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Type VI Episodes mixte labile-agité dans la survenue de démence.

IV. BIPOLARITE, PROCESSUS COGNITIFS ET EMOTIONNELS, INVOLUTION COGNITIVE

4.3. Démence et bipolarité : quels liens ?

4.3.2. Déclin cognitif et bipolarité : questions à se poser et situations d’errance diagnostique

4.3.2.2. Principales situations à risque d’errance diagnostique

Pour les maladies neurodégénératives, les difficultés diagnostiques sont nombreuses, et liées à la présentation souvent atypique des manifestations psychiatriques, mais aussi neurologiques/cognitives. DFT et DCL semblent être les situations les plus à risque d’errance diagnostique car les SPCD sont plus fréquemment au premier plan, pouvant faire « oublier » les troubles cognitifs, mais l’hétérogénéité de la MA rend parfois son identification difficile.

a. Trouble bipolaire et démence fronto-temporale

Le lien entre bipolarité et DFT expose selon nous au risque d’errance diagnostique, notamment pour le variant comportemental. Ce risque découle de l’existence de symptômes proches entre les deux entités, surtout chez les sujets d’âge moyen ou s’approchant de l’âge gériatrique. Les situations cliniques les plus sources de confusion semblent être (65) :

- Une symptomatologie apathique et dépressive, avec au premier plan une négligence, un désintérêt, sans douleur morale marquée.

- Une symptomatologie d’allure maniaque ou mixte, avec perte des convenances sociales, désinhibition, hypersexualité ou compulsions alimentaires.

Chez les sujets diagnostiqués bipolaires à l’âge adulte, l’évolution clinique et cognitive peut faire évoquer des tableaux de DFT. On sait également qu’il existe des anomalies frontales en imagerie morphologique chez certains bipolaires vieillissants. Cependant, la « démence bipolaire » (que nous appellerons ainsi par souci de clarté, même s’il ne s’agit que d’une hypothèse), semble préférentiellement évoluer vers une forme un peu différente de la DFT, n’en remplissant pas les critères même après plusieurs années de suivi (272). Nous proposons de façon probablement réductrice un tableau distinguant les principales caractéristiques de la démence bipolaire par rapport à une forme DFT-vf, et en rappelant que des co-diagnostics entre maladie bipolaire et DFT sont possibles.

« DEMENCE BIPOLAIRE « DFT-vf

Déclin cognitif

Diagnostic de trouble bipolaire à l’âge adulte + Déclin cognitif lent, sur plusieurs années. Ne répond pas aux critères diagnostiques des autres démences au décours du suivi+++

Déclin cognitif et SPCD progressifs, avec atteintes cognitives préservées au début.

Caracté- ristique cliniques

-Phases aiguës pouvant venir interférer avec l’évaluation (formes dépressives pseudo- apathiques, formes mixtes ou maniaques avec agitation…) +/- périodes d’euthymie plus courtes, symptômes résiduels.

-Troubles mnésiques < autres démences, anomalies de l’adulte mais augmentées

-Troubles du comportement, TCA,

modifications profondes de la personnalité, déshinibition, comportements impulsifs, logorrhée ou inversement apathie… -Réduction du langage spontané

-Appétence soudaine pour le sucre ou pour l’alcool…

BNP Profil cognitif « sous-cortical et frontal aspécifique »

-Syndrome dyséxécutif avec des troubles du comportement moins sévères que ceux retrouvés dans la DFT-vf.

- Perturbations de la mémoire épisodique verbale (mais améliorés par indiçage) - Déficit visuospatial (souvent rapporté) - Hallucinations rares.

Profil « frontal » :

- Déficit des fonctions exécutives et des troubles attentionnels, une distractibilité, des troubles comportementaux, manque

d’empathie + anosognosie.

- Efficience cognitive globale, mémoire épisodique et des fonctions visuo-spatiales longtemps préservées.

