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un instrument du développement durable

C. Troisième approche : changement de perspective

Cette conclusion nous conduit à la troisième approche qui renverse la perspec-tive environnementale de la science économique. Au lieu de traiter l’environne-ment comme un phénomène externe au marché, elle considère le marché comme externe à l’environnement. Cette approche étudie donc d’abord des écosystèmes et ensuite le fonctionnement du marché. Or, cette optique bio-éco-nomique n’est conforme au concept du développement durable que si elle est complétée par une analyse socio-économique qui insiste sur les grandes dispa-rités de revenus et de fortunes. Une réduction significative de la pauvreté à l’é-chelle mondiale devient alors une condition indispensable pour pouvoir proté-ger effectivement l’environnement6.

La politique environnementale étant fondamentalement normative, la complémentarité des approches juridiques, sociales et économiques de l’envi-ronnement ne peut donc que se renforcer à l’avenir. C’est seulement dans cette troisième optique que la réforme des marchés financiers en fonction du déve-loppement durable est entièrement justifiée, car elle exige une évaluation finan-cière des actifs non seulement en fonction de critères d’efficacité économique, mais également d’efficacités environnementales et sociales.

III. Options politiques de protection de l ’ environnement

Le débat sur la place de l’Etat dans l’économie soulève la controverse depuis la naissance des sciences économiques. Cette controverse a conduit à tenir expli-citement compte du contexte social du marché. L’aménagement institutionnel de la politique environnementale s’inscrit donc en droite ligne dans ce débat, qui est forcément plus normatif que scientifique. Il nous oblige à formuler des objectifs sur le plan normatif et à définir ensuite des actions sur un plan plus formel7.

À la politique de définir les objectifs, à l’économie de montrer par quels moyens ces objectifs peuvent être réalisés, semble être une règle qui cherche soigneusement à séparer le normatif du scientifique, étant admis que les objec-tifs relèveraient du subjectif, tandis que les moyens pourraient être déterminés scientifiquement.

6 Sö der baumP.,Ecological Economics, Londres 2000.

7 WestonS.C.,Towards a Better Understanding of the Positive/Normative Distinction in Economics, Eco-nomics and Philosophy 1994 vol. 10, p. 1 ss.

La science économique est censée montrer par quels moyens et par quels instruments des objectifs politiques de la protection de l’environnement peu-vent être atteints, sans fixer ces objectifs elle-même, mais prisonnière de sa lo-gique, elle définit les moyens au moindre coût, conformément à son critère de prédilection qui est l’efficacité économique. Cette efficacité se définit par un calcul optimal qui compare soigneusement les coûts et les bénéfices de toute mesure de protection. Cependant, cette analyse « coût-bénéfice » si courante dans les calculs économiques habituels rencontre des difficultés conceptuelles redoutables si elle est appliquée au problème environnemental8. Non seule-ment il n’est pas aisé de claireseule-ment définir le « coût » et l’« avantage » dans le domaine de la protection de l’environnement, mais il n’est également pas évident d’identifier les groupes sociaux y relatifs. Dans cette optique, des sources de pollution locales sont peut-être plus faciles à analyser, mais comme elles interagissent entre elles, elles finissent par affecter tout le monde. Une analyse apparemment scientifique finit par interconnecter les objectifs avec les moyens.

Les objectifs sont du ressort de la politique et sont formulés par des procé-dures démocratiques. S’il est parfaitement concevable que chaque citoyenne et chaque citoyen puisse avoir des avis divergents sur les objectifs à poursuivre, il appartient à la collectivité de ne choisir que les objectifs qui ont été approuvés par une majorité. Or, cette procédure est soumise à des échecs de la politique, si bien qu’il est également difficile de clairement identifier les objectifs et de les distinguer clairement des moyens de protection de l’environnement définis sur le plan politique, ce qui explique le fait que la mise enœuvre des instru-ments de politique environnementale est si lente. Si l’Etat ne définit que le ca-dre institutionnel de l’économie, il n’y a pas de place pour une politique envi-ronnementale active9. Il faut donc accepter que les instruments de politique environnementale ne se limitent pas seulement à modifier ce cadre, mais égale-ment le comporteégale-ment des acteurs.

