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2 Modélisation du traitement gestuel et troubles de la gestualité

2.1 Modèle neuropsychologique du traitement gestuel

Pour décrire comment ce traitement du geste s’effectue, nous avons repris la

modélisation de ROTHI et coll. (1991 ; 199718) qui reste un modèle de référence dans la

description cognitive de l’apraxie décrite en infra. Mais cette modélisation est particulièrement intéressante car elle s’inspire du modèle du traitement lexical de Modèle de CARAMAZZA et coll. (Cf. Chapitre1 - Modèle de CARAMAZZA et coll) et fait ainsi le parallèle entre ces deux

18 Cités par LE GALL D., ETCHARRY-BOUYX F., OSIURAK F. Les apraxies : formes cliniques,

approches théoriques et méthode d’évaluation. Traité de neuropsychologie clinique de l’adulte. Tome 1 – Evaluation. Deuxième édition. Louvain-la-Neuve : De Boeck Solal, 2014 : 411-432.

31 modalités gestuelle et langagière qui partagent plusieurs similitudes et notamment un même système sémantique.

2.1.1 Organisation du système sémantique

Tout d’abord, le modèle de CARAMAZZA et coll. (1990) comme celui de ROTHI et coll.

(1991) considère le système sémantique comme amodal19 c’est-à-dire que les représentations

sémantiques d’un concept sont accessibles quel que soit le mode de présentation du stimulus (auditif et visuel, oral et écrit). Ces traits sémantiques doivent donc être suffisamment nombreux et de types différents pour que le concept puisse être évoqué.

Ainsi, le système sémantique est au cœur des deux modèles. Dans le modèle de traitement gestuel, il recueille des informations similaires à celles du modèle de CARAMAZZA

et coll. (1990) à la différence que pour ROTHI et coll. (1991) il existerait un système

sémantique d’action. Ce système d’action relèverait d’une mémoire sémantique centrale ou d’une mémoire sémantique dédiée à l’action. Ce système sémantique de l’action s’appuie sur le modèle de l’apraxie de ROY et SQUARE (1985), qui développent un système conceptuel basé sur trois types de connaissances abstraites sur lesquelles reposeraient les praxies :

- Les savoirs liés aux fonctions et à l’utilisation de l’objet qui se fonderaient à partir de référents linguistiques, perceptifs et contextuels. En clair, l’objet se définit par les attributs descriptifs qui lui sont associés (référents linguistiques), par les connaissances perceptives acquises à travers l’utilisation de l’objet (référents perceptifs) et grâce au contexte d’utilisation de l’objet (référents contextuels) ;

- Les connaissances conceptuelles sur les actions en dehors de tout contexte d’utilisation de l’objet : il s’agit ici de détourner l’utilisation première de l’objet pour remplir une fonction qui peut lui être associée. Par exemple, à défaut d’avoir un marteau à disposition, des aventuriers peuvent se servir de leurs lourdes chaussures de marche pour planter les piquets de leur campement ;

- Les connaissances relatives à la sériation des mouvements élémentaires aboutissant à une action. Si ces savoirs sont nécessaires à l’apprentissage de nouveaux gestes selon ROTHI et coll. (1991), LE GALL et coll. (2014) précisent que dans des versions plus récentes de ce modèle, la sériation d’actions est incluse aux savoirs conceptuels et à l’action elle-même et ne nécessite donc pas de traitements spécifiques.

19 Ce qui n’est pas le cas de tous les auteurs, certains le qualifiant de multimodal (Cf. Liens entre gestualité et langage)

32 2.1.2 Parallèles entre les traitements gestuel et lexical

ROTHI et coll. (1991) proposent un modèle qui rend compte de la relation entre les processus impliqués dans le traitement de l’information langagière et les processus cognitifs des praxies (LE GALL et coll., 2014). Ce modèle décrit aussi bien la production que la réception gestuelle des membres supérieurs selon différentes modalités de présentation des stimuli et selon plusieurs modalités de réponses (Cf. Tableau 2). Par ailleurs, au niveau de chaque modalité sensorielle (auditivo-verbale, visuelle des objets et visuelle des gestes) est effectué un encodage gnosique de l’information qui permet de guider le geste. A noter que la modalité de perception visuelle se caractérise par une étape préliminaire de traitement des représentations structurales des objets et des gestes.

