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Modification inhérentes à la maladie bipolaire et à son évolution a Anomalies neurobiologiques inhérentes à la maladie bipolaire

Type VI Episodes mixte labile-agité dans la survenue de démence.

IV. BIPOLARITE, PROCESSUS COGNITIFS ET EMOTIONNELS, INVOLUTION COGNITIVE

4.3. Démence et bipolarité : quels liens ?

4.3.1. Modèle multifactoriel de majoration des troubles cognitifs

4.3.1.1. Modification inhérentes à la maladie bipolaire et à son évolution a Anomalies neurobiologiques inhérentes à la maladie bipolaire

Les aspects neurobiologiques de la bipolarité sont divers, et nous ne retiendrons que les résultats les plus établis, parmi lesquels les ions calciques, de nombreux neurotransmetteurs, les protéines impliquées dans la transduction cellulaire, les mécanismes immuno-inflammatoires et neuro-hormonaux.

Les ions calciques ont un rôle important dans la régulation et la synthèse de neurotransmetteurs et la neuroplasticité à long terme. Des études montent une élévation du calcium intracellulaire dans les plaquettes ou des lymphocytes dans la maladie bipolaire (253).

Des modifications de synthèse de neurotransmetteurs peuvent avoir un retentissement cognitif, et sont résumées dans le tableau suivant :

Neurotrans- metteur (NT)

Rôle du NT sur le système émotionnel et cognitif (au sein des différents circuits cortico-sous-corticaux)

Dans le TB Sérotonine Système sérotoninergique : impliqué dans les

comportements alimentaires et sexuels, le cycle veille- sommeil, la douleur, l'anxiété, joue également un rôle dans le contrôle moteur.

Diminution dans la dépression

Dopamine Système dopaminergique : intervient pour renforcer les actions habituellement bénéfiques, la sensation de plaisir, active le système de récompense/renforcement. A aussi un rôle au niveau de la mémoire de travail, de la planification et de la mémoire procédurale.

Diminution dans la dépression Augmentation dans la

manie. Noradrénaline Système noradrénergique : rôle dans l'excitation, les

émotions, le sommeil ; dans l'attention sélective, la vigilance, la mémoire de travail et l’apprentissage.

Diminution dans la dépression Augmentation dans la

manie Acétylcholine Système cholinergique : éveil, mémoire, apprentissage … Augmentation dans

dépression et la manie

Table 34: neurotransmetteurs et implication au niveau cognitifs dans le TB (trouble bipolaire)

Il y aurait au niveau plasmatique une diminution du neuromédiateur inhibiteur de l’acide gamma-aminobutyrique (GABA) dans la maladie bipolaire. Or, le GABA participe au contrôle de la propagation du signal nerveux en jouant un rôle d’inhibiteur (en réduisant le risque d’ « excitation » cellulaire et de transmission de l’information sous forme de potentiels d'action). Il semble également exister des modifications dans le système de transduction cellulaire. On suspecte notamment une augmentation des protéines G, activatrices d’un récepteur de surface cellulaire, et ayant un effet intra-cellulaire modulé (inhibiteur ou excitateur). De même, il y

aurait une augmentation de la protéine intracellulaire kinase C, impliquée dans la régulation de la plasticité synaptique.

Les mécanismes immuno-inflammatoires sont de plus en plus mis en avant dans la maladie bipolaire, au même titre que dans la schizophrénie ou dans la MA, comme facteurs causaux d’un vieillissement accéléré. La physiopathologie implique certainement des perturbations des rythmes circadiens, des mécanismes immuno-inflammatoires dans les phases aiguës et une neurotoxicité progressive d’origine multifactorielle. De nombreuses études mettent en évidence des taux élevés de cytokines circulantes (en particulier l’interleukine 6 et la protéine C réactive) au cours des épisodes aigus, dépressifs comme maniaques. Il existe également des arguments en faveur de la persistance de ces anomalies en intercritique (254).

