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Dénomination du corpus de verbes des quatre patients au cours de la Phase 2

2.2 Discussion des apports et limites de notre étude et de notre protocole .1 Apports de notre étude et de notre protocole

2.2.4 Réflexions transversales liées à notre étude et à notre protocole

Au cours des suivis, des réflexions ont émergé concernant les deux éléments clefs de notre projet : les verbes et les gestes. Ces questionnements sont imputables à notre étude mais pourraient également freiner le professionnel qui souhaiterait proposer ce protocole à sa patientèle.

136 2.2.4.1 Réflexions sur la mise en place d’un auto-indiçage en général

La situation d’échec que représente l’anomie pose le problème de la mise en place de stratégies pour aider le patient. Ces stratégies nécessitent des capacités d’auto-analyse de la part du patient afin qu’il soutienne son évocation si ce soutien ne relève pas de l’automatisme. En effet, ce protocole semble peu efficace si le patient n’a pas, à la fin de la prise en charge, le réflexe d’avoir recours aux gestes et ce recours est d’autant plus limité que les possibilités de métacognition sont faibles. Si l’étayage gestuel n’est pas spontané, le patient doit conscientiser qu’il est en échec d’évocation, qu’il doit alors penser à faire le geste et à dénommer ce geste. A contrario, le patient peut manifester des difficultés à conscientiser un geste référentiel et spontané et peut oublier d’évoquer ce geste. Pour ce faire, le patient doit abandonner sa recherche lexicale - plus ou moins efficiente - pour se concentrer sur la production du geste comme accès au mot. Métaphoriquement, il s’agit d’abandonner le chemin accidenté et désormais inaccessible au patient pour lui permettre d’emprunter un itinéraire bis (chemin du geste) afin qu’il réaccède au mot. Ainsi, ces trois étapes d’identification du manque du mot, de recours au geste et de dénomination de ce geste, requièrent un certain regard omniscient de la part du patient dont les facultés métacognitives peuvent limiter l’accomplissement de l’auto-indiçage gestuel. Par ailleurs, notre protocole visait à automatiser l’utilisation du geste en cas de difficulté d’évocation. Mais s’il semble que ce recours au geste ne soit pas encore totalement automatisé et comme expliqué plus haut, ce travail a certainement conduit à une prise de conscience des patients qui désirent désormais approfondir le travail sur l’anomie ; notre protocole serait donc à poursuivre.

2.2.4.2 Réflexions sur les spécificités de l’évocation lexicale de verbes

Nous nous sommes aperçus qu’en cherchant des verbes avec le patient, il nous était impossible de travailler la production du verbe isolément, certains verbes recouvrant un sens différent en fonction du complément qui leur est associé ou non. Cette subtilité est perceptible

de par la réalisation gestuelle d’une action. Par exemple, pour le verbe ramasser le geste

associé peut être celui d’un mouvement de pince qui va chercher un objet imaginaire alors que

le verbe travaillé avec un patient était ramasser les feuilles en lien avec l’activité qu’il

accomplissait régulièrement. Dès lors, le geste symbolisant cet entretien du jardin n’a rien à voir avec le geste précédemment décrit, celui que nous faisions renvoyant davantage à l’action

de ratisser. En conséquence, ces verbes possédant un complément verbal composé d’un mot

ou de groupes de mots devaient être dénommés en totalité par le patient pour qu’ils puissent être jugés correctement produits. En effet, dans notre étude il est difficilement concevable que l’on s’attache à un tel lien sémantique dans la production de gestes et qu’on le néglige lors de son évocation.

137 Cependant, cette rigidité du protocole a représenté une limite dans l’interprétation de nos résultats comme évoqué plus haut. Le patient ne produisait pas toujours le verbe et son complément - peut-être par manque du mot - alors que le verbe seul peut suffire à ce que le patient se fasse comprendre en situation ou si le contexte de l’action est explicité. Concernant l’objectif précis de notre travail, il convient de se demander si nous cherchons à ce que le patient puisse exprimer une idée en recourant au geste ou si l’on désire que le patient produise un lexique particulier avec un geste prédéfini. Souhaitant que ce protocole soit un outil pragmatique, nous pourrions nous contenter de l’évocation de l’idée générale du patient si elle suffit à ce qu’il se fasse comprendre. Toutefois, une étude visant à démontrer l’efficacité de notre protocole devra comporter une liste pré-établie des formes acceptables des verbes personnels du patient (à l’instar du D.V.L.38 qui autorise les formes non-dominantes et les périphrases). Par manque de temps, nous n’avons pu constituer cette liste et n’avons autorisé que les formes exactes de ces verbes personnels.

2.2.4.3 Réflexions sur l’utilisation des gestes

Au sujet du travail des gestes, nous souhaitons revenir sur les réflexions évoquées dans la partie dédiée aux résultats, réflexions qui ont émergé au cours de notre étude.

