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Un principe juridique à valoriser

C. Les limites au principe

III. La concrétisation du principe

1. En droit suisse

a. Les mesures de soft law

En droit suisse, les cantons sont tenus de définir dans leurs plans de gestion des déchets les mesures prises en vue de réduire le poids ou le volume des diffé-rents types de déchets (art. 16 al. 2 let. b de l’ordonnance sur le traitement des déchets [OTD; RS 814.600]). Des moyens visant tant à changer les habitudes de consommation13que les modes de production sont concevables14. Comme ils sont susceptibles de remettre profondément en question notre façon de consommer et de produire, ils sont impopulaires, et seules des mesures desoft laws’imposent de manière réaliste dans un premier temps.

On songe aux instruments non obligatoires (information, éducation, conseil, incitation) visant à promouvoir la conception et la commercialisation de produits réparables et réutilisables, l’économie de matériaux lors de la conception et de la fabrication des produits, la dématérialisation (musique et bibliothèque numériques), la prévention du suremballage, l’augmentation de la durée de vie des produits, la conception et l’utilisation d’appareils réparables et réutilisables, la promotion du marché d’occasion, de la location par rapport à la vente (économie de fonctionnalité)15et de l’augmentation des durées de ga-rantie pour les défauts.

Bien que dépourvues d’effet obligatoire, de telles mesures ne sont pas for-cément dénuées d’intérêt. Elles sont, en effet, par la suite susceptibles de se cris-talliser progressivement en des formes plus impératives. Ce phénomène de durcissement graduel a pu fréquemment être observé au point que certains ont qualifié lasoft lawde droit vert, soit un droit en mûrissement16.

b. Les mesures obligatoires

En droit suisse, des mesures obligatoires existent potentiellement depuis plus de deux décennies. La loi fédérale sur la protection de l’environnement dans

13 Sur limpact environnemental des biens de consommation notamment, voirKaenzigJ.,JollietO., Consommation respectueuse de l’environnement : Décisions et acteurs clés, modèles de consommation, Berne (Office fédéral de lenvironnement) 2006.

14 Br unner(2004), art. 30, N 15; B raunE.,Abfallverminderung durch Kooperation von Staat und Wirt-schaft : Bedingungen zur Umsetzung von Artikel 41a USG, Bâle, Francfort-sur-le-Main (Helbing & Lich-tenhahn Verlag) 1998, p. 13 ss et 63 ss.

15 Bo ur gD.,BucletN.,Léconomie de fonctionnalité,futuribles n° 313, p. 27 ss. Sur le même sujet, voir GiariniO.,StahelW.,Les limites du certain, Affronter les risques dans une nouvelle économie de ser-vices, Lausanne (Presses polytechniques et universitaires romandes) 1990.

16 Voir références citées inFlückigerA.,Régulation, dérégulation, autorégulation : l’émergence des ac-tes étatiques non obligatoires, Revue de droit suisse 2004, p. 159.

sa version originelle de 1983 prévoyait que le Conseil fédéral pouvait « inter-dire les emballages de biens de consommation d’usage courant s’ils sont à l’o-rigine de quantités excessives de déchets ou s’ils compliquent notablement le recyclage » (art. 32 al. 4 let. e aLPE17). La novelle de 1995a étendu cette compé-tence à tous les produits « destinés à un usage unique et de courte durée, si les avantages liés à cet usage ne justifient pas les atteintes à l’environnement qu’il entraîne » (art. 30a let. a LPE) et a autorisé le Conseil fédéral à obliger les fabri-cants à prévenir la formation des déchets de production pour lesquels aucune méthode d’élimination respectueuse de l’environnement n’est connue (art. 30a let. c LPE). Probablement trop visionnaires–le but avoué était de conférer « les moyens d’intervenir contre les excès de la civilisation du « tout à jeter »»18–, les mesures de limitation quantitative n’ont pas encore pu véritablement être mi-ses enœuvre19.