- troubles de la mémoire épisodique au niveau de la récupération (rappels libres déficitaires) avec stockage préservé

- Possibles troubles du langage Neuro-

Imagerie

-Imagerie anatomique : pas d’atrophie focale, mais plutôt atrophie diffuse avec absence d’atrophie temporale interne

- Imagerie fonctionnelle : hypoperfusion fronto- temporale bilatérale sévère, souvent associé à un hypodébit pariétal plus modéré.

- Imagerie anatomique : atrophie localisée aux niveaux des lobes frontaux

+/- temporaux.

- Imagerie fonctionnelle : hypométabolisme ou hypo perfusion frontale ++ et +/- temporale.

Table 35 : Tableau des différences et points communs entre « démence bipolaire » et MA.

Nous avons fait ressortir en gras les symptômes cliniques les plus pourvoyeurs, selon nous, de situations d’errances diagnostiques entre les deux formes.

Les données actuelles d'imagerie clinique, neuropsychologique et cérébrale ne sont pas pleinement concluantes, mais des similitudes avec la DFT doivent néanmoins être soulignées. Des tests neuropsychologiques plus poussés, des études d'imagerie fonctionnelle ainsi que des

études prospectives à plus large cohorte pourraient permettre d’affiner certaines caractéristiques, communes ou spécifiques pour chacun des deux troubles (276).

Plusieurs études de cas permettent aussi de mieux explorer les liens entre bipolarité et DFT. - Dols et al., dans une série de cas publiée en 2016, décrivent 4 patients âgés souffrant de

trouble bipolaire à un stade avancé avec des profils cliniques hétérogènes, et des troubles cognitivo-comportementaux, présentant de manière progressive un syndrome clinique associant une apathie, une désinhibition, une perte d'empathie, des comportements stéréotypés et compulsifs, pouvant répondre aux critères d'une éventuelle DFT-vf. Dans tous les cas, le trouble bipolaire (de type 1) avait été diagnostiqué au moins 10 ans avant le début des signes évocateurs d’un déclin cognitif, qui n'étaient pas dus (selon les auteurs) à de récents épisodes d'humeur ni à un changement de traitement. Dans tous les cas, un suivi de 3 à 7 ans ne révélait aucune progression. La neuroimagerie répétée était « dans les limites de la normale ». Les études de biomarqueurs dans le LCR n’apportaient pas d’argument en faveur d’une maladie neurodégénérative sous-jacente. La présente d’une mutation C9ORF72 était négative dans tous les cas. Des symptômes pouvant répondre aux critères d'une éventuelle DFT-vf pourraient ainsi être présents au stade terminal du trouble bipolaire, sans qu’une atteinte neurodégénérative puisse être confirmée par la neuroimagerie normale répétée. L'absence de progression clinique n’était également pas en faveur de ce diagnostic. Les auteurs concluent que l'impact fonctionnel des réseaux frontal et sous-corticaux pourrait jouer un rôle (277).

- Masouy et al. décrivent le cas d’un sujet diagnostiqué bipolaire présentant des troubles neuro- cognitifs majeurs d’évolution rapide, qui répondait aux critères diagnostiques de le DFT, ce qui nous amène à nous interroger sur les liens possibles entre ces deux pathologies (276).

- Dans une série de cas, Velakoulis et al. décrivent 5 patients sur 17 atteints de DFT ayant présenté une maladie psychiatrique avec composante psychotique (4 patients atteints de schizophrénie ou trouble schizo-affectif, et un patient atteint de trouble bipolaire) en moyenne 5 ans avant le diagnostic de démence. Les sujets présentaient tous une réponse partielle aux traitements psychotropes. Le diagnostic de DFT avait été posé sur les critères diagnostiques consensuels, sans possibilité de conclure s’il s’agissait d’un lien entre entité psychiatrique et neurologique ou d’une erreur diagnostique (278).

- Davies et al. décrivent des cas de patients avec manifestations évocatrices de DFT classique, mais sans anomalie en imagerie morphologique ou métabolique, empêchant de conclure à ce diagnostic. Deux hypothèses sont alors possibles : une forme peu évolutive de DFT, ou une pathologie psychiatrique à présentation atypique neurologique. Le diagnostic de phénocopie est ainsi posé pour des patients dont les caractéristiques cliniques sont proches de celles de la DFT mais avec une atrophie cérébrale faible, et non évolutive (279).

