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de catégorisation sous-jacents à cette répartition de l’espace est uniquement possible par le recours à l’entretien de stage qui suit cette activité :

Transcription 3 : Entretien de stage hebdomadaire Parce que j’ai vu S-EP3 1.50

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R3 donc c'était une bonne chose \ moi / en fait / je me suis mise très vite vers la table / parce que j'ai vu MOR et je crois que c'était LUC / je ne sais plus / elles se sont au début éloignées / qui jouaient à la dînette / sans s'occuper du tout des graines \ c'est pour ça / j'ai pris les graines un moment /je les ai amenées dans l'assiette / je crois / pour leur montrer que / voilà / qu'on pouvait jouer à la dînette / en même temps que de participer à l'activité \

Dans ce court extrait de l’entretien, la référente indique ce qu’elle a « vu » (ligne 2). Elle fait ainsi explicitement référence au fait qu’elle a observé les conduites des enfants et qu’elle s’est basée sur ses observations (« c’est pour ça », ligne 3) pour construire son activité auprès des enfants. Dans l’interaction située, la référente n’a pas explicité ses observations, mais à travers ses conduites, elle a cherché à « montrer » (ligne 4) aux enfants quelles étaient les conduites possibles et attendues dans le cadre de l’activité proposée. Cette analyse montre que, dans les situations où les processus d’observation et de catégorisation restent imbriqués dans le cours de l’interaction et ne sont pas rendus manifestes, il peut s’avérer nécessaire d’avoir accès à d’autres sources de données pour les aborder. Ceci n’est pas toujours possible. Pour permettre l’analyse de ces processus, il semble dès lors indispensable de s’intéresser aux situations où les processus d’observation et de catégorisation sont rendus manifestes. Lors du recueil des données déjà, et lors des premières pré-analyses, il est apparu que dans le contexte des institutions de la petite enfance, l’ostension de ces processus est fréquente.

Cette ostension est multimodale et l’analyse de nombreuses séquences fait ressortir l’importance des gestes, du positionnement du corps, et surtout du regard pour pouvoir déceler le fait que les éducatrices sont en train d’observer les enfants. Lorsque le fait d’observer et de porter son attention sur un des aspects de la situation est rendu manifeste de façon multimodale, les participants à l’interaction peuvent établir des hypothèses d’interprétations concernant l’objet de l’observation effectué et les catégorisations sous-jacentes. Une démarche d’analyse des films permet également d’établir de telles hypothèses de compréhension. Cependant, il n’est pas aisé de confirmer ou d’infirmer de telles hypothèses lorsque les processus d’observation et de catégorisation ne sont pas énoncés. Toute situation d’interaction implique le fait de devoir inférer pour établir des significations.

Lorsque la communication est non verbale, la difficulté est encore accrue, étant donné qu’« à des degrés variés, toutes les formes de communication non-verbale sont des formes de communication faible (…) : il n’est jamais possible d’identifier à coup sûr par toutes les hypothèses rendues manifestes par le communicateur celles qu’il avait lui-même à l’esprit » (Sperber & Wilson, 1989, p.

261). Dès lors, pour des raisons méthodologiques, la présente recherche se base sur une sélection des séquences d’interaction où les processus d’observation et de catégorisation sont rendus manifestes de façon verbale au cours de l’interaction. L’ostension des processus d’observation et de catégorisation est donc au centre des analyses portant sur les séquences d’interaction isolées, extraites de la continuité temporelle des pratiques professionnelles, dans les chapitres IV et V.

Cependant, la séquence analysée ci-dessus fait ressortir que même si les processus d’observation et de catégorisation ne sont pas rendus manifestes et peuvent résister à une démarche d’analyse, ceci ne signifie pas qu’ils sont d’une importance moindre pour le déroulement des interactions. C’est pour cette raison, à travers la notion de « trajectoire située » mobilisée dans le chapitre VI, la présente démarche de recherche vise à s’appuyer sur les différents processus d’observation et de catégorisation, que ceux-ci soient rendus manifestes de façon verbale ou non.