Une augmentation de l’activité de l’axe hypotalamo-hypophyso-surrénalien a été observée dans les phases thymiques de la maladie bipolaire, comme dans d’autres stiuations cliniques (par exemple dans l’anxiété). Le cerveau stimule alors la sécrétion de CRH (corticotropin-releasing hormone) par l’hypothalamus, puis la libération de l’ACTH (adeno-cortico-trophic hormone) par l’hypophyse, stimulant en cascade la sécrétion surrénalienne de glucocorticoïdes (253).Le cortisol, principal glucocorticoïde, est très liposoluble et traverse facilement la barrière hémato- encéphalique pour rejoindre ses récepteurs au niveau de diverses régions du cerveau, dont le cortex préfrontal et l’hippocampe. Cette neurotoxicité jouerait notamment un rôle sur la mémoire à long terme.

Chaque épisode thymique de la maladie bipolaire participerait ainsi à augmenter le « stress oxydatif » à l’origine d’une dégradation sur l’ADN et d’une diminution de transcription de facteurs neurotrophiques tel que le Brain-Derived Neurotrophic Factor (BDNF), qui participe à la maturation et à la survie des cellules nerveuses. Des épisodes répétés aboutiraient à une altération neuronale, en association avec des anomalies cognitives, et l’évolution intercritique pourrait également participer au stress oxydatif. Ainsi, le déficit cognitif que l’on pourrait qualifier de « global » semble se majorer lors de l’évolution de la maladie.

b. Impact cognitif selon les caractéristiques du trouble de l’humeur

Nous avons vu que les études sur le fonctionnement cognitif dans la bipolarité de l’adulte et du sujet âgé confirment l’existence d’un déclin cognitif. Cependant, dans cette maladie, il semble exister une multitude de facteurs de confusion à prendre en compte dans les caractéristiques et

l’histoire longitudinale du trouble (âge de début, polarité du trouble, nombre d’épisodes et d’hospitalisations, existence ou non de symptômes psychotiques ou de cycles rapides, qualité de la rémission en intercritique, niveau de sévérité du handicap, comorbidités somatiques ou psychiatriques ; traitements et leur observance, qualité du fonctionnement social…).

- Rôle joué par la récurrence des épisodes thymiques

L’existence d’un lien entre épisodes dépressifs et démence a été prouvée par diverses études et les épisodes dépressifs pour la population générale sont associés au risque de développer une MA, surtout en cas de résistance au traitement antidépresseur (255). Cependant, la nature exacte de ce lien est parfois discutée, entre dépression comme facteur de risque de démence, dépression prodromale, ou simple comorbidité.

Dans une large étude de cas comprenant toutes les hospitalisations pour trouble affectif unipolaire ou bipolaire au Danemark entre 1970 et 1999, le risque d’évolution démentielle du trouble bipolaire est corrélé au nombre de décompensations thymiques justifiant une hospitalisation. Au total, 18 726 patients présentant un trouble dépressif et 4248 patients souffrant d’un trouble bipolaire ont été inclus dans l'étude. L’étude semble montrer un risque significativement plus important chez les patients présentant un trouble unipolaire dépressif que dans la population bipolaire : le taux de démence a augmenté en moyenne de 13% avec chaque épisode menant à l'admission pour les patients souffrant de trouble dépressif contre 6% avec chaque épisode menant à l'admission pour les patients bipolaires, après contrôle de l’influence de l'âge et du sexe (256).

Les autres études que nous avons retrouvées sont plutôt en faveur de l’hypothèse inverse. Une étude menée en 2012 auprès de participants de sujets de plus de 65 ans et présentant un trouble bipolaire, un trouble dépressif récurrent (hors phase aiguë) ou témoins, propose une évaluation cognitive plus poussée. Les sujets avec trouble bipolaire et trouble dépressif récurrent présentaient des altérations dans divers domaines cognitifs par rapport aux témoins, principalement dans la vitesse de traitement de l'information et les fonctions exécutives, mais avec une atteinte plus sévère chez les sujets âgés bipolaires (257). Ces résultats vont dans le sens d’un risque de comorbidité neurologique plus important chez les sujets âgés bipolaires par rapport aux sujets âgés avec un trouble de l’humeur unipolaire (36% contre 8%) (75). Une revue récente de la littérature s’est intéressée à la prévalence des troubles cognitifs auprès de patients souffrant de maladie bipolaires, quel que soit leur âge. L’hypothèse d’une détérioration

