• Aucun résultat trouvé

Les aspects

2. Les conduites de l’enfant

2.4. Donner une signification symbolique aux conduites des enfants

3 4 5 6

S2 quand t'as pris ELI comme ça . ça . c'est c'est pas le mot CHOquant . mais ça peut vraiment . elle elle l'a RAmenée à ce qu'elle était en train de lui dire . et on voit . bien qu'ELI . elle elle . COMprend . [hum hum] je trouve . parce que justement [elle essaie] elle essaie de fuir un peu . et surtout à la fin elle lui rend la balle 'fin . il y a quelque chose comme ça où . elle sait ce qu'elle a FAIT . surtout qu'ELI c'est une des plus grandes du groupe . donc . même à ce moment là . de l'année . elle . je pense qu'elle avait la capacité de comprendre [hum hum] ce qui se passe . et . ehm . et voilà Dès le début de son intervention, la stagiaire évoque la pratique professionnelle abordée par la référente : « Quand t’as pris ELI comme ça » (ligne 1). L’énoncé de la stagiaire porte sur l’évaluation effectuée par la référente : « C’est pas le mot choquant mais ça peut vraiment » (ligne 1). Ces énoncés sont adressés à la référente et reprennent les termes de celle-ci. Tandis que la référente a énoncé qu’auparavant, elle aurait été choquée et que maintenant elle est convaincue de ce qu’elle a fait, la stagiaire réfute certes l’utilisation du terme « choqué », mais commence une formulation qui semble bien annoncer qu’elle-même n’est pas convaincue de l’adéquation des pratiques de la référente. A ce moment, la stagiaire ne finit pas son énoncé et ne se détermine pas par rapport au terme évaluatif à utiliser. Elle change d’adressage et décrit pour les chercheurs ce qu’elle a observée :

« Elle l’a ramenée à ce qu’elle était en train de lui dire et on voit bien qu’ELI elle comprend » (lignes 2-3). Par cet énoncé, la stagiare décrit la conduite de la référente en lui donnant une signification. La référente n’a pas seulement « pris » ELI, « elle l’a ramenée à ce qu’elle était en train de lui dire ».

Pour la stagiaire, cette pratique peut être considérée comme justifiée parce que « ELI comprend ».

Ensuite, la stagiaire décrit les conduites d’ELI en tant qu’indices de sa compréhension : « Parce que justement elle essaie de fuir un peu » (ligne 3). La stagiaire ajoute : « A la fin elle lui rend la balle » (lignes 3-4). Ensuite, la stagiaire vient à une catégorisation typifiante pour argumenter le fait qu’ELI

« comprend » ou qu’elle « sait ce qu’elle a fait » (ligne 4). Etant donné qu’ELI est « une des plus grandes du groupe », la stagiaire considère qu’elle « avait la capacité de comprendre » (ligne 6). La typification d’ELI comme « grande » suffit à catégoriser le fait qu’elle comprend.

La controverse professionnelle qui s’ouvre lors de cette discussion à partir de l’extrait du film présenté porte d’une part sur la question si la pratique professionnelle de la référente était « choquante »,

« convaincante », « pas trop forte » ou justifiée. D’autre part, la question se pose de savoir ce qui amène ELI à « fuir le regard » et si elle « comprend ». Par la typification effectuée par la stagiaire qui stipule qu’ELI est « grande » et donc qu’elle a « la capacité de comprendre », la stagiaire clôt le débat entamé.

2.4. Donner une signification symbolique aux conduites des enfants

Dans la séquence d’interaction suivante, les professionnelles utilisent la dimension symbolique du langage pour donner une signification à la conduite de SOF. Cette séquence contient des adressages multiples. Afin de faciliter la lecture, la transcription est répartie en trois extraits consécutifs.

Séquence

Lors de cette activité, la référente joue avec ELI en levant une balle très haut, avant de la faire tomber.