3.1. La délimitation du corpus des données

A partir du critère de l’ostension des processus d’observation et de catégorisation dans les énoncés des professionnelles, les premières analyses montrent la fréquence de verbalisations utilisant les termes de regarde, mais aussi de tu vois ou de t’as vu. Il est intéressant d’analyser l’occurrence de ces termes et d’aborder comment ils contribuent à construire des repères pour la construction d’une attention conjointe, qui est à la base de l’interaction. Ces « vocatifs captateurs d’attention » sont des « signaux généraux d’alerte pour l’enfant quant à la possibilité d’un changement concernant la cible principale de son attention » (Bruner, 1983, p. 65). Dans l’ensemble des séquences sélectionnées, et notamment en s’intéressant aux termes de regarde ou tu vois, il apparaît que les

observations et catégorisations effectuées portent sur plusieurs éléments présents dans le contexte interactionnel. L’ostension des processus d’observation et de catégorisation peuvent porter sur les conduites des enfants, leurs façons de faire ou d’être, mais portent également sur la propre conduite des professionnelles ou sur les éléments matériels du contexte, comme les objets présents ou l’aménagement de la pièce. En ce qui concerne les processus d’observation et de catégorisation en lien avec le contexte ou les propres conduites des professionnelles, ils ne font pas partie de l’analyse principale de cette thèse. Il semble cependant important de relever leur importance et leur fréquence, notamment en ce qui concerne les consignes.

3.2.1. Décrire le contexte, l’aménagement de l’espace et les objets à disposition

La séquence suivante se situe au début d’une activité et les consignes données par la stagiaire se basent largement sur la dénomination des objets prévus pour l’activité et sur leur positionnement dans l’espace.

on va voir ce qui est installé dans la salle ((S3 est debout, tient un papier jaune dans sa main, les enfants sont assis sur le tapis, elle se déplace vers des objets)) enfants)) c'est une bouteille oui. et ça c'est quoi ça ici ((prend une balle sur sa gauche et leur montre en la tenant sur ses doigts

Cette séquence n’est pas introduite par « regarde », mais par l’expression « on va voir » (ligne 1). La stagiaire attire l’attention des enfants sur les objets prévus pour l’activité à venir. A travers ses déplacements et le positionnement de son corps (lignes 4, 5, 8-9 et 11-12), elle les rend également attentifs à l’emplacement des objets dans la salle. La stagiaire demande aux enfants comment dénommer l’objet présenté (lignes 5 et 8) et la proposition de ELI (« la bouteille », ligne 10) est ensuite ratifiée par la stagiaire (ligne 12). La stagiaire enchaîne avec une demande pour dénommer un second objet (lignes 12-13). Cette fois, deux enfants donneront une réponse. Tandis qu’ELI évoque une « balle » (ligne 16), ALI parle d’un « ballon » (ligne 17). La stagiaire ratifie la proposition d’ELI (ligne 18) et c’est seulement après que la dénomination des objets présents a été construite collectivement avec les enfants qu’elle reprendra ces dénominations pour énoncer la consigne dans son ensemble : « Alors aujourd’hui je vous propose de faire une activité avec les bouteilles et une balle » (lignes 20-21). Les éléments de cette consigne « pré-annoncés » par les dénominations antérieures sont d’ailleurs repris par ELI (« avec les bouteilles », ligne 22 ; « et une balle », ligne 24).

Dans cette séquence, il s’agit bien de dénommer les objets pour les présenter aux enfants, mais également de construire une attention conjointe sur les différents éléments de l’activité prévue. Le fait d’attirer l’attention des enfants sur les objets et leur positionnement dans la salle constitue la base pour instaurer les repères concernant l’activité à venir. L’élaboration collective de la consigne dans

S3

l’interaction définit le cadrage de l’expérience et rend manifeste ce qui se passe ici. L’imbrication des gestes et de l’ostension des processus d’observation et de catégorisation concernant le contexte et les propres conduites de l’éducatrice ressort notamment dans les moments de l’énonciation des consignes adressées aux enfants (Tapparel, 2014).

3.2.2. Commenter, décrire sa propre conduite

Cette séquence porte sur une autre activité et se met en place lors de l’introduction d’un nouvel objet dans le déroulement de l’activité. Dans cette séquence, la stagiaire ne s’adresse pas au groupe d’enfants dans son ensemble, mais à un enfant en particulier. Elle ne décrit pas des éléments du contexte, mais commente ses propres conduites.

Séquence Ligne

Transcription 5 Photos/Commentaires

S-A3 46.55-47.07 Transvasement R3 + S3 et 6 enfants âgés de 1 à 2 ans

1 2 3 4 5 6

S3

« Regarde, on peut mettre dedans »

regarde / MOR /…((S3 se met à côté de MOR. MOR la regarde.)) regarde...((S3 prend des lentilles avec une cuillère))/ hop / ((elle met les lentilles dans l'entonnoir, posé dans la bouteille)) on peut mettre dedans .../

t’as vu / (photo)