cognitive apparait liée au nombre d’épisodes maniaques plus qu’au nombre d’épisodes dépressifs. Les troubles de type 1 semblent ainsi associés à un pronostic plus péjoratif sur le plan cognitif que les troubles bipolaires de type 2, surtout en cas de nombreuses récurrences maniaques (258). Mais la portée de cette revue reste limitée devant de faibles échantillons de participants, et une importante hétérogénéité des évaluations cognitives. Toujours en faveur d’une neurotoxicité cumulée des crises, surtout en phase d’excitation de l’humeur, une corrélation a pu être mise en évidence entre maladies bipolaire ou unipolaire et une atrophie hippocampique (surtout pour les patients présentant des phases maniaques plus fréquentes) (259).

Pour résumer, la plupart des données de la littérature sont en faveur d’un déclin cognitif majoré chez les patients diagnostiqués bipolaires par rapport aux patients avec trouble unipolaire (même si les données sont parfois hétérogènes). Les phases maniaques semblent avoir un rôle plus délétère sur la cognition par rapport aux phases dépressives, avec un risque de trouble cognitif plus important en cas de trouble bipolaire de type 1 par rapport au type 2.

- Durée d’évolution du trouble :

Les données de la littérature vont dans le sens d’un pronostic cognitif plus défavorable en cas de longue durée d’évolution des troubles. L’étude précédemment citée de Cullen et al. (258) montre une prévalence des troubles cognitifs plus importante dans les populations bipolaires euthymiques dont la durée d’évolution était plus longue. Une autre étude s’est intéressée aux patients souffrant de trouble bipolaire de type 1, âgés de plus de 60 ans, pour un âge de diagnostic avant 40 ans ; en phase intercritique, les patients présentaient des altérations cognitives ; dans un modèle de régression multiple, les auteurs retrouvent des anomalies cognitives chez les patients diagnostiqués bipolaire de manière plus précoce, à l’âge adulte, avec un rôle de l’âge du premier épisode affectif, épisodes affectifs en eux-mêmes, et des comorbidités médicales (255).

- Caractéristiques psychotiques des épisodes :

Les données de la littérature vont globalement dans le sens d’une aggravation des fonctions cognitives en lien avec les symptômes psychotiques, même si les résultats sont parfois hétérogènes (258). L’étude de Simonen publiée en 2009 a comparé les performances de patients stabilisés souffrant de trouble bipolaire (N=136, avec ou sans symptômes psychotiques), de

trouble schizoaffectif (N=27) et de trouble schizophrénique (N=102), ainsi que des participants témoins (N=280). Les patients sans signe psychotique ne montraient qu’un ralentissement psychomoteur, les patients avec manifestations psychotiques présentaient des troubles cognitifs dans plusieurs domaines, les moins bonnes performances étaient retrouvées pour la schizophrénie, puis pour le trouble schizo-affectif. Mais cette étude reposait sur une population non spécifiquement âgée, avec une prise en compte insuffisante des biais médicamenteux (260). Rappelons enfin une étude neuro-anatomique précédemment citée, qui retrouvait une altération de la microstructure du corps calleux chez les patients bipolaires avec manifestations psychotiques, mais pas chez les patients non délirants (253).

- Distinction entre troubles cognitifs dans les formes débutant à l’âge adulte et LOBD ?

Sur ce sujet, les données de la littérature apparaissent encore contradictoires, du moins à première vue. Mais le faible nombre d’études portant spécifiquement sur ce point, et l’hétérogénéité des approches méthodologiques nous imposent une grande prudence dans l’interprétation des résultats.

La plupart des auteurs avancent que les formes à début précoce seraient associées à plus de troubles cognitifs. Cependant, d’autres rapportent que les troubles bipolaires d’âge de début « très tardif », après 60 ans, seraient liés à plus de pathologies neurologiques (notamment cérébro-vasculaires), à des facteurs iatrogènes, des anomalies structurelles identifiées en imagerie cérébrales et des perturbations des fonctions cognitives (21) (261) (89) (262). Ces deux hypothèses ne sont pas nécessairement contradictoires, et pourraient reposer sur une neurotoxicité de l’évolution de la maladie et sur le risque de comorbidités plus tardives, avec risques d’épisodes thymiques secondaires à une étiologie (au moins partiellement) organique.