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L’analyse économique appliquée au droit de la concurrence

II. Les analyses ex ante

Au cours des dernières années, l’usage des analyses économiques par la Commission de la concurrence a été relativement inégal, selon les cas et le do-maine particulier du droit de la concurrence. De ce point de vue, on peut dis-tinguer les analysesex antedes examensex post.

Les premières sont sans doute les plus délicates puisqu’elles sont réalisées en l’absence de toutes observations empiriques et qu’elles doivent être effec-tuées sur la base de prédictions, à l’appui de raisonnements probabilistes. Parmi celles-ci, il faut évidemment citer en premier lieu l’analyse des effets éventuels d’une fusion. Dans ce cas, le temps est compté pour effectuer une étude robuste, surtout si les données nécessaires ne sont pas disponibles et qu’elles doivent être éventuellement collectées par les entreprises concernées. Ces informations éco-nomiques se réfèrent notamment à la définition du marché pertinent, à sa ture (calcul de différents indices de concentration tels que l’indice HHI), la struc-ture de la demande et la technologie ainsi que la compréhension des stratégies possibles.

De ce point de vue, il faut bien reconnaître que, pour l’instant, l’emploi d’approches empiriques pour estimer les effets possibles d’une fusion a été plu-tôt rare voire même inexistant. Cela peut être expliqué à notre avis par le fait qu’il n’existe quasiment pas de données en Suisse pour effectuer des estima-tions empiriques liées à une fusion. De surcroît, les tests disponibles dans la lit-térature spécialisée en économie industrielle sont très souvent inapplicables pour de petits pays tels que la Suisse.

A titre d’exemple, on peut citer le cas du commerce de détail et des nombreu-ses fusions qui l’ont caractérisé au cours des dernières années. Une des difficultés majeures auxquelles les autorités de la concurrence se sont vite trouvées confron-tées pour tenter de déterminer l’impact éventuel d’une concentration d’entrepri-ses est liée au fait que la politique des prix pratiquée par les principaux groupes actifs sur ce marché est fixé à l’échelle nationale. Dès lors, il devient impossible, à l’instar de ce qui s’est fait dans ce domaine aux Etats-Unis notamment, d’évaluer l’effet que peut avoir l’absence ou, au contraire, la présence, d’un concurrent sur un marché local sur le niveau des prix pratiqués qui y règne.

Face à cette impossibilité, liée à l’étroitesse du marché national et aux politi-ques pratiquées notamment par les grands groupes de distribution, il convient de faire preuve d’imagination et de chercher à appliquer d’autres approches susceptibles d’apporter les réponses recherchées. De ce point de vue, une piste susceptible d’être poursuivie consiste à examiner la gamme de produits offerts sur chaque sous-marché régional pertinent par les concurrents qui se font face en partant de l’idée que la présence d’une concurrence plus vive devrait se tra-duire par une diversité plus large de produits et surtout par une part plus im-portante réservée aux biens à bas prix. Cette estimation empirique pourrait ain-si permettre de vérifier ain-si cette variable stratégique est influencée par la présence, par exemple, de groupes tels qu’Aldi et/ou Lidl sur la politique de gammes offertes par les distributeurs. Si l’idée est en soi intéressante, elle se heurte assez vite au fait que pour livrer de telles données, les entreprises ont be-soin de temps, plus que les quelques semaines offertes par le législateur aux au-torités de la concurrence.

Les analysesex antesont importantes également pour effectuer un monitor-ingdes marchés afin de déterminer si ceux-ci fonctionnent de manière optimale pour l’ensemble de la collectivité. De ce point de vue, l’analyse économique est extrêmement utile pour mettre en évidence les critères qui devraient être utili-sés comme indicateur éventuel d’un dysfonctionnement possible. Dans le même temps, ces indicateurs devraient permettre d’établir des priorités dans le choix des enquêtes à effectuer. Si lemonitoringdes marchés est avant tout une question de probabilité qu’il existe un problème concurrentiel, celui du choix des priorités à établir se réfère essentiellement à l’ampleur des problèmes concurrentiels. Compte tenu des ressources relativement rares dont disposent les autorités de la concurrence, en Suisse particulièrement, la ComCo et son se-crétariat se doivent d’établir des priorités dans leurs enquêtes en choisissant d’allouer leurs moyens aux cas qui pourraient susciter les pertes les plus éle-vées aux