47.05

Tableau 1 Dans cette séquence, la description de la conduite de l’éducatrice est précédée par « regarde », pour attirer l’attention de MOR. Ce terme est répété jusqu’à ce que MOR observe effectivement ce que la stagiaire est en train de faire. L’énoncé est également clôturé par « t’as vu » (voir photo). Par les termes de « regarde » et de « t’as vu », la séquence de conduite à observer est délimitée dans le cours de l’interaction et ce qui est à regarder est publiquement rendu manifeste. La description de la propre conduite s’inscrit dans une monstration qui implique l’utilisation des objets, de la bouteille, de l’entonnoir et des lentilles par l’éducatrice et le positionnement de son corps. Le rythme de l’énoncé, le

« hop » rapide pour marquer le fait de verser les graines dans l’entonnoir, la pause suite à « on peut mettre dedans » qui marque le temps d’observation des lentilles qui coulent dans la bouteille, accompagne et rend visible le rythme de l’action. L’ostension des conduites propres de la professionnelle permettent de construire une attention partagée entre elle et l’enfant. L’observation conjointe de ce qui se passe amène à partager un cadrage de l’expérience. La professionnelle donne

« les règles du jeu » et instaure des repères qui permettent la compréhension de ce qu’elle propose, renforce l’effet de monstration de sa conduite et facilite ainsi des conduites d’imitation. Elle rend également visible quelle est l’activité légitimée et attendue de l’enfant. Par l’ostension de sa conduite propre, la professionnelle régule l’activité en cours et construit un espace d’apprentissage en offrant des opportunités de monstration et d’imitation.

Dans la séquence suivante, l’éducatrice commente également sa conduite propre. Ici, il ne s’agit cependant pas de donner une consigne ou de montrer la conduite attendue, mais de commenter l’intervention de l’éducatrice concernant un soin apporté au corps de l’enfant.

S3 MOR

Séquence Ligne tête de LUK d’une main et met le mouchoir devant le nez, avec l’autre main))

encore une fois / ..((essuie encore une fois le nez)) ..

Pendant ce temps, LUK continue de peindre. L’éducatrice interpelle LUK par son prénom (ligne 1) et approche le mouchoir du visage de l’enfant. Elle attend ensuite un court instant, le mouchoir situé dans le champ de vision de LUK jusqu’à ce que celui-ci lève la tête et le regarde. L’éducatrice fait ensuite une pré-annonce de ce qu’elle s’apprête à faire : « Je vais juste moucher le nez » (ligne 5).

Dans une synchronisation fine, elle tient alors d’une main la tête de LUK et, avec l’autre main, avance le mouchoir devant le nez de LUK. Quand celui-ci montre ostensiblement qu’il anticipe ce qui va suivre, en fermant les yeux, par une mimique de dégoût et en tournant légèrement la tête, l’éducatrice essuie le nez de LUK. Ce mouvement est accompagné par « voilà » (ligne 10). L’éducatrice regarde attentivement le visage de LUK qui baisse la tête. Tout en annonçant qu’elle mouchera LUK pour une deuxième fois (« encore une fois », ligne 13), l’éducatrice lui essuie encore une fois le nez. Cette fois-ci, LUK referme les yeux et lève une main vers le mouchoir, esquissant un geste pour le repousser.

L’éducatrice annonce la clôture de l’acte de moucher (« c’est bon », ligne 17) et LUK se remet à peindre.

Le fait d’annoncer sa conduite, de la commenter et d’en indiquer la fin permet à LUK de pouvoir anticiper et comprendre ce qui est en train de passer. Par l’ostension des processus d’observation de de catégorisation portant sur ses propres conduites, l’éducatrice aménage une place pour LUK dans le déroulement séquentiel de l’interaction. De cette manière, LUK n’est pas un objet de soin mais un sujet participant à une interaction. En rendant manifeste ce qui est en train de se passer et ce qu’elle est en train de faire, l’éducatrice facilite la collaboration de LUK dans cette situation. Elle évite des mouvements incontrôlés de la part de LUK et d’éventuelles résistances suscitées par le fait qu’il ne s’attende pas à ce qui va venir ou qu’il ne comprenne pas ce qui se passe. Dans une telle situation, les objectifs liés à une visée éducative et ceux d’ordre pragmatique se rejoignent. Pour ces raisons, les interventions sur le corps des enfants sont généralement accompagnées de commentaires portant sur la conduite des professionnelles.