Réflexions sur à la complexité de la représentation gestuelle de certains verbes

Comme expliqué ci-dessus, si l’évocation de verbes peut être complexifiée par l’action à laquelle ils renvoient, le verbe référent lui-même peut complexifier sa symbolisation par un geste. En effet, nous l’avons détaillé plus haut, certains verbes étaient difficilement représentables en un unique geste. Cette difficulté liée au référent est imputable à notre souhait de partir du patient pour constituer le corpus de verbes (limite de la personnalisation). Les verbes choisis étaient parfois complexes et le geste associé n’était pas suffisamment éloquent pour susciter l’évocation orale du verbe, le patient étant davantage porté sur un travail sémantique de reconnaissance de l’action que sur une tâche d’évocation de la forme phonologique du verbe.

A contrario, si le geste unique ne suffit pas, l’association de plusieurs gestes peut perdre le patient dans son évocation. Parfois nous avons été confrontés à la difficulté de symbolisation du référent verbe par le geste qui était un mime d’action associé à un mime de

forme de l’objet utilisé. Par exemple, tirer un penalty au football ou tirer une

pénalité/transformation au rugby étaient peu dissimilaires d’un point de vue gestuel et l’on ne comprenait l’action qu’en symbolisant la forme du ballon dans lequel on tapait au pied.

138 En revanche, cette complexité nous a permis d’approfondir le travail de gestualité pouvant

poser difficulté au patient par exemple pour les verbes liés à l’athlétisme, sauter en longueur

et sauter en hauteur, les gestes différaient de par la représentation dans l’espace : le premier occupant un mouvement horizontal, le second un mouvement vertical ; ce travail dans l’espace serait utile à la première phase du protocole et non à la phase de verbalisation. Des gestes aussi complexes peuvent ainsi gêner l’évocation lexicale, le patient étant davantage dans le recherche du geste à évoquer que du mot lui-même or ce geste doit être aussi-automatique si l’on veut générer une évocation lexicale. Enfin, il semblerait que cette limite du geste soit imputable au verbe et à la sévérité du trouble anomique car un patient légèrement anomique souhaitera travailler des verbes plus « recherchés » dont les gestes peuvent être complexes et donc difficilement soutenir l’évocation.

Réflexion sur l’apport d’autres étayages aux gestes

Un tel travail n’autorise pas que soient fournies d’autres formes d’étayages afin de se concentrer sur le seul entraînement gestuel. Or, il est apparu que le geste n’était pas toujours produit soit parce que le verbe choisi par le patient était difficilement symbolisable par un unique geste comme nous venons de le voir, soit du fait de troubles praxiques. En effet, en présence de troubles praxiques associés, l’étayage gestuel est parfois insuffisant et d’autres facilitations peuvent être nécessaires pour aider le patient dans son évocation (amorçage par un pronom personnel, aide du langage écrit, ébauche orale ou contextuelle), facilitations que nous n’avons pu apporter lors de notre rééducation. Il serait d’autant plus intéressant d’associer notre protocole à un autre type de rééducation (phonétique par exemple) voire d’avoir le soutien d’autres professionnels (ergothérapeutes ou psychomotriciens, pour l’apraxie).

Réflexion sur l’importance d’un auto-indiçage gestuel

Concernant les troubles de la gestualité au sens large, certains patients ont éprouvé des difficultés pour reconnaître le geste s’il était hétéro-centré. Ce qui laisse à penser que l’indiçage auto-centré serait plus efficace chez un patient qui s’appuie sur son vécu corporel pour évoquer. D’où l’intérêt d’un outil personnalisé utilisé par le patient qui n’est pas tributaire de l’indiçage du thérapeute.

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Réflexions sur les limites de l’auto-indiçage gestuel

Il est arrivé au cours de suivis que le patient nous parle en ayant recours à l’étayage gestuel mais sans pouvoir évoquer correctement le verbe. En effet, l’auto-indiçage gestuel ne soutient pas systématiquement l’évocation lexicale des patients comme en témoignent les réponses à nos questionnaires de fin de prise en charge. De plus, les résultats de notre étude bien qu’encourageants, ne nous permettent pas de parler de généralisation de l’auto-étayage gestuel. D’abord, les patients de notre étude n’avaient pas toujours recours à cette aide pour évoquer bien que certains l’utilisent très fréquemment. Ensuite, si quelques patients se sont servis d’auto-indiçages gestuels en vue d’évoquer des verbes non-travaillés et que cette aide ait abouti à une évocation du verbe cible, nous ne pouvons affirmer qu’il y ait un réel effet de généralisation. Nos résultats concordent en effet avec les effets de généralisation relevés chez certains patients ayant bénéficié d’une thérapie sémantique sensori-motrice (ADRIAN et coll., 2011). Dès lors, lorsque le geste ne parvient pas à soutenir l’évocation, il reste un simple geste communicatif extra-linguistique n’accompagnant pas la parole.

Ainsi, quand le geste ne permettait pas de générer une évocation lexicale et que sa valeur communicative ne suffisait pas à ce que le patient se fasse comprendre. Il se dégage alors un aspect pragmatique lié à notre travail d’évocation : si le geste est imprécis, trop concis (un seul geste) ou trop complexe (plusieurs gestes) ou encore si le contexte de réalisation de l’action n’est pas explicité, bref s’il manque des informations, l’interlocuteur peut ne pas comprendre de quel verbe il s’agit. Rappelons cependant que l’utilisation des gestes à des fins communicationnelles n’est pas l’objectif voulu par notre protocole qui s’attache à soutenir l’expression orale.