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Troubles cognitifs et survenue d’une démence chez les sujets âgés bipolaires 1 Etats des lieux des anomalies cognitives et des études de neuro-imagerie ‘

Type VI Episodes mixte labile-agité dans la survenue de démence.

IV. BIPOLARITE, PROCESSUS COGNITIFS ET EMOTIONNELS, INVOLUTION COGNITIVE

4.2. Troubles cognitifs et survenue d’une démence chez les sujets âgés bipolaires 1 Etats des lieux des anomalies cognitives et des études de neuro-imagerie ‘

a. Déclin cognitif

Certains auteurs postulent que les perturbations cognitives des sujets jeunes seraient retrouvées chez les patients diagnostiqués bipolaire plus âgés, dans les mêmes domaines cognitifs, avec d’importantes variabilités interindividuelles. (246) (247). Selon d’autres études, les troubles pourraient cependant être de nature différente et de sévérité plus importante par rapport aux sujets adultes. Quatre études nous semblent ici particulièrement pertinentes :

- Dhingra et al. ont réalisé une étude prospective de suivi pendant 5 ans. Le groupe était initialement constitué de 42 patients d’au moins 60 ans, diagnostiqués bipolaires de type 1 et ayant été hospitalisés au décours d’une phase maniaque (âge de début des troubles non connu). Tous avaient au moment de l’inclusion un score MMSE au moins égal à 24. 90% des sujets ont pu être réévalués, avec 72% d’entre eux sans symptômes thymiques et autant sous traitement thymorégulateur. 8 patients sur 25 (soit 32%) ont présenté une baisse du score au MMSE inférieure à 24, suggérant l’émergence d’un trouble cognitif significatif sur le plan clinique. Les taux de mortalité étaient plus élevés dans ce groupe par rapport aux normes de population

générale, mais plusieurs facteurs limitent la portée de ces résultats (absence de groupe témoin ou de patients dépressifs unipolaires, comorbidités somatiques peu tracées) (80).

- Gildengers et al, (2004) ont étudié lefonctionnement cognitif de patients euthymiques ayant des antécédents de trouble bipolaire 1 ou 2, âgés de 60 ans et plus à l’aide du MMSE et d’une échelle d’évaluation de la démence (MATTIS), ainsi qu’un test des fonctions exécutives. En comparaison avec des participants témoins, et dans la moitié des cas environ, les patients bipolaires ont présenté des performances diminuées au MMSE et à l'échelle d'évaluation de la démence. Ces résultats sont en faveur d’un déclin plus important chez les patients âgés bipolaires euthymiques, sans atteindre un stade de démence (248). Notons cependant différentes limites à l’étude : petite taille de l’échantillon, mesure uniquement globale du fonctionnement cognitif (et absence de caractérisation plus fine) ; multiples facteurs de confusion possibles (âge d'apparition des troubles, nombre de rechutes, comorbidités médicales, traitements…).

- Borg et al (2009) : la comparaison de groupes de patients bipolaires non déments, bipolaires avec codiagnostic de démence (type non spécifié) et témoins montre une altération chez le groupe bipolaire, associant troubles de la mémoire antérograde, troubles exécutifs et de la cognition sociale. Les sujets bipolaires déments présentaient des anomalies cognitives et de la cognition sociale plus importants encore (272).

- Cholet et al. (2014) : Les auteurs ont utilisé une échelle exécutive initialement dédiée aux patients souffrant de schizophrénie (Brief Assessment of Cognition in Schizophrenia ou BACS) et ont comparé patients âgés souffrant de schizophrénie ou de troubles bipolaires, hors phase aiguë (197). Les résultats de cette étude retrouvent des différences concernant les profils cognitifs des patients âgés souffrant de schizophrénie et de bipolarité sur un plan plus quantitatif que qualitatif. L’étude n’incluait pas de groupe contrôle sain, mais les auteurs ont pu conclure à un profil cognitif des patients âgés atteints de bipolarité intermédiaire entre les profils sains et les patients atteints de schizophrénie, y compris après ajustement selon l'âge, confirmant de plus la possibilité d’utiliser l’échelle BACS auprès de patients non schizophrènes. Les patients ont aussi retrouvé une association entre qualité de vie, retentissement fonctionnel et détérioration cognitive (197).

b. Comorbidité neurologique chez les patients âgés bipolaires

Nous avons vu qu’il existe des perturbations cognitives, qui ne sont pas nécessairement synonyme de démence. La question à se poser est alors la suivante : la maladie bipolaire est- elle associée à plus de comorbidités neurologiques ? De manière générale, le taux de patients bipolaires âgés de 60 ans et plus présentant une démence varie énormément selon les études, de 4,5 % (96) à 19 % (110).

