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Avant de traiter de la gestualité, il convient de dissocier différentes notions qui y sont liées : praxies, mouvements, gestes et motricité. Les praxies sont des fonctions cognitives (et non motrices) faisant appel à des schémas nous permettant la coordination normale des mouvements dans un but finalisé (BRIN-HENRY et coll., 2011). Les mouvements sont des déplacements du corps par rapport à un point fixe de l'espace et à un moment déterminé (Centre Nationale de Ressources Textuelles et Lexicales). Les gestes, activités finalisées pouvant être réalisées inconsciemment, sont l’ultime étape de perfectionnement du

mouvement initié par l’imitation et élaboré par l’usage (CAMBIER, 2000)17. Enfin, la motricité

renvoie à l’organisation mécanique du mouvement ou du geste (BELHADEF, 1996).

17 Cité dans VIADER F., EUSTACHE F., LECHEVALIER B. Espace, geste, action. Neuropsychologie

des agnosies spatiales et des apraxies. Séminaire Jean Signoret. Bruxelles : De Boeck Université, 2000, 359.

26 Certaines de ces définitions ont fait l’objet de critiques de la part de LE GALL (1992) qui dénigre également les classifications de gestes élaborées par certains auteurs. En effet, il peut paraître compliqué de définir un début et une fin au geste et d’en décrire les différentes étapes qui le composent (BELHADEF, 1996). Ainsi, si ces classifications peuvent être décriées, elles nous permettent néanmoins de mieux appréhender les différents gestes et leur(s) signification(s).

1.1 Typologie des gestes

Parmi les différentes typologies de la gestualité, il existe deux types de classification du geste dans la situation de communication : la classification fonctionnelle s’intéresse au rôle du geste et la classification référentielle qui s’attache au rapport entre les gestes et ce qu’ils renvoient. Nous avons choisi de présenter la classification fonctionnelle développée par COSNIER et VAYSSE (1997) et la classification référentielle décrite par NESPOULOUS (1979) car elles sont fréquemment citées dans la revue de littérature et sont utiles à notre étude, NESPOULOUS basant sa typologie sur le cas d’un sujet aphasique.

1.1.1 Sémiologie des gestes par COSNIER et VAYSSE

COSNIER et VAYSSE (1997) précisent que la sémiotique du geste communicatif se confronte à l’absence de consensus en termes de standardisation formelle. Mais la majorité des classifications fonctionnelles se basent sur le lien entretenu entre le geste et l’activité verbale et sur le caractère pragmatique résultant de cette concomitance geste/parole. Dès lors, deux types de gestes se distinguent : les gestes élaborés en même temps que la chaîne parlée mais sans dépendance apparente (gestes extra-communicatifs) et les gestes participant au processus énonciatif et/ou à la régulation (gestes communicatifs).

1.1.1.1 Les gestes communicatifs

Par définition, les gestes communicatifs sont intrinsèquement liés au langage et se regroupent en trois catégories :

- Les gestes quasi-linguistiques : ces gestes ont généralement un équivalent verbal qu’ils

peuvent remplacer ou illustrer en s’associant à la parole. Ces gestes conventionnels sont propres à une culture donnée (ex : en français le geste du « raz-le-bol », de la folie l’index tapotant la tempe, etc.) et sont parfois à l’origine de langues gestuelles utilisées par les personnes atteintes de surdité ;

- Les gestes co-verbaux dépendent de la parole émise simultanément et se subdivisent en

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o Les gestes référentiels ont une signification stable et commune à l’ensemble d’un

groupe linguistique (fonction dénotative du langage selon BRIN-HENRY et coll., 2011) et permettent d’expliciter le référent exprimé verbalement. Le mot référent peut être désigné par un geste déictique c’est-à-dire par le pointage ou par un geste iconique illustrant de façon métonymique certaines qualités du référent (gestes spatiographiques en lien avec la configuration spatiale, gestes pictographiques en lien avec la forme, kinémimiques en rapport avec l’action) ;

o Les gestes expressifs co-verbaux apportent un caractère affectivo-émotionnel au

discours par des mimiques faciales et/ou des gestes modalisateurs témoignant de la subjectivité du message. Ces gestes sont éminemment culturels et viennent parfois contredire inconsciemment l’émotion que l’on souhaite véhiculer ;

o Les gestes paraverbaux renvoient aux mouvements rythmant la chaîne parlée, aux

gestes de scansion et les gestes de coordination accompagnant le verbal ;

