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L’ostension des processus d’observation et catégorisation et ses modalités

4.3. Les effets interactionnels de l’ostension pour le travail éducatif auprès des enfants

4.3.1. Donner une place à l’enfant dans l’interaction

L’ostension des processus d’observation et de catégorisation est un des moyens pour montrer aux enfants que la professionnelle les voit, les connait, s’aperçoit des petits changements intervenant dans la vie quotidienne et s’intéresse à ce qu’ils sont en train de vivre, en rendant manifeste qu’elle a du plaisir à les observer et qu’elle légitime leurs conduites. Ou pour le résumer autrement, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation permet de rendre sensible aux enfants qu’ils existent pour la professionnelle qui s’occupe d’eux. En inscrivant l’activité située dans le flux des interactions et dans le fonctionnement institutionnel, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à assurer la continuité d’une prise en charge des enfants et de favoriser pour les enfants de construire un sentiment de permanence.

A travers l’ostension des processus d’observation et de catégorisation, la professionnelle peut répondre aux regards et aux demandes d’attention et de reconnaissance de la part des enfants ou, au contraire, signifier qu’il faut patienter parce que la professionnelle n’est pas à même de répondre immédiatement à leurs demandes. Tout en rendant manifeste que les conduites des enfants ont été observées, la professionnelle peut également les minimiser et leur donner une importance moindre pour faciliter aux enfants une certaine distanciation émotionnelle et de faire face aux frustrations vécues. Dans une situation collective, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation rend visible ce qu’un enfant est en train de vivre pour les autres enfants présents. Ceci aménage l’ouverture d’une interaction à deux vers d’autres enfants et positionne la professionnelle comme intermédiaire.

Par l’humour et une attitude ludique, notamment, il est possible de suspendre temporairement les rôles asymétriques entre professionnelle et enfant. De cette manière, la professionnelle fait ressortir que des initiatives propres, la découverte et l’exploration de conduites inhabituelles sont légitimes. De tels réaménagements du positionnement de la professionnelle rendent possible de répondre à un enfant en tant que participant à un jeu, de façon brève ou plus continue.

A travers l’ostension des processus d’observation et de catégorisation, la professionnelle peut construire des pratiques d’étayage qui soutiennent les enfants pour prendre une place dans le déroulement des interactions, tant en ce qui concerne les interactions entre professionnelles et enfants, que pour celles entre les enfants eux-mêmes.

Par le fait d’attribuer une intention aux enfants, la professionnelle donne une signification à leurs conduites, catégorisées comme intentionnelles. Dans le déroulement interactionnel, il n’est pas possible de déterminer avec certitude si la conduite d’un enfant est intentionnelle. Cependant, l’analyse des données empiriques montre que les éducatrices se basent sur une présomption d’intentionnalité des conduites des enfants. Par l’ostension de l’intention attribuée sous une forme interrogative, les éducatrices aménagent une opportunité pour les enfants de confirmer ou d’infirmer ce qui leur est proposé. Ceci délimite une signification et la rend publiquement négociable. Même dans les situations où les enfants ne peuvent pas suivre leurs intentions, le fait de rendre manifeste que la professionnelle les a perçues leur donne une place dans le déroulement séquentiel de l’interaction.

4.3.2. Soutenir les enfants à pouvoir répondre aux attentes et à réguler leurs conduites

Afin de pouvoir amener les enfants à faire ce qui est attendu, il est nécessaire de leur faire comprendre ce qui se passe ainsi que le déroulement de l’activité prévue. L’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à rendre visible le déroulement séquentiel et la structuration de l’activité pour tous les enfants présents. En commentant les conduites des enfants, la professionnelle les catégorise comme légitimes et intéressantes et incite les autres enfants à les

imiter. De cette manière, l’ostension donne une certaine forme de monstration aux conduites commentées, ce qui contribue à enrôler les enfants dans l’activité en cours. Tout au long de l’activité, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à attirer l’attention sur les conduites d’imitation des enfants et les soutenir. En même temps que la valorisation d’une conduite permet de faire comprendre aux enfants ce qui est attendu, une telle ostension implique potentiellement une mise en question d’autres conduites, de façon implicite. Les processus de légitimation définissent tant ce qui est attendu dans un contexte donné que ce qui est considéré comme non légitime. Tout en définissant les conduites considérées comme légitimes, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation peut également soutenir les initiatives des enfants à explorer des conduites inhabituelles. Au moyen de l’humour et d’une attitude ludique, il est possible de construire des espaces d’exploration et de découverte à travers l’ostension des processus d’observation et de catégorisation.