SOF est assise face à la référente et se fait tomber, dans un mouvement qui suit séquentiellement le mouvement de la balle. Elle se fait basculer de côté en tenant une jambe tendue, ce qui équilibre le mouvement et fait qu’elle ne touche pas le sol avec la tête. La référente regarde SOF et imite son mouvement en miroir, de façon ostensible. Pendant tout le long de son mouvement, elle maintient l’orientation visuelle sur SOF. En touchant le sol avec son bras, la référente dit « boum » (ligne 6). Elle se relève et pointe SOF, en la regardant intensément et en souriant. La référente se met à rire et regarde la stagiaire. Par son mouvement d’imitation, son regard, ses mimiques, sa verbalisation et son rire, la référente montre qu’elle a observé la conduite de SOF et qu’elle la catégorise comme légitime et même « drôle ». La stagiaire rit en même temps et énonce tout en riant : « Avec la jambe » (ligne 8). Elle accompagne son énoncé avec un geste des bras qui imite le mouvement des jambes de SOF. Les deux professionnelles rendent publiquement manifestes qu’elles effectuent des processus d’observation et de catégorisation portant sur la même conduite, le mouvement de SOF de se faire tomber. La référente s’adresse ensuite à SOF : « Tu fais de l’aérobic eh c’est bébé nageur hein » (lignes 10-11). Toujours avec un rire contenu dans la voix, la référente donne des interprétations à la conduite de SOF par des métaphores. En décrivant la conduite de SOF de façon symbolique, la référente catégorise le mouvement de SOF comme une conduite intentionnelle et ludique et lui donne une signification. La notion d’ « aérobic » n’est probablement pas accessible pour SOF, mais conduit la référente à l’association de « bébé nageur ». SOF se relève et se faisant, elle tourne le dos à la référente. Celle-ci s’approche de SOF et enchaîne : « C’est aujourd’hui la piscine ? (ligne 14). Elle met ainsi en lien la métaphore du « bébé nageur » avec le fait que SOF va à la piscine avec son père. La référente touche ensuite SOF et lui dit : « Plouf dans l’eau ! » (ligne 15). Dans le déroulement séquentiel de l’interaction, la référente établit une catégorisation du mouvement de SOF, en passant de l’ « aérobic » au « bébé nageur », de la visite à la piscine au mouvement de faire « plouf dans l’eau ». De cette façon, la référente construit progressivement une description du mouvement de SIR sous une forme routinisée, extraite de la chanson « en bateau », connue par SOF. Pendant ce temps, SOF prend un ballon, sans maintenir de contact visuel.

Séquence

Pendant ce moment où SOF se détourne, la référente reprend l’énoncé qu’elle vient d’adresser à SOF et le résume à l’intention de la stagiaire : « Tu sais elle fait plouf dans l’eau avec son papa ! » (lignes 2-3). Cet énoncé, tout en donnant une information d’arrière-fonds à l’interaction en cours à la stagiaire et en parlant de SOF à la troisième personne, continue à être formulé de la même façon que les énoncés précédents adressés à SOF. La référente utilise les termes « plouf dans l’eau » et « papa ».

Même si la prosodie de sa voix est moins accentuée, cette reprise s’adresse de cette manière tant à la stagiaire qu’à l’enfant. La stagiaire s’aligne sur l’énoncé de la référente et dit tout en riant: « Ouais comme ça ! » (ligne 4). Pour expliciter les termes de « comme ça », elle mime le mouvement de sauter dans l’eau, les bras levés en avant. La référente ratifie la conduite de la stagiaire en énonçant :

« Elle se jette ! » (ligne 6) et imite le mouvement de la stagiaire. Tout en s’adressant à la stagiaire avec une voix plus basse, la prosodie de sa voix accentue le terme de « jette » de façon synchronisée à son mouvement. Par l’amplification des gestes, la prosodie et les termes utilisés, les deux professionnelles rendent manifeste que leur interaction continue à s’adresser également à SOF. Suite à cet échange entre la référente professionnelle et la stagiaire, SOF se retourne vers la référente avec le ballon qu’elle vient de prendre dans les mains :

Séquence

((se retourne vers R5 et tient le ballon)) elle se JETte ((se penche vers SOF et touche le ballon qu'elle tient. Elle le prend et le met sur la tête de l'enfant.

Rit.))