Si la difficulté politique est indéniable, la question juridique n’est aujourd’

hui plus de savoir si de telles mesurespeuventêtre mises enœuvre, mais si elles doiventl’être.

La compétence potestative du Conseil fédéral d’interdire la commercialisa-tion de produits destinés à un usage unique et de courte durée laisse, il est vrai, une certaine marge d’appréciation à l’autorité pour agir ou non. Il serait ainsi disproportionné (art. 5 al. 2 Cst.) et contraire à l’article 41a al. 3 LPE de ne pas recourir d’abord à toute la panoplie des instruments moins incisifs et coopéra-tifs20. Dans son message relatif à la LPE, le Conseil fédéral avait estimé, en 1979, que le besoin d’interdire « les emballages surdimensionnés ou difficiles à recy-cler » ne s’imposait pas encore, mais ajoutait cependant que « si dans notre pays, la bouteille à reprendre était remplacée sur une grande échelle par la bou-teille à jeter, ou par des boîtes d’aluminium, on devrait pouvoir réagir pro-mptement contre cette évolution »21et que « si le besoin d’une réglementation suisse est prouvé, le Conseil fédéraldoitédicter les prescriptions y relatives »22. Or la bouteille à jeter est devenue aujourd’hui d’usage banal23et l’augmenta-tion de la quantité de déchets urbains montre que le but premier de la gesl’augmenta-tion

17 RO 1984 1122.

18 Précisé au sujet de la disposition correspondant à lart. 30 let. a LPE (FF 1993 II p. 1382).

19 Par le passé, le Conseil fédéral a interdit les emballages pour boissons en PVC (art. 3 al. 2 et 10 aOEB [RO 1990 1480] en relation avec l’annexe 4.11 aOsubst [RO 1986 1254]ATF 118 Ib 367, 373 ss).

20 Dans le même sens, voirBr unner(2004), art. 30a, N 9.

21 FF 1979 III p. 803.

22 FF 1979 III p. 802 (à propos de larticle 29 du projet de LPE, ancêtre en partie de lactuel article 30a LPE).

23 En 1997 déjà, le Département fédéral de lintérieur constatait que la part de bouteilles reremplissables pour l’eau minérale suisse avait passé de 83 à 45 pour cent (Département fédéral de l’intérieur, Rap-port explicatif sur la modification de l’ordonnance sur les emballages pour boissons, Berne 1997, p. 4).

des déchets n’est pas atteint24malgré l’ensemble des mesures coopératives et incitatives prises jusqu’à maintenant. Ces dernières ont surtout eu pour effet positif d’augmenter la quantité de déchets valorisés. Toutefois un accroisse-ment des déchets valorisés, fût-il massif, ne saurait éclipser le but hiérarchique-ment prioritaire de limitation de la production des déchets. Dans un tel contexte, le Conseil fédéral est à notre avis, par conséquent, obligé d’édicter les prescriptions prévues à l’article 30a let. a LPE, malgré l’emploi du verbe « pou-voir »25, puisqu’aucune mesure préventive n’a jusqu’ici été capable d’enrayer la croissance des déchets.

Le Conseil fédéral vient pourtant de proposer de rejeter une motion de-mandant d’interdire l’utilisation dans le commerce des sacs plastiques non réu-tilisables et non recyclés au motif que l’élimination sauvage de tels sacs ne met-trait pas en danger le paysage, que ces sacs seraient valorisés thermiquement lors de leur incinération et que l’écobilan des sacs en papier, comme alternative, serait moins bon. Il propose simplement que l’OFEV « s’entretienne » avec le commerce de détail pour inciter les magasins à vendre des sacs de transport plus stables et durables et diminuer la quantité de sacs en plastique gratuits dans le but de sensibiliser les consommateurs26. Si l’effet en termes de quantités de déchets économisés risque dans ce cas précis d’être probablement assez faible, le Conseil fédéral n’aurait pas toutefois dû négliger l’effet d’entraîne-ment potentiel d’une telle mesure ouvrant graduelled’entraîne-ment la porte à d’autres propositions, à plus fort impact peut-être.