En plus de favoriser la compréhension de l’activité en cours, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à ce que les enfants parviennent à orienter et réguler leurs conduites pour participer aux activités et répondre à ce qui est attendu, en respectant les règles institutionnelles et sociales et à ce qu’ils recourent le moins possible à des conduites agressives ou potentiellement conflictuelles. L’attribution d’une intention de façon ostensive permet parfois aux enfants d’accepter plus facilement des refus ou des contraintes. Par l’ostension des règles existantes et à travers leur explication et leur justification, la professionnelle leur donne une légitimité qui facilite leur acceptation pour les enfants. En donnant une nouvelle signification, parfois inattendue, à une conduite, la professionnelle « dévie » le comportement d’un enfant et l’amène à s’engager dans des conduites plus acceptables. Une nouvelle interprétation peut contribuer à désamorcer les conduites agressives ou conflictuelles. L’ostension des processus d’observation et de catégorisation concernant les règles contribue à ce que les enfants apprennent à distinguer les règles liées à un contexte donné et les règles collectives et sociales, existantes au niveau de l’institution ou dans la société dans son ensemble.

A travers l’humour et une attitude ludique, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à rendre plus facile le respect des règles pour les enfants. Un refus ou une contrainte peut être transformé par l’humour dans une conduite « drôle » et ainsi être minimisé. Tout en garantissant les règles prévalant, la professionnelle peut ainsi désamorcer ce qui pourrait devenir un conflit. Mais surtout, l’humour rend possible de maintenir une règle pour les enfants qui sont en train de l’intégrer, tout en faisant une exception. Le fait de réagir avec humour, même si cela est fugitif, soutient un enfant pour faire face à ses maladresses ou ses incompréhensions. L’ostension des processus d’observation et de catégorisation à travers l’humour peut permettre à l’enfant de se distancer des réalités du monde.

4.3.3. Apprendre à un enfant à interagir

De façon significative, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à construire une attention conjointe des différents participants à l’interaction sur ce que la professionnelle considère comme pertinent dans le contexte donné. Les nombreuses récurrences des termes « regarde », « tu vois », « t’as vu » soulignent clairement cette fonction de l’ostension.

L’attention conjointe constitue une base indispensable pour pouvoir interagir. Le fait de veiller à focaliser l’attention de chacun sur les mêmes éléments de la situation, mais surtout de rendre manifeste ce processus contribue à construire les compétences interactionnelles des enfants.

L’attention conjointe ne se construit pas seulement par rapport aux éléments de l’espace, les objets présents ou le déroulement des activités. Lorsqu’une professionnelle attire l’attention des enfants sur les conséquences de leur conduite, la professionnelle soutient les enfants pour construire une certaine maîtrise de leurs conduites, intentionnelles ou non, afin d’éviter de léser les autres participants à l’interaction.

En plus, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à élaborer la capacité d’observation des enfants concernant les conduites des autres participants à l’interaction et de s’ajuster à l’interlocuteur. En rendant manifestes les attributions des intentions qu’elle effectue à partir des conduites d’un enfant pour les autres enfants présents, la professionnelle contribue à « traduire » l’intention de l’un à l’autre. A travers les mots d’un langage plus élaboré, la professionnelle cherche à faciliter la compréhension entre deux ou plusieurs enfants. Dans ce sens, « traduire, c’est également

exprimer dans son propre langage ce que les autres disent et veulent, c’est s’ériger en porte-parole » (Callon, 1986, p. 204, cité in : Giuliani, 2005, p. 326). Par l’ostension des processus d’observation et de catégorisation effectués, la professionnelle peut désamorcer des interprétations de la part des enfants qui considèrent une conduite comme conflictuelle ou agressive. De cette manière, l’interaction en cours se transforme et une nouvelle interprétation devient possible. Par l’ostension des processus d’observation et de catégorisation, la professionnelle contribue à ce que les enfants puissent différencier leurs propres intentions de celles des autres enfants et les accompagner pour faire face aux frustrations et trouver une certaine distanciation émotionnelle. De cette manière, elle contribue à leur faciliter la prise en compte des règles interactionnelles et sociales. A travers l’ostension des processus d’observation et de catégorisation, la professionnelle peut également enrichir les significations des conduites des enfants. Par des énoncés symboliques notamment, elle peut ouvrir ce qui se passe sur un monde qui n’est pas présent, sur un monde imaginaire.

