’entretien ci-dessus montre qu’il est parfois aussi possible d’« essayer » avec un enfant « qui marche pas » (ligne 3), étant donné qu’il y a « certaines choses qu’il peut faire » (ligne 4). Dans cette institution, une catégorisation typifiante s’est établie de façon collective qui prédétermine les pratiques professionnelles de chaque éducatrice. La répartition entre

« marcheurs » et « non marcheurs » est mobilisée lors des choix et des décisions au quotidien.

Dans la même institution, la répartition des enfants en « marcheurs » et « non marcheurs » est également mobilisée pendant le stage de troisième année, par une autre référente et une autre stagiaire. Le recueil des données sur une période de trois ans fait ressortir que cette catégorisation typifiante est liée à un contexte institutionnel et reste stable dans le temps :

Transcription 66 : Entretien hebdomadaire de stage

M2-EP2-ante (4.19) « Je prendrai pas les plus petits »

justement . ah il sera pas là . c'est vrai qu'il y a moins d'enfants . mais je prendrai les plus grands [hum hum] parce que quand même . voilà . ceux qui RAMpent ou qui sont pas encore à l'aise DEbout . ça va être compliqué . je pense . eh . 'fin . ils PEUVent le faire .

ouais . parce qu'avec les mains .

ils POURraient . mais en ayant les grands qui marchent [ouais] . qui sont à côté . je pourrais . je me dis aussi je pourrais une fois faire une activité AVEC les p'tits . à la salle toboggan . AVEC les plus p'tits et faire quelque chose de .

ouais . comme on avait parlé pour l'activité mouvement . justement . de se dire . peut-être de . comme il y a vraiment un bon groupe de grands . [hum hum] peut-être EUX on peut leur ap- 'fin leur proposer quelque chose pour EUX . qui vont avec leur âge et séparer des fois .

ouais un peu .

qu'ils voient . ils sont demandeurs d'autre chose . et les plus p'tits ont besoin aussi de temps en temps de passer par ces étapes là que les grands ont déjà eu [ouais]

mais peut-être avec plus de calme que si tous ils courent [voilà] des fois je crois [voilà]

Dans cet extrait d’entretien, la répartition entre « petits » et « grands » se marque par des aspects l’éducatrice commence à énoncer un aspect lié aux « grands » qu’elle interrompt et corrige ensuite :

« Comme il y a vraiment un bon groupe de grands, peut-être eux on peut leur ap-, enfin leur proposer quelque chose pour eux qui vont avec leur âge » (lignes 12-13). Cet énoncé semble impliquer que pour les « grands », des activités d’apprentissage sont possibles, mais sans en parler explicitement.

La référente enchaîne par le fait que les « grands » sont « demandeurs d’autre chose » ligne 15), ils ont déjà passé par des « étapes » (ligne 16), et il peut arriver que « tous ils courent des fois » (ligne 17). Cette discussion entre les professionnelles montre que dans ce groupe de bébés, la répartition selon les âges et le fait de « séparer des fois » les enfants en fonction de l’âge est une pratique institutionnelle qui est justifiée selon les caractéristiques liées à la typification entre « grands » et

« petits » qui ont des « besoins » (ligne 15) spécifiques et correspondant à leur âge.

5.1.2. La répartition des enfants en fonction de leurs compétences sociales ou cognitives

Lorsque la répartition se fait par rapport aux compétences motrices des enfants, les professionnelles rendent une telle typification publiquement manifeste et désignent les enfants comme des

« marcheurs » ou des « non marcheurs », également quand les enfants sont présents. Pour les professionnelles, de telles catégorisations semblent être considérées comme des états de fait et ne pas impliquer une délégitimation des enfants. La typification en fonction de l’âge de l’enfant peut aussi contenir des catégorisations concernant les compétences interactionnelles ou cognitives des enfants.

Il apparaît dans l’analyse de la séquence suivante que les critères de répartition en fonction de telles compétences ne sont pas publiquement rendus manifestes en présence des enfants. Le seul critère évoqué est alors l’âge des enfants.