En effet, les institutions et les comportements évoluent lentement. Ils ne sont pas seulement définis en termes juridiques, mais également dicté par des mœurs et des coutumes qui prévalent dans les pratiques des affaires. Ces prati-ques sont soumises à une éthique. Il s’agit non seulement de respecter des contrats, mais également de s’orienter vers le critère d’efficacité en se soumet-tant à la concurrence et de ne pas s’adonner à des pratiques économiques dé-loyales. De ce fait aucun marché n’est en réalité autorégulé. Tout marché est soumis à des règles tenant compte de sa spécificité. Même le marché le plus symbolique, représentatif du fonctionnement de tous les autres, qui est le

mar-8 Ti ete nbe rgT.H.,Innovation in Environmental Policy, Economic and Legal Aspects of Recent Develop-ments in Environmental Enforcement and Liability, Aldershot, Brookfield 1992.

9 Gr anove tte rM.,The Social Construction of Economic Institutions, in :»Socio-economics, Toward a New Synthesis», A.Et zio ni, R. P.Lawrence(éd.), Armonk, New York 1991.

ché boursier, se trouve fortement régulé. La promotion d’une finance intégrant les objectifs environnementaux a donc sans doute besoin de nouvelles règles comme tout autre marché confronté à la dégradation de l’environnement.

IV. Marché financier et environnement

Les marchés financiers allouent les capitaux en tenant compte des risques et des incertitudes. La gestion de fortune cherche à diversifier les risques de pla-cement d’une manière optimale. Face à des risques nouveaux liés aux problè-mes environnementaux, l’analyse financière traditionnelle ne tenant compte que des critères de rendement au sens strict s’ouvre graduellement à d’autres critères inspirés du développement durable. Petit à petit, les critères d’efficacité sociale et environnementale deviennent également des aides à la décision pour des placements diversifiés. Une entreprise qui oriente ses activités dans l’op-tique du développement durable se trouve donc mieux évaluée et son effort se reflète dans sa valeur boursière10.

De nombreux institutionnels, comme les caisses de pension et d’autres for-mes d’assurance de sécurité sociale, s’orientent de plus en plus vers des place-ments « verts » et de nombreux fonds sont aujourd’hui offerts couvrant une vaste palette qui va des investissements éthiques traditionnels, excluant no-tamment l’armement, vers des investissements sociaux et environnementaux.

Cette évolution des marchés financiers peut constituer un puissant aiguillon pour réorienter les entreprises ne visant que la maximisation de profit à court terme vers des stratégies à long terme.

Les marchés financiers offrent un grand potentiel pour rendre le concept du développement durable opérationnel. Plus la demande de titres évolue dans ce sens, plus une entreprise qui néglige ce concept subira une pénalité boursière élevée. En même temps, la banque peut orienter la formation de ses analystes financiers vers des compétences nouvelles. Au lieu de se contenter de n’évaluer que l’efficacité économique, elle mène des analyses multicritères te-nant également compte des efficacités écologique et sociale.

Enfin, l’épargnant, surtout lorsqu’il s’agit d’assurer sa retraite ou un capital transmis à la génération suivante, dispose avec des placements durables d’une possibilité de portefeuille qui est en accord avec ses propres convictions éthi-ques et morales. Les placements durables exercent donc un effet bénéfique sur la société tout entière.

10 OFEFP (2005).

V. Conclusion

L’analyse financière intégrant des critères de développement durable renoue avec la veille tradition de la gestion des risques et de l’incertitude confiée à la fois aux assurances et à la bourse. Elle propose une régulation qui complète l’action de l’Etat, évite une densité de plus en plus opaque illustrée par un nombre croissant de lois, de règlement et de nouvelles normes et met la respon-sabilité environnementale et sociale de l’entreprise à contribution. Pour que cette approche puisse déployer toute son efficacité, il faut le concours de nom-breux acteurs sociaux :

– L’entreprise, en alignant de plus en plus ses méthodes de gestion et de fi-nancement sur les principes du développement durable, notamment face à des générations futures11.

– L’investisseur/épargnant, en orientant ses choix stratégiques à long terme en tenant explicitement compte de la dégradation de l’environnement. Au lieu de comprendre ce dernier en termes de coûts, il peut y voir de nouvel-les opportunités.

– Les intermédiaires, en réformant l’analyse financière pour y inclure des in-dicateurs de performance non seulement économiques, mais également so-ciaux et environnementaux.

– Les consommateurs, en privilégiant les entreprises ayant adopté une gou-vernance conforme à la gestion environnementale.

– L’Etat, en créant des règles institutionnelles nouvelles, fait fonctionner le marché financier dans l’optique des ISR.

11 HausmanD. M.,McPer sonM. S.,Taking Ethics seriously : Economics and Contemporary Moral Philo-sophy, Journal of Political Economy 1993 vol. 63, p. 671 ss.

ou

Les prétendues lacunes du droit uniforme de la vente