Puisque le Conseil fédéral ne veut pas agir, les cantons le pourraient-ils ? Tant que le Conseil fédéral n’a pas fait expressément usage de sa compé-tence d’édicter des ordonnances, les cantons sont autorités à adopter leurs pro-pres pro-prescriptions (art. 65 al. 1erLPE). Bien qu’une solution uniforme sur le plan national paraisse plus adéquate tant en application du principe de subsidiarité (voir art. 5a et 43a al. 1erCst.) que de celui d’efficacité (art. 170 Cst.), un canton pourrait interdire sur son territoire les sacs plastiques non réutilisables27. Certains auteurs ne partagent néanmoins pas cet avis, estimant que l’interdic-tion de commercialiser des produits jetables au sens de l’article 30a let. a LPE entrerait en collision avec la loi fédérale sur le marché intérieur (LMI; RS

24 SauteurA.,La valorisation des déchets urbains, Genève, Bâle, Zurich (Editions Schulthess) 2007, p. 12.

25 Tr öschA., Kommentar zum Umweltschutzgesetz, H.Ke ller(éd.), Zurich, Bâle, Genève (Schulthess Verlag) 1991 [1èreversion du commentaire], art. 32, N 2, par analogie. Sur la limitation du pouvoir d ap-préciation nonobstant lutilisation du verbe « pouvoir », voirMo orP.,Droit administratif, vol. I, Berne (Editions Stämpfli) 1994, p. 375.

26 Motion Dominique de Buman du 13. 06. 2008,Plus de sacs plastiques non réutilisables et non recyclés (08.3438). Réponse du 19. 11. 2008.

27 Voir par exemple la motion Michel Thentz,Interdiction de sacs plastiques sur territoire jurassien(n°

884), acceptée par le Parlement du canton du Jura le 28 janvier 2009.

943.02)28. L’intérêt public prépondérant à la protection de l’environnement (art. 74 Cst.), ainsi qu’au développement durable (art. 2 al. 2 et 4, 73 Cst.), puisque le principe de limitation des déchets permet de ménager au mieux les ressources, justifierait à notre avis dans tous les cas une restriction à la liberté d’accès au marché, au sens de l’article 3 al. 1erlet. b LMI. Les deux autres exi-gences à une telle restriction, soit le traitement équivalent des offreurs locaux (art. 3 al. 1 let. a LMI) ainsi que le respect du principe de la proportionnalité (art. 3 al. 1 let. c LMI), seraient à notre avis également données29.

Les cantons demeurent bien sûr libres de limiter la production de déchets dans le cadre de leurs propres activités afin de provoquer, par l’exemple, un changement dans les attitudes de la population (comportement exemplaire des autorités)30. Ils peuvent ainsi décider d’interdire l’usage de vaisselle jetable dans les cafétérias des administrations ou de réduire la consommation de pa-pier en limitant l’impression de documents dans les administrations publiques.

La compétence du Conseil fédéral n’est pas non plus restreinte par la loi fé-dérale sur les entraves techniques au commerce (LETC; 946.51). D’une part, ce n’est que par une interprétation extensive que l’on saurait tomber dans le champ d’application de cette loi puisque le refus de mettre dans le commerce un produit jetable n’est pas à proprement parler une entrave technique au commerce, ni uneprescription technique,ni unenorme techniqueau sens de l’arti-cle 3 let. a à c LETC31. D’autre part, les exigences de cette dernière loi ne s’appli-quent qu’aux règles adoptées après son entrée en vigueur32. Si tel ne devait tou-tefois pas être le cas, des dérogations seraient à notre avis de toute manière admissibles, étant imposées par des intérêts publics prépondérants et ne consti-tuant ni un moyen de discrimination arbitraire, ni une restriction déguisée aux échanges au sens de l’article 4 al. 3 let. a et b LETC.