STIMULI MODALITES DE

PRESENTATION DES STIMULI MODALITE DE REPONSE

Consigne ou ordre verbal Entrée auditivo-verbale

Verbale ou Gestuelle Objet ou représentation imagée /

photographie de l’objet Entrée visuelle-objets

Présentation d’un geste Entrée visuelle-gestes

Tableau 2 : Modalités de traitement de l’information en fonction du stimulus et type de réponse donnée selon ROTHI et coll. (1991)

L’organisation du geste est un système complexe passant par plusieurs étapes de traitement de l’information gestuelle. Ce système sollicite des connexions entre les modules spécifiques qui participent à la production d’un geste organisé, adapté et précis. Chaque sous-système de traitement gestuel (Cf. Figure 7) étant autonome, une lésion à un niveau impliquera un trouble bien précis. De plus, ce modèle rend compte des différentes voies de traitement de l’information qui sont déterminées en fonction du caractère signifiant ou non d’un geste (BLONDEL et EUSTACHE, 2008).

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Figure 7 : Le modèle de ROTHI et coll. (1991 ; 1997)20

De plus, la relation entre les systèmes de traitement lexical et gestuel s’appuie sur la supposée présence d’un lexique d’action d’entrée et de sortie correspondant à une représentation spatio-temporelle des mouvements stockés en mémoire. Ces représentations,

ou engrammes moteurs visuo-kinesthésiques (HEILMAN et coll., 1982)21, permettent à

l’individu d’exécuter rapidement une action dont il a déjà connaissance alors qu’il devra repasser par plusieurs étapes pour un geste inédit dont il n’a pas fait l’expérience. Ce lexique d’action se subdivise en deux lexiques aux traitements différents :

- le lexique d’action d’entrée apporte des informations sur les attributs physiques d’une action perçue ;

- le lexique d’action de sortie réunit les informations physiques nécessaires à l’exécution de cette action.

20 Cités par CAMBIER (2000), Op. cit.

21 Citée par LE GALL et coll., HEILMAN K.M., ROTHI L.J., VALENSTEIN E. Two forms of ideomotor

34 ROTHI et coll. décrivent trois sous-systèmes dont les fonctions sont communes à ceux du modèle de HILLIS et CARAMAZZA :

- les lexiques phonologique d'entrée et verbal de sortie sont impliqués respectivement dans l’identification de mots à partir de stimuli verbaux abstraits et dans la sélection de la forme phonologique du mot ;

- le système de reconnaissance des objets de ROTHI et coll. renvoie au système de descriptions structurales des objets de HILLIS et CARAMAZZA et permet de concevoir une représentation structurale visuelle de l’objet ;

- le buffer phonologique ou mémoire tampon phonologique stocke temporairement l’information phonologique le temps de la programmation motrice du geste.

En outre, les patterns innervatoires jouent un rôle dans le programme d’activation de groupes musculaires au sein du système moteur afin de réaliser le geste voulu. A noter que la description de la voie directe reliant l’étape de perception auditivo-verbale à l’étape de maintien provisoire dans le buffer phonologique n’est pas explicitée dans la littérature mais pourrait correspondre en l’exécution de gestes sans signification sur consigne verbale. De plus, ce modèle rend compte d’une voie directe de traitement non-lexical allant de l’étape d’analyse visuelle des gestes à l’étape de d’activation des patterns innervatoires, voie qui est activée lors de tâches d’imitation de gestes sans signification ou gestes simulacres selon NESPOULOUS (LE GALL et coll., 2014). Enfin, dans cette conception, tout traitement de l’information semble transiter par un système sémantique d’actions unique, que le stimulus soit présenté verbalement ou visuellement (objet ou geste). Ainsi, les traitement lexical et gestuel se partageraient un système sémantique d’actions faisant partie d’un système sémantique plus « global ».