((enlève le ballon de sa tête et regarde R5))

Lorsque SOF se retourne, la référente répète la même verbalisation, en l’adressant cette fois à SOF :

« Elle se jette » (ligne 2). Tandis que sa prosodie reprend l’intonation antérieure, le mouvement de la référente connaît une variation. Elle penche fortement son torse en avant, en direction de SOF, et touche le ballon que celle-ci tient dans la main. Son mouvement est amplifié mais exécuté à un rythme ralenti, ce qui a comme effet que l’avancée vers SOF se fait tout en lenteur. La référente mime toujours le mouvement de sauter dans l’eau, mais en l’ajustant au contexte présent. La référente prend le ballon que SOF tient dans la main et le lui met sur la tête, tout en riant. Par son rire, la référente rend manifeste qu’elle est en train de faire une « blague ». SOF enlève le ballon de sa tête, en le posant devant elle. La référente accentue fortement, avec une voix très haut perchée et avec un rire contenu dans la voix : « Ah oui ! » (ligne 8). Cette interpellation attire l’attention à ce qui va suivre.

La référente reprend la formulation utilisée antérieurement : « Fait plouf dans l’eau » (ligne 8). Suite à son énoncé, elle met en scène le mouvement de sauter dans l’eau, en avançant le torse de façon ostensible, en levant les bras et en les abaissant tout en tapant avec les mains sur le ballon. Lorsque la référente est en train de finir son mouvement, SOF commence à reproduire sa conduite initiale, en se faisant tomber de côté, la jambe levée. Cette reprise est ratifiée par la référente en reprenant les même formulations qu’antérieurement : « Plouf dans l’eau oui » (ligne 14). La référente montre ainsi qu’elle a observé que SOF a reproduit son mouvement initial et elle le légitime et le valorise de façon accentuée, en s’adressant à SOF directement. La stagiaire, qui a continué à observer l’interaction entre la référente et SOF, s’adresse à la référente : « Elle le fait bien » (ligne 15). Par son énoncé, la stagiaire fait ressortir aussi bien le fait qu’elle a observé la conduite de SOF que le fait qu’elle la catégorise de façon positive. Cette ostension est cependant adressée à la référente et nomme SOF à la troisième personne. Par cette réflexion sur la situation, la stagiaire rend manifeste l’existence de

stagiaire qui intercale un commentaire à un moment donné (« avec la jambe »). Ensuite, dans le deuxième extrait, pendant que SOF est orientée vers le ballon, l’interaction continue entre la référente et la stagiaire. Dès que SOF se retourne vers la référente, lors du troisième extrait, l’interaction entre elle et l’enfant reprend. Cet extrait se clôt par un commentaire final de la part de la stagiaire, adressé à la référente. A travers ces changements d’adressages, le déroulement séquentiel de l’interaction suit le rythme de l’engagement de l’enfant. Quand SOF est disponible, les énoncés lui sont adressés, lorsqu’elle est focalisée sur d’autres points d’intérêt, l’interaction continue à se dérouler par des échanges entre les deux professionnelles. La référente s’ajuste aux modalités d’engagement ou de non-engagement de SOF et lui permet ainsi de s’inscrire dans une interaction d’une certaine durée.

Dans cette séquence, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation s’effectue par des répétitions de verbalisations accentuées et rythmées, accompagnées par des mouvements mimés.

Lorsque l’éducatrice imite le mouvement de SOF, en levant sa jambe et en s’inclinant de côté, elle fait un « geste mimétique » qui « imite ou représente un autre individu avec lequel l’acteur s’identifie » (Schütz, 2009, p. 90). La notion d’imitation permet d’éclairer l’analyse de cette séquence. Il s’agit de considérer qu’une « répétition à l’identique (…) n’existe pas dans la réalité. Ce n’est pas un corps qui exécute le mouvement mais bien une personne porteuse de toute son historie » (Harbonnier &

Barbier, 2012, p. 18). Par sa conduite d’imitation de la référente en tant que « mimétisme gestuel offre un accès global, rapide et direct au mouvement observé » (op.cit., p. 18). L’imitation a une place importante dans les interactions avec de jeunes enfants et constitue pour les enfants, selon Bruner,

« une fonction d’apprentissage par observation du congénère » (Lestage, 2008, p. 8). A travers le processus de démonstration et d’imitation, le rôle de l’adulte dans la transmission est prépondérant.

Cependant, comme dans la séquence analysée, les processus d’imitation s’inscrivent largement dans une réciprocité :

« En effet, l'alternance imiter/être imité permet la régulation temporelle interpersonnelle qui n'est pas nécessaire dans le cas d'interactions élémentaires, mais le devient dans le cas d'échanges prolongés. Elle marque l'intentionnalité en relation avec les prises de parole que constitue l'initiation d'une nouvelle séquence imitative basée sur un autre objet ou une autre activité à propos du même objet : elle sous-tend le partage de thèmes » (Nadel & al., 1996, p. 27).