28 Br unner(2004), art. 30a, N 8.

29 Sur le respect du principe de proportionnalité, voir ATF 118 Ib 367, 375, ainsi queBove tC., Concur-rence et environnement, A la recherche de la proportionnalité, Revue suisse de droit des affaires 1995, p. 171 s.

30 Sur cet instrument d’action étatique, voirFlückiger(2004), p. 201 s. et références citées.

31 Contra :Brunner(2004), art. 30a, N 12. Si une norme interdisant les sacs en plastique est à la ri-gueur susceptible de constituer une prescription technique au sens de lart. 3 let. b ch. 1 LETC, dans la mesure où elle devait se rapporter à la composition du produit, en loccurrence un plastique fin, la qua-lification est moins évidente de prime abord pour les autres objets potentiellement visés comme le ra-soir ou l’appareil photo jetables.

32 ATF 124 IV 225, 231 s. (DEP 1998, p. 725);Merkt-M at the yN., Commentaire Romand Concurrence, P.

Te rcier, C.Bove t(éd.), Genève, Bâle, Munich (Helbing & Lichtenhahn Verlag) 2002, art. 3 LETC.

2. En droit international public

La Convention de Bâle33prévoit des moyens de mise enœuvre non juridiction-nels pour appliquer le principe de limitation des déchets : les possibilités de ré-duire le volume et le potentiel de pollution des déchets dangereux et d’autres déchets exportés, en particulier vers les pays en développement, doivent faire l’objet d’un examen périodique (art. 4 al. 13); un rapport national contenant des renseignements sur les efforts qui ont été entrepris pour parvenir à réduire le volume de déchets dangereux ou d’autres déchets faisant l’objet de mouve-ments transfrontières doit être communiqué annuellement à la Conférence des Parties (art. 13 al. 3 let. b ch. IV); il en va de même pour les mesures prises en rapport avec la mise au point de techniques tendant à réduire ou à éliminer la production de déchets (art. 13 al. 3 let. h); enfin, des centres régionaux ou sous-régionaux de formation et de transfert de technologie pour la gestion des dé-chets dangereux et d’autres dédé-chets et la réduction de leur production doivent être créés (art. 14 al. 1er).

3. En droit communautaire

Le droit communautaire34, récemment révisé sur ce point, demande de mettre enœuvre des mesures concrètes de prévention, en particulier de définir une politique de conception écologique des produits (art. 9 let. a), d’adopter un plan d’action pour modifier les habitudes de consommation actuelles (art. 9 let. b) et de fixer des objectifs de prévention des déchets (art. 9 let. c). Il exige que les Etats membres adoptent des programmes de prévention des déchets (art. 29 al. 1) devant fixer des objectifs et mesures visant à rompre le lien entre la croissance économique et les incidences environnementales associées à la production de déchets (art. 29 al. 2). Le droit communautaire privilégie ainsi des instruments de planification.

La directive donne en exemple trois catégories de mesures en fonction du cycle de vie des produits (annexe IV): celles qui influencent les conditions d’en-cadrement de la production de déchets35, celles qui influencent la phase de

33 VoirPellowD. N.,Resisting global toxics : transnational movements for environmental justice, Cam-bridge (MIT Press) 2007 ;Kummer K.,International management of hazardous wastes : the Basel Convention and related legal rules, Oxford (Clarendon Press) 1999.

34 VoirVan CalsterG.,Handbook of EU Waste Law, Oxford (Oxford University Press) 2007 ;Ko chH.-J., ReeseM.,Änderungsbedarf und Änderungsvorschläge für eine Weiterentwicklung des europäischen Abfallrechts,Berlin (Erich Schmidt Verlag) 2006 ; Gesellschaft für Umweltrecht (éd.),Aktuelle Entwick-lungen des europäischen und deutschen Abfallrechts, Berlin (Erich Schmidt Verlag) 2004.

35 Planification, instruments économiques, promotion de la recherche et du développement des produits, développement d’indicateurs.

conception, de production et de distribution des produits36et celles qui influen-cent la phase de consommation et d’utilisation37.

B. Un principe visionnaire mais impopulaire dans une