- Les gestes synchronisateurs sont des gestes réalisés par l’émetteur et/ou le récepteur

afin d’assurer la coordination de l’échange (hochements de têtes, mobilité du regard, etc.). Ces gestes renvoient aux gestes phatiques utilisés pour maintenir le contact entre interlocuteurs et regroupent deux sous-catégories :

o Les gestes d’auto-synchronie qui sont simultanés à l’émission verbale chez le

locuteur ;

o Les gestes d’hétéro-synchronie qui témoignent d’une coordination entre les gestes

du récepteur et la parole de l’émetteur, ce serait une forme de feed-back gestuel. 1.1.1.2 Les gestes extra-communicatifs

En plus des gestes communicatifs, un locuteur peut produire des gestes extra-communicatifs centrés sur sa personne et concomitants à la parole. Si ces gestes n’ont pas vocation à apporter intentionnellement une information sur l’émetteur, ils peuvent en revanche être informatifs de par l’interprétation qu’en fait le récepteur. Les gestes extra-communicatifs, renvoient aux gestes ou mouvements de confort (croiser ou décroiser les jambes ou les bras), aux gestes d’auto-contact (toucher ses cheveux, grattage, balancement, onychophagie, stéréotypies motrices, etc.), aux manipulations d’objets (jouer avec son stylo, etc.) et aux gestes accompagnateurs (tics, syncinésies, etc.).

28 1.1.2 Classification neuropsycholinguistique par NESPOULOUS

Le classement établi par NESPOULOUS en 1979 se base sur l’analyse du comportement gestuel d’un patient traumatisé crânien et aphasique n’ayant pas reçu d’enseignement de langage signé et utilisant spontanément la communication non-verbale pour pallier son important manque du mot. Cette description est intéressante car, en reprenant le principe de la psycholinguistique qui part du sujet pour en dresser un tableau clinique, elle apporte des éléments en faveur d’une rééducation gestuelle dans le cadre d’une aphasie. La rééducation gestuelle telle que l’envisage NESPOULOUS vient compenser un déficit expressif dont la récupération linguistique insuffisante ne permet pas au patient de se faire comprendre. NESPOULOUS envisage trois groupes de gestes selon leur rapport avec le référent :

1.1.2.1 Typologie selon le degré d’arbitralité

NESPOULOUS insiste sur le fait que lorsqu’il est acte, le geste n’est pas inné mais fait l’objet d’une acquisition et d’une intégration par tâtonnements successifs de l’enfant au cours de son développement. De plus, tous les gestes ne sont pas des signes linguistiques c’est-à-dire porteurs de sens, mais tout geste non-signe n’est pas nécessairement dépourvu d’informations (Cf. Les gestes extra-communicatifs). Cette sémiotique du geste vise alors à « inventorier les différents types de relation existant entre la forme gestuelle produite d’une part et son référent d’autre part, sans se limiter au seul examen des relations arbitraires ». Les gestes suivants ont été appris par le sujet et codifiés par la communauté à laquelle il appartient :

- Les gestes qui renvoient « aux divers actants, procès, ou circonstants » : gestes

substituts du mot caractérisant toute évocation lexicale (nom, verbe, adjectif, etc.) que le patient n’arrive pas à produire explicitement du fait de son aphasie. Dans l’exemple donné par NESPOULOUS pour ce type de geste, le patient complète sa périphrase par le geste d’argent (main en pince et frottement répétitif du pouce contre la pulpe des autres doigts) afin de ne pas scléroser la situation de communication ;

