• Aucun résultat trouvé

2 Les troubles de l’évocation lexicale

2.4 Analyse des erreurs du patient anomique

-FL UE NT ES Broca - + - - Transcorticale motrice - + + - Globale - - - - Transcorticale mixte - - + - FL UE NT ES Wernicke + - - - Transcorticale sensorielle + - + - Conduction + + - - Anomique + + + -

Tableau 1 : Classification des aphasies, DE PARTZ et PILLON13

Outre l’anomie, des troubles de la compréhension auditive et de la répétition sont également décrits. Ces troubles et notamment ceux de la compréhension peuvent gêner le travail de l’anomie tel qu’il en sera question dans le chapitre 3.

2.4 Analyse des erreurs du patient anomique

Parmi les différents signes cliniques associés à l’anomie, certaines erreurs de productions peuvent être analysées afin notamment d’en décrire le déterminisme sous-jacent en se basant sur les modèles théoriques précédemment décrits.

Comme énoncé plus haut, si le premier signe d’une anomie est le manque du mot, d’autres manifestations peuvent être relevées.

2.4.1 Les erreurs de production orale

Ces déformations orales ou déviations linguistiques renvoient aux différents types d’erreurs relevées en aphasiologie dans le cadre d’une anomie.

2.4.1.1 Les déviations phonétiques

Parmi ces distorsions phonétiques atteignant un ou plusieurs phonèmes d’un mot ou d’un syntagme, on note : des assourdissements, occlusions, élisions de groupes consonantiques complexes, nasalisations, pseudo-diphtongaisons. Les phonèmes émis sont

19 plus ou moins proches des phonèmes cibles ou n’appartiennent pas au répertoire phonologique de la langue. La troisième articulation langagière (Cf. Rappels linguistiques) étant touchée, on parle de troubles arthriques qui se traduisent par des difficultés voire une impossibilité d’articuler les sons du langage en l’absence de troubles sensoriels ou d’atteinte de l’appareil articulatoire. La littérature qualifie ce trouble d’anarthrie, de désintégration phonétique, d’apraxie de la parole, d’apraxie verbale ou encore de dysarthrie corticale (DE PARTZ et PILLON, 2014). L’apraxie de la parole fait référence aux troubles de la parole et non du langage comme c’est le cas pour l’anomie. Cependant, en pratique clinique, ces deux troubles sont souvent associés, peu différenciables et grèvent quantitativement et qualitativement les capacités de dénomination (CHOMEL-GUILLAUME et coll, 2010).

2.4.1.2 Paraphasies, néologisme et jargon

Le terme de paraphasies désigne les substitutions du mot cible par un autre élément, elles peuvent être verbales quand le mot produit appartient à la langue et elles sont non-verbales lorsque le sujet produit une séquence de phonèmes ne renvoyant à aucun mot de la langue. Et tout comme le manque du mot, les paraphasies peuvent apparaître en langage spontané ou conversationnel, en répétition, en lecture à haute voix ou en écriture sous dictée. Parmi les paraphasies verbales, on note :

- Les paraphasies sémantiques : le mot produit possède un lien sémantique avec le mot

substitué (boire produit pour manger) ;

- Les paraphasies morphémiques : un morphème (racine ou affixe) est remplacé par un

autre morphème (cuisinier pour jardinier ou chaussure pour chausson) (PARTZ et

PILLON, 2014) ;

- Les paraphasies formelles : le mot produit et le mot cible présentent une ressemblance

formelle (bateau pour bâton).

Concernant les paraphasies non-verbales, sont recensées :

- Les paraphasies phonémiques : un ou plusieurs phonèmes du mot cible sont omis

(/ʃãŋɔ̃/ pour champignon), ajoutés (/klør/ pour cœur), substitués (/banɛn/ pour baleine),

permutés (/fisinɛ/ pour finissait) ou déplacés (/ʃuʀfɛtə / pour fourchette) ;

- Les néologismes : la structure du mot cible est trop perturbée et sans valeur

informative (/pʀitɔ̃/ pour ardoise) ;

- Les néologismes morphologiques : lorsqu’un morphème du mot cible est remplacé

(/vjolonøʀ/ pour violoniste) ou si deux morphèmes s’associent pour former un mot

20 Si le sujet aphasique est inintelligible du fait des nombreuses paraphasies sémantiques, phonémiques ou de néologismes, on qualifiera son parler de jargonaphasie.

2.4.1.3 Les conduites d’approche

Elles correspondent aux essais successifs émis par le sujet en vue de produire le mot cible. Ces approximations ou autocorrections successives amènent ou non à la production du mot voulu. Les conduites d’approche peuvent générer des paraphasies et sont dites :

- sémantiques, lorsque le mot appartient au même champ sémantique : « fraise… framboise » ;

- verbales : « marcher… gratter… parler » ;

- phonémiques : « /pi/ … /paʀ/ … /paʀa/ … /paʀapli/… /paʀaplyi/ » ;

- périphrasiques lorsque le sujet produit des circonlocutions en tentant de retrouver le

mot en donnant d’autres mots ou un synonyme : la femme du cerf pour labiche.

- mixtes et combiner plusieurs techniques d’approche : « ça sert à taper … clef … /mato/… un marteau ! ».

2.4.2 Interprétation cognitive de ces erreurs de production orale

La base théorique communément admise dissocie la « connaissance de la forme

(phonologique, orthographique) d’un mot […] de la connaissance du sens du mot. »14

Autrement dit, on sait désormais que si un mot est reconnu comme appartenant à la langue, son sens ne l’est pas obligatoirement.

Cette distinction implique que les erreurs précédemment décrites peuvent être perçues comme les manifestations de surface de troubles de la lexicalisation sous-jacents, différenciés et détaillés ci-dessous.