- Nous avions vu que les patients porteurs de la mutation C9ORF72 présentent un risque de développer une DFT ou une SLA associées à des troubles cognitifs et des anomalies anatomiques et structurelles parfois très précoces (160). Une étude récente a cherché à déterminer si le phénotype C9ORF72 pouvait s’étendre pour inclure des maladies psychiatriques, auprès d’une grande cohorte de patients atteints de DFT et de SLA (N = 89), avec (N = 29) et sans (N = 60 l’expression de C9ORF72), et après documentation précise d’antécédents familiaux (parents au premier et second degré). L’étude confirme une probabilité plus élevée de développer une schizophrénie chez les parents des porteurs de C9ORF72 par rapport aux non-porteurs. En outre, 8 parents de porteurs de la mutation ont présenté un épisode psychotique d'apparition tardive sans rapport avec la schizophrénie. La probabilité de suicide apparaît également significativement plus élevée pour les porteurs C9ORF72. Si l’on sait que le risque suicidaire est plus élevé dans les familles avec hérédité bipolaire, ces résultats ne permettent que d’envisager un lien possible entre phénotype bipolaire et gène C9ORF72 (280).

Rappelons enfin que le déclenchement de la DFT peut être précoce, vers la cinquantaine ou parfois même avant, avec des antécédents familiaux de « troubles comportementaux » mal définis, pouvant faire suspecter une maladie bipolaire. Il est ainsi difficile, voire impossible, d’estimer la part des situations d’errance diagnostique entre ces deux entités, mais il est probable qu’un certain nombre de patients atteints de DFT reçoivent un diagnostic initial de trouble psychiatrique, notamment dans le cas de formes à début précoce et les formes familiales. La DFT-vf illustre ici la complexité du lien entre neurologie et psychiatrie.

b. Trouble bipolaire et syndrome parkinsoniens, avec au premier plan la DCL

Maladie bipolaire et DCL

La DCL nous paraît être (avec la DFT) l’autre cas de figure emblématique des difficultés diagnostiques entre entités psychiatrique et neurologique. Cette maladie peut faire évoquer en premier lieu un tableau psychiatrique, et notamment une LOBD, dans les cas de figure suivants :

- Symptômes thymiques : symptômes dépressifs (ou apathie), plus ou moins associés à des manifestations anxieuses et à des troubles du sommeil, tableaux symptomatologiques d’allure mixte avec agitation anxieuse.

- Symptômes psychotiques : la présence d’idées délirantes (notamment de persécution) expose aussi au risque d’errance diagnostique. Les hallucinations visuelles sont parfois mal évaluées, et attribuées par erreur à une étiologie psychiatrique. Parfois, l’involution cognitive rapide passe au second plan, derrière des manifestations comportementales et neuropsychiatriques plus bruyantes.

Le déclin cognitif rapide, la présence d’une dysautonomie, d’un syndrome parkinsonien et/ou d’un mauvais profil de tolérance aux neuroleptiques, de chutes, devront constituer des indicateurs amenant à la réalisation d’un DAT-SCAN (et éventuellement d’une scintigraphie cardiaque à la MIBG en cas de doute entre une DCL, une MA atypique ou d’autres syndromes parkinsoniens atypiques).

L’autre risque majeur de situation d’errance réside dans l’émergence d’une comorbidité type DCL chez un patient diagnostiqué bipolaire à l’âge adulte. En effet, les symptômes cognitifs peuvent être peu spécifiques en début d’évolution, et attribués à tort à l’évolution de la maladie bipolaire. Si le patient est traité par neuroleptique, ils peuvent être considérés comme la seule cause de l’émergence d’un syndrome extrapyramidal.

Nous proposons un tableau comparant les caractéristiques de la « démence bipolaire » à celles de la DCL.

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