- Les gestes modalisateurs (Cf. Les gestes co-verbaux) sont fréquemment utilisés

dans le discours du locuteur tout-venant et leur signification varie en fonction du contexte d’énonciation (un même geste aura deux sens différents selon la situation). Etant un des supports primordiaux de l’échange, ces gestes sont de deux sortes d’après les observations menées auprès de sujets aphasiques :

o Les gestes modalisateurs portant sur le contenu du discours tel que le

conçoit le locuteur. Ces gestes permettent de situer le locuteur par rapport à ce qu’il dit afin d’éviter toute fausse interprétation de la part de l’interlocuteur ;

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o Les gestes modalisateurs portant sur l’ensemble de l’acte élocutoire et

témoignant des réactions émotives spontanées véhiculant le degré de contentement ou d’insatisfaction de l’émetteur par rapport à son discours. 1.1.2.2 Les gestes simulacres

Gestes simulacres ou autrement nommés mimétiques, transparents ou iconiques, sont produits en l’absence du mot cible et sans qu’il y ait une relation arbitrairement établie entre le geste et le référent auquel il renvoie. En effet, ces gestes créés par le locuteur au fur et à mesure de son discours et en fonction de ses besoins communicationnels, sont des formes

gestuelles inédites ou « néologismes » ne faisant pas l’objet d’acquisition préalable.

NESPOULOUS reprend la subdivision des gestes simulacres de WUNDT :

- Les gestes mimétiques entretiennent une relation avec le référent et renvoient aux

gestes de formes en évoquant les contours de l’objet ou les principales étapes d’une action ;

- Les gestes « connotatifs » sont des représentations de traits secondaires de l’objet

référent (gestes iconiques chez COSNIER).

Enfin, les gestes simulacres et modalisateurs sont les gestes les plus fréquemment utilisés par le patient aphasique. NESPOULOUS précise aussi que moins un geste est codifié - comme c’est le cas des gestes simulacres et modalisateurs - et plus l’amplitude du geste est grande. Or, comme expliqué plus loin (Cf. Les troubles de la gestualité), il arrive que l’aphasie soit associée à un trouble praxique. Nous savons pourtant que les notions de corps et d’espace sont importantes dans l’action et dans la réalisation d’un geste. Dès lors, chez un sujet aphasique-apraxique, le recours au geste - de communication ou comme étayage à l’évocation - peut être gêné.

1.1.2.3 Les gestes déictiques

Ce type de gestes ne peut se faire sans la présence de l’objet référent ou un objet appartenant à la même classe que le référent. Cette condition laisse à penser que plus le locuteur a dans son environnement proche divers référents (objets réels ou imagés comme dans un cahier de communication), plus il produira de gestes déictiques. Après analyse du corpus, NESPOULOUS dégage trois sous-types de gestes de pointage :

- Les gestes déictiques spécifiques pour lesquels il n’existe aucune distanciation entre

le geste et l’objet, c’est le « je veux » de l’enfant qui tend la main vers un objet en nous regardant. Aussi, peut-on assimiler comme gestes les regards qui désignent l’interlocuteur ;

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- Les gestes déictiques génériques font référence à la classe d’appartenance de

l’objet évoqué ;

- Les gestes déictiques correspondant à la ou une des fonctions de l’objet.

1.1.2.4 Typologie des gestes selon la nature du référent à évoquer

NESPOULOUS, toujours en se basant sur le corpus de son patient cérébro-lésé, met en relation la nature du référent avec le type de geste qui s’y prête le plus :

NATURE DU REFERENT TYPE DE GESTES APPROPRIES

Evocation d’objets Gestes mimétiques et/ou déictiques (si le référent est

présent)

Evocation d’actions Gestes mimétiques

Evocation de qualités Gestes mimétiques et/ou modalisateurs

Evocation du lieu et de la direction Gestes mimétiques et/ou déictiques

Evocation du temps Gestes déictiques

Evocation d’affirmation, d’interrogation ou de négation

Gestes modalisateurs fortement codifiés

Evocation des nombres Gestes symboliques (code manuel strictement codifié)