Plusieurs études prospectives mettent en lumière un risque accru de démence chez les sujets souffrant de troubles de l’humeur par rapport à des sujets atteints d’un autre trouble psychiatrique ou d’une autre pathologie chronique (arthrose ou diabète) (107). Ces résultats confirment ainsi l’hypothèse d’une prévalence plus importante des maladies neurologiques, dont les démences neurodégénératives et liées à des lésions cérébro-vasculaires chez des patients diagnostiqués bipolaires (75) (108). Une méta-analyse récente reprend l’hypothèse d’un antécédent de trouble bipolaire comme facteur de risque de démence chez les sujets âgés. A partir de 6 études incluant 3026 personnes ayant des antécédents de trouble bipolaire (et 191029 contrôles), les auteurs confirment l’augmentation significative du risque de démence en cas d’antécédent de bipolarité (rapport de cotes combiné = 2,36 IC95% (1,36-4,09), z = 3,07, p <0,001). La maladie bipolaire constitue donc un facteur de risque clairement identifié de survenue d’une démence chez les personnes âgées (249). Les mécanismes suspectés à l’origine de ces altérations cognitives seront abordés par la suite.

c. Neuro-imagerie chez le sujet âgé

Il existe peu d’études d’imagerie cérébrale spécifiques au sujet âgé. Les données d’imagerie fonctionnelle, les anomalies mises en évidence des troubles de la connectivité, dans les interactions inter-hémisphériques et cortico-sous-corticales chez l’adulte, sont encore à préciser chez le sujet âgé. Les principales anomalies retrouvées en imagerie morphologique chez le sujet âgé sont les suivantes : élargissement aspécifique des ventricules latéraux, hypersignaux T2 de la substance blanche, notamment en région péri-ventriculaire (également aspécifiques), atrophies localisées au niveau du cortex préfrontal, atteintes du cortex cingulaire antérieur (notamment dans les formes familiales ou résistantes).

Pour l’amygdale, nous avons vu que les résultats de la littérature sont contradictoires. Cependant, il pourrait exister une corrélation entre l’augmentation de volume de l’amygdale et l’âge (228).

Nous avons aussi vu qu’une atrophie hippocampique était inconstamment retrouvée chez les patients diagnostiqués bipolaires, associée à l’âge. Chez des patients bipolaires non spécifiquement âgés, on observe un changement de densité de la matière grise en IRM structurale touchant l’hippocampe, le gyrus fusiforme et le cervelet de manière significativement plus marquée. Le degré d’atrophie apparaît corrélé au nombre d’épisodes thymiques et à l’intensité des perturbations du bilan neuropsychologique (nous reviendrons plus loin sur la possibilité d’une préservation chez les patients traités par lithium). Cette atrophie de l’hippocampe a pu être interprétée comme liée à l’effet neurotoxique d’une sécrétion excessive du cortisol dans les structures du système limbique à chaque épisode thymique (234).

Figure 18 : La séparation obtenue entre les sujets bipolaires et les sujets témoins est tracée sur un graphique de la perte de matière grise temporale par rapport à la perte de matière grise

cérébelleuse. (d’après Moorhead et al.)

Figure 19 : les régions de perte de matière grise sont plus importantes chez les sujets bipolaires par rapport aux sujets témoins. Le dégradé de couleur représente la valeur de la statistique T.

D’après Moorhead et al (2007)

4.2.2. Preuve d’un vieillissement biologique accéléré

Le vieillissement physiologique est caractérisé par divers marqueurs biologiques, qui correspondent à des fonctions particulièrement touchées avec l’avancée en âge : glycation des protéines et insulino-résistance, marqueurs d’inflammation, mécanismes hormonaux, lipides et acides gras, oxydation, modification des concentrations en vitamines et minéraux… Nous ne détaillerons pas tous ces marqueurs dans la maladie bipolaire, mais reviendrons sur quelques preuves d’un vieillissement biologique accéléré chez le sujet âgé avec trouble bipolaire. Deux études très récentes publiées en 2008 apportent d’autres preuves d’un vieillissement biologique chez les patients atteints de trouble bipolaire :

Dans une première étude, le dosage plasmatique de GDF-15 (facteur de différenciation de croissance, biomarqueur du risque cardiovasculaire et du vieillissement) auprès de patients bipolaires (euthymiques ou maniaques) et de témoins, montre des taux plasmatiques significativement plus élevés chez les patients bipolaires, corrélés à l’âge et à la durée d’évolution de la maladie, soutenant l’hypothèse d’une maladie bipolaire associée à un vieillissement accéléré (250).

Une autre série d’études récentes (251) (252) apporte un nouvel éclairage fondamental sur le vieillissement biologique accéléré chez les patients avec trouble bipolaire et leurs apparentés, basée sur l’évaluation de la longueur des télomères (extrémités des chromosomes constituant des marqueurs d’âge biologique, les télomères raccourcis représentant des cellules plus anciennes). En comparant patients atteints de trouble bipolaire, parents au premier degré et témoins, les auteurs retrouvent un raccourcissement des télomères chez les apparentés et chez les patients, confirmant ainsi un vieillissement accéléré chez les sujets malades et chez les apparentés. La longueur télomérique pourrait alors constituer un marqueur de risque familial de trouble bipolaire. Cette hypothèse est soutenue par l’exploration en imagerie structurale des structures cérébrales, en particulier de l'hippocampe. Les auteurs ont découvert que des télomères plus courts semblent associés à une plus grande atrophie hippocampique, ce qui pourrait augmenter le risque de bipolarité. Lors d’une tâche de reconnaissance des émotions faciales en IRMf, l’évaluation des mêmes patients permet de définir un risque polygénique associé à la longueur des télomères, en lien avec les performances de reconnaissance émotionnelle.