L’extrait suivant concerne la répartition des enfants pour participer à un jeu de memory, où les enfants nomment des cartes de jeux et regroupent les images identiques. Pour cette activité qui demande des compétences interactionnelles et cognitives, les enfants sont répartis en fonction de leur âge :

Séquence

Ligne Transcription 67 Photos/Commentaires

S-A2 24.20-24.31 Jeux des doubles R3 + S3 et 6 enfants âgés de 1 à 2 ans

1 2 3

EDE R3

« On a les six grands »

vous en avez combien/

six\ . on a les six grands/ mais elle va les appeler/

24.20

Cette séquence d’interaction se déroule dans un groupe d’enfants âgés de 1 à 2 ans. Lors d’un moment de transition, à la fin d’une activité collective qui regroupe les douze enfants présents, les professionnelles répartissent les enfants en deux groupes distincts. Il est prévu qu’un groupe participe à un jeu de memory, l’activité préparée par la stagiaire, tandis que le deuxième groupe se déplace dans une autre salle de jeu pour jouer avec des balles. Cet extrait montre que la répartition des enfants ne se fait pas uniquement par rapport au nombre des enfants, mais également en tenant compte de leur âge (« on a les six grands » (ligne 2). Au préalable de l’activité, la stagiaire et la référente ont prévu quels enfants allaient participer au jeu de memory et les ont répartis en fonction de leur âge. Lors de la transition et la répartition en deux groupes distincts, cette typification des enfants selon leur âge est mobilisée par la référente professionnelle pour indiquer rapidement à sa collègue quelle est la répartition prévue. Le fait de les désigner par les termes « les six grands » évite de les désigner individuellement. Ce critère de répartition est partagé dans le collectif de travail et permet une coordination entre les professionnelles qui ne demande pas d’autres informations complémentaires. Les typifications des enfants selon leur âge constituent ici une base pour prévoir, anticiper et réaliser l’activité avec les enfants et pour se coordonner dans l’équipe éducative.

5.1.3. L’évaluation des activités et des conduites des enfants en fonction de leur âge

La typification en fonction de l’âge ne se retrouve pas uniquement dans les groupes de bébés, mais peut aussi être mobilisée pour des enfants plus âgés. Dans l’extrait suivant, la typification des enfants en fonction de l’âge ne sert pas seulement à les répartir pour les activités adéquates, mais également à expliquer leurs conduites. Lors de cet entretien, les professionnelles évoquent une activité de peinture qui a été proposée à trois enfants âgés de trois à quatre ans. La stagiaire s’étonne que les enfants n’aient pas peint un arbre en commun pour les trois, mais un arbre pour chaque enfant. La référente répond à cette interrogation en évoquant l’âge des enfants :

Transcription 68 : Entretien hebdomadaire de stage

P-EP1 « ça correspond à leur âge » 1

2

R2 c'est sûr\ et je pense que ça correspond plus à leur âge\ à leur développement/ de faire chacun au lieu de se mettre ensemble pour faire vraiment quelque chose\

Afin de chercher des explications pour les conduites des enfants qui n’ont pas peint un arbre en des enfants. Ceci ne permet pas d’évaluation des pratiques professionnelles mises en place ou à la prise en compte d’autres éléments contextuels. La catégorisation typifiante concernant l’âge et le développement des enfants clôt le débat et donne aux notions d’ « âge » et de « développement » un aspect de détermination des conduites des enfants. Cette séquence montre qu’une telle catégorisation typifiante peut exclure la prise en compte d’autres paramètres.

Dans la séquence suivante, les typifications sont utilisées pour évaluer les conduites et les caractéristiques d’un enfant singulier par rapport aux autres enfants du groupe d’enfants :

Transcription 69 : Entretien hebdomadaire de stage

M1-Discussion-2 « Il est encore juste pas là dedans » autres faire . (hum) après il était un bon moment à la vitre à regarder les grands aussi dans le jardin (hum)/ voilà . il a participé de façon différente/ et c'est euh . il s'est pas beaucoup mêlé . au reste du groupe . mais parce qu'il est encore juste pas là dedans . par rapport à son âge quoi\ (hum) Lors de l’entretien de stage consécutif à l’activité menée avec les enfants, la référente commente les conduites de TIM et les compare aux conduites des autres enfants présents. Le fait que TIM est le seul enfant qui ne marche pas encore dans ce groupe amène la référente à le catégoriser de façon spécifique. Au début de cet extrait, la référente rend manifeste qu’elle a observé que « TIM a vécu sa vie de façon très très bien » (ligne 1) et qu’il a « rigolé de voir les autres faire » (lignes 1-2).

Cependant, elle restreint rapidement cette catégorisation positive des conduites de TIM en évoquant qu’il « a participé de façon différente » (ligne 3), et qu’il ne « s’est pas beaucoup mêlé au reste du groupe » (lignes 3-4). La référente donne ensuite une explication aux conduites de TIM en faisant référence à son âge : « Parce qu’il est encore juste pas là-dedans par rapport à son âge » (ligne 4).

La catégorisation typifiante établie concernant TIM en tant que « non marcheur » est également mobilisée pour expliquer ses façons d’interagir et le fait qu’il s’est « pas beaucoup mêlé au reste du groupe ».