2.4.2.1 Les troubles du traitement sémantique ou lexico-sémantique

L’accès au système sémantique peut être contrarié par un déficit d’accès aux représentations sémantiques (le patient n’accède pas à son stock de concepts) ou par une dégradation de ces concepts-mêmes. Cependant, du fait de la place centrale du système sémantique, un trouble lexico-sémantique touche aussi bien l’expression que la compréhension dans les modalités orale et écrite. D’après CARAMAZZA et HILLIS (1990), on ne retrouverait que des paraphasies sémantiques voire des non-réponses lors des tâches de

14 PILLON A. Traité de neuropsychologie clinique de l’adulte. Tome 1 – Evaluation. Louvain-la-Neuve : De Boeck Solal, 2014 : p. 279.

21 dénomination de patients présentant un trouble du traitement sémantique. Pour TRAN

(2007)15, il y aurait des paraphasies verbales non formelles et des périphrases imprécises

voire fausses.

Toujours selon TRAN (2007), une altération des représentations sémantiques (du stock conceptuel) générerait des difficultés constantes sur les mêmes items présentés à différents moments et dans différentes tâches. Alors qu’un trouble d’accès au système sémantique se traduirait par une absence de réponses et/ou une variabilité des performances d’une activité à l’autre ou d’un moment à un autre ; les erreurs ne seraient donc pas systématiquement sur les mêmes items.

Nonobstant, si l’atteinte concerne le système sémantique lui-même, on retrouvera des erreurs permanentes et ce, quelle que soit la modalité de présentation du stimulus. Enfin, il apparaît des cas de « dénomination sans sémantique » quand les représentations sémantiques sont déficitaires : le patient dénomme l’objet, accède au concept sans pouvoir faire état des connaissances propres à cet objet (BRENNEN, DAVID, FLUCHAIRE, PELLAT, 1996 ; HEILMAN, TRUCKER, VALENSTEIN, 1976 ; KREMIN, 1986, 1988 ; SHUREN,

GELDMACHER, HEILMAN, 1993)16.

2.4.2.2 Les troubles du traitement phonologique ou troubles lexico-phonologiques Les troubles lexico-phonologiques sont post-sémantiques, c’est-à-dire que le concept a pu être retrouvé le système sémantique étant intègre, mais la difficulté réside dans la récupération des informations phonologiques. Ces troubles du traitement phonologique

doivent en effet être évoqués devant « l’absence de troubles de la compréhension associés

aux troubles de la production lexicale, la présence de périphrases ou de stratégies compensatoires gestuelles informatives » (TRAN, 2007).

Selon CHOMEL-GUILAUME et coll. (2010), une atteinte du lexique phonologique de sortie peut se situer à différents niveaux :

- Un défaut d’accès au lexique phonologique de sortie :

L’information n’est pas transmise entre le système sémantique et le lexique phonologique de sortie. En pratique, le sujet pourra accéder au sens du mot et produire des circonlocutions mais sans parvenir à produire ce mot. La répétition sera cependant possible et on notera un effet de fréquence, les mots fréquents dans la langue étant plus accessibles. Cependant, si le

15TRAN T.M. Rééducation des troubles de la production lexicale. Aphasies et aphasiques. Issy –les

Moulineaux : Elsevier-Masson, 2007 : 205-215.

22 sujet accède à son stock sémantique, il se peut qu’au sein du système sémantique les concepts liés au concept cible soient activés. Le tri s’effectue donc au niveau du lexique phonologique de sortie et si ce dernier est inaccessible, un terme sémantiquement proche du mot cible pourra alors être activé (paraphasie sémantique). Enfin, Il peut exister aussi une dissociation entre classes grammaticales et certaines catégories lexicales seront plus touchées que d’autres (par exemple les verbes seront plus accessibles que certains noms) ;

- Un blocage de la réponse :

Cette atteinte peut être qualifiée de défaut d’accès au lexique phonologique de sortie étant donné que le mot est sélectionné sans qu’il puisse être produit.

- Une dégradation des représentations phonologiques :

Il faut distinguer un défaut d’accès au lexique phonologique de sortie de troubles phonologiques purs, ces derniers donnant lieu à des paraphasies et à des techniques d’approches phonémiques dans toutes les productions verbales (expression orale en spontanée, dénomination orale, répétition, lecture à voix haute) et ce à des degrés divers (répétition plus altérée phonologiquement que la lecture par exemple). On retrouvera aussi des circonlocutions, le sujet ayant accès au système sémantique. Enfin, si les déformations phonologiques sont telles que le sujet présente une jargonaphasie, il est possible d’observer une dissociation entre classes grammaticales (verbes moins accessibles que les noms) et un effet de fréquence et de longueur (plus le mot est long, moins il est facile de l’évoquer).

- Une atteinte du buffer phonologique :

Le buffer phonologique n’assurant plus ses rôles de mémoire à court terme de la

représentation phonologique, de planification et d’assemblage phonologique des mots, toute production verbale est affectée. L’activation du mot s’opérera correctement jusqu’au lexique phonologique de sortie où le sujet, gêné dans la planification phonologique, produira des paraphasies phonémiques.

2.4.2.3 Les troubles mixtes

D’après TRAN (2007), l’atteinte mixte affectant à la fois la récupération des représentations sémantiques et des représentations phonologiques est très courante en aphasiologie. Ces troubles lexicaux seraient liés à des atteintes fonctionnelles multiples touchant plusieurs niveaux du traitement de l’information si bien que les tableaux aphasiques en sont plus sévères voire associent troubles centraux et périphériques (troubles de la lexicalisation et troubles articulatoires c’est-à-dire manque du mot et anarthrie associés).