L’analyse de ces trois séquences portant sur la propre conduite des professionnelles ou sur des éléments du contexte permet de faire ressortir que l’ostension des processus d’observation et de catégorisation ne consiste pas uniquement à dire ce qui a été observé et compris dans un contexte singulier. Le langage verbal est un des moyens utilisés pour rendre manifeste ce qui semble pertinent dans une situation donnée, afin de faire comprendre, de faire faire aux enfants ce qui est attendu d’eux. « Instructions to a child require making problematic adult notions of ‘what everyone knows’ » (Cicourel, 1974, p. 49). L’ostension des processus d’observation et de catégorisation a clairement une

R4

visée pragmatique. Afin de construire une compréhension partagée ou un engagement collectif dans une activité, il ne suffit pas de dire. Pour faire advenir ce qui est prévu, il est nécessaire que les enfants s’engagent dans l’interaction. Les professionnelles et les enfants se trouvent dès lors dans une interdépendance réciproque. Lors d’un des entretiens de stage enregistrés, une des référentes professionnelles exprime cette nécessité de la réponse de l’enfant.

Transcription 7 : Entretien de stage hebdomadaire c'est plutôt une impulsion au niveau du visuel . tu leur parles ils te regardent . tu attends qu'il ait bien vu qu'il . voilà qu'il ait perçu qu'est-ce que sont tes attentes . mais après . quand ils sont plus grands . en général . tu leur dis &alors . tu viens avec moi& . tu es prêt et des choses comme ça . [ouais] et l'avertir [ouais] de ce qui tu vas lui faire . justement toujours dans cette histoire de collaborer [ouais] . il te donne l'impulsion et toi . tu suis . et puis . ((S3 prend des notes))

ouais . c'est vrai que quand je le note j'y pense . mais . après . c'est vrai pour quelqu'un d'extérieur . ben . il le comprend pas spécialement comme ça \

ben . dans tous les cas . c'est . écrit comme ça . moi je vois l'image tu es en train de lui dire je vais te changer la couche en même temps que tu lui changes la couche . en fait c'est de l'anticipation . donc c'est plutôt que tu l'avertis de ce que tu vas faire plutôt que de le nommer [hum hum] ce que tu es en train de faire [ouais] . après l'un n'empêche pas l'autre . hein \ [ouais . ouais] mais . je crois ce qui est très important c'est ça \

Comme cette référente l’évoque, il ne suffit pas de verbaliser les actions (ligne 10) ou de les

« nommer » (ligne 20). L’ostension des processus d’observation et de catégorisation n’est ici qu’une première étape dans le déroulement séquentiel de l’interaction visant à ce que l’enfant puisse comprendre « ce qui se passe » ou d’anticiper « ce qui va se passer », et donner ensuite

« l’impulsion » (ligne 3) pour y participer. Dans cet extrait d’entretien, la référente cherche à faire ressortir la différence entre « dire à l’enfant » et « lui donner l’impulsion ». Pour ce faire, elle « mime » le discours qu’elle adresserait à un enfant : « Alors tu viens avec moi ? » (ligne 6). Par sa prosodie et l’intonation montante de l’énoncé, la référente met en scène qu’elle pose une question à un enfant. De cette manière, elle communique « non pas en l’affirmant mais en imitant le phénomène qu’elle veut rendre manifeste » (Sperber & Wilson, 1989, p. 341). A travers cette « imitation » d’un énoncé adressé à un enfant, la référente fait exister certains aspects des pratiques réelles dans le cadre de l’entretien de stage.

Participer à une interaction, comprendre les différents énoncés et y répondre nécessite de faire des inférences à partir du contexte. Une première analyse du corpus des données portant sur des interactions entre professionnelles et jeunes enfants semble indiquer que, dans ce type d’interaction, les implicites du contexte sont fréquemment rendus manifestes par l’ostension des processus d’observation et de catégorisation portant sur les éléments contextuels pertinents. Ceci différencie ainsi les interactions dans ce champ professionnel des interactions se déroulant entre adultes, où ce travail d’inférence se fait pour une grande partie sur des bases d’éléments qui restent implicites dans les énoncés. L’explicitation du contexte et du cadrage de la situation en lien avec ce contexte facilite la construction d’une compréhension partageable entre enfants et professionnelles. Les processus d’observation et de catégorisation portant sur le contexte se manifestent tant dans les interactions entre adultes que dans celles entre adultes et enfants, mais leur ostension est plus fréquente dans les interactions impliquant de jeunes enfants. L’ostension des processus d’observation et de catégorisation dans ces situations contribue à la définition publiquement manifeste du cadrage de l’expérience. Dans le déroulement des interactions, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation portant sur le contexte ou les conduites des professionnelles précèdent, suivent et s’imbriquent avec l’ostension de ces processus portant sur les conduites des enfants et sur les caractéristiques. Dans le cadre de cette recherche, la démarche d’analyse se centre sur ce deuxième aspect lié aux processus d’observation et de catégorisation concernant les enfants.

CHAPITRE V