De façon générale, l’ostension de processus d’observation et de catégorisation contribue aux pratiques d’étayage mises en place par la professionnelle. Dans toute situation d’interaction, les processus d’observation et de catégorisation effectués permettent à un interactant de s’ajuster au contexte et aux autres participants à l’interaction ainsi qu’au déroulement de l’interaction en cours. De même, en ce qui concerne les situations d’interaction entre une professionnelle et les enfants dans les institutions de la petite enfance, la professionnelle se base sur les processus d’observation et de catégorisation pour s’ajuster aux enfants et à leurs conduites. Simultanément et de façon complémentaire, la professionnelle soutient les enfants pour qu’ils s’ajustent à leur tour dans le déroulement de l’interaction. Dans le courant d’une interaction, une professionnelle n’observe et ne catégorise pas uniquement pour elle-même, mais également pour les enfants. Pour la professionnelle, l’ostension des processus d’observation et de catégorisation est un des moyens pour faire

« fonctionner » une interaction.

Suite aux verbalisations qui attribuent une signification à une conduite d’un enfant, la professionnelle lui réserve fréquemment un espace-temps pour « prendre son tour » dans le déroulement de l’interaction. Ceci aménage une opportunité pour l’enfant de confirmer ou d’infirmer ce que la professionnelle propose comme interprétations, de façon verbale, par un hochement de tête, une mimique ou un mouvement du corps. Les différentes analyses des situations d’interaction font ressortir que l’ostension des processus d’observation et de catégorisation peut contribuer à se mettre

« à hauteur de l’enfant » et de mettre ses compétences interactionnelles à disposition de l’enfant.

Dans les séquences d’interaction impliquant des adressages à deux ou plusieurs enfants, les différentes postures interactionnelles peuvent être schématisées comme suit :

Les processus d’ostension dans l’accompagnement interactionnel des enfants

EDE

Enfant Enfant

Schéma 16 Ce schéma distingue les différents éléments qui s’imbriquent fortement dans le déroulement des interactions. Le fait d’observer un enfant nécessite du temps et amène une brève suspension de la

Ostension des processus d’observation et de catégorisation (Observer les conduites de chaque enfant, attribuer une signification et rendre publiquement manifeste les catégorisations effectuées en établissant des « traductions » pour les autres enfants présents)

Ajustement du déroulement de l’interaction

(Réserver des espaces-temps pour que chaque enfant puisse prendre

« son tour » et ajuster le rythme de l’interaction pour permettre aux enfants de confirmer ou d’infirmer les interprétations effectuées)

poursuite de l’interaction ce qui aménage les opportunités pour les enfants de prendre « leur tour ».

L’ostension des processus d’observation et de catégorisation et l’ajustement du déroulement de l’interaction forment des pratiques d’étayage pour faciliter l’interaction entre deux ou plusieurs enfants.

Lors des interactions entre les enfants, le fait de se comprendre n’est pas aisé. Le langage verbal n’est pas encore acquis ou que partiellement et il est difficile de savoir ce que l’autre veut. En rendant manifestes les attributions des intentions qu’elle effectue à partir des conduites d’un enfant pour les autres enfants présents, la professionnelle « traduit » l’intention de l’un à l’autre. De cette manière, elle peut contribuer à réduire les mouvements agressifs ou de repli et facilite l’engagement dans une interaction pour les enfants. Ceci leur donne l’opportunité d’affiner leurs compétences interactionnelles. Comme toute traduction, les interprétations proposées par les éducatrices peuvent donner un sens aux conduites des enfants, mais aussi le trahir ou l’usurper. Un travail d’enquête, de réajustement continuel est nécessaire pour éviter incompréhensions et risques d’emprise sur autrui.

En résumé, il apparait que l’ostension des processus d’observation et de catégorisation contribue à la mise en place d’un travail éducatif. Cependant, les effets de l’ostension des processus d’observation et de catégorisation ne concernent pas seulement orientés le travail auprès des enfants. L’ostension a également comme effet de permettre à la professionnelle de s’engager dans une interaction avec les enfants et d’accomplir ses pratiques au quotidien.

4.4. Les effets interactionnels de l’ostension pour la professionnelle et ses