Au départ, l’imitation d’une conduite d’un des participants à l’interaction exprime : « tu m'intéresses » (Nadel & al. 1996, p. 27). Dans leur imbrication dans le déroulement interactionnel, les conduites d’imitations sont ensuite « plus que de simples comportements socialement orientés, plus que des moyens d’influence sur l’autre, en fait de véritables outils d’interactions » (op.cit., p. 27). Par ailleurs,

« la réciprocité de ces comportements les différencie de ceux décrits sur la base d’une relation hiérarchique cristallisée entre modèle et imitateur » (op.cit., p. 27). A travers de telles interactions,

« l’enfant apprend à imiter » (Piaget, 1945, p. 81).

Dans la séquence d’interaction analysée, les énoncés verbaux consécutifs vont donner des interprétations multiples à ce mouvement, de « aérobic » à « bébé nageur » et à « plouf dans l’eau » et lui donnent une épaisseur de significations. Par ailleurs, les conduites ostensives de l’éducatrice prennent les mêmes formes quand elle porte sur les conduites de SOF dans l’activité située que quand elle représente les conduites se déroulant à la piscine, lors des cours de « bébés nageurs ». A travers cette similitude se construit un cadrage modalisé d’un jeu symbolique où il s’agit de « faire semblant » de sauter dans l’eau. De même, cette similitude permet de construire une certaine forme de récit d’une situation non présente, adressé à un enfant âgé d’environ un an, et qui permet de construire une compréhension partagée entre les professionnelles et l’enfant concernant ce qui est en train de se passer.

Certes, la catégorisation établie par la référente du mouvement initial n’amène pas SOF à la ratifier.

Elle regarde la référente, mais se retourne ensuite et va chercher un ballon sans qu’il soit apparent qu’elle tienne compte des énoncés de la référente. Ce retrait de SOF de l’interaction est suivi par un échange entre la référente et la stagiaire où la référente répète les catégorisations effectuées, avec une intensité interactionnelle moindre et par un adressage indirect. En tant que témoin ratifié de cette interaction, SOF a pu réentendre ce qui lui avait été signifié auparavant. En modulant l’intensité de ces échanges avec SOF, en s’ajustant à ses retraits et ses ré-engagements, la référente parvient progressivement à partager sa compréhension de la situation avec SOF. S’il n’est pas possible d’affirmer sans ambiguïté que le mouvement initial de SOF constitue une conduite intentionnelle mimant les mouvements d’un « bébé nageur » à la « piscine », le mouvement final de SOF constitue assez certainement une conduite intentionnelle pour imiter le fait de faire « plouf dans l’eau ». La catégorisation de la conduite de SOF et d’elle-même en tant que « bébé nageur » construit une partie

de son identité sociale, mais constitue également une opportunité pour élargir ses expériences et de faire de nouveaux apprentissages. Cette séquence d’interaction met en lien la situation actuelle avec des contextes antérieurs et ultérieurs et établit de cette manière une certaine continuité pour l’enfant.

S’y construisent également des liens entre le réel d’une activité avec des balles et l’imaginaire d’un jeu symbolique.

Tout au long de cette séquence, les professionnelles rient et manifestent du plaisir d’observer SOF et d’interagir avec elle. Par une modalisation du cadrage de l’activité en tant que jeu et à travers la symbolisation effectuée des conduites de l’enfant, les professionnelles transforment un mouvement qui pourrait donner lieu à de multiples interprétations dans une conduite riche de sens. Dans une posture double, les professionnelles s’engagent en tant que participantes dans un jeu, s’y amusent, rient et éprouvent du plaisir à interagir avec SOF, tout en observant sur un plan plus réflexif les conduites inattendues, les gestes d’imitation et la coordination fine des mouvements par SOF avec intérêt et satisfaction. Le travail d’interagir, de s’engager dans des relations interpersonnelles, jour après jour, demande un investissement subjectif. Trouver du plaisir dans les interactions est un des moyens pour construire et maintenir cet investissement subjectif. Dans cette interaction, les professionnelles s’amusent. La limite est ténue entre s’amuser avec un enfant aussi jeune et rire de lui. L’alignement de SOF à la fin et sa reprise du mouvement initial montre que, dans cette situation-là, elle a pu participer au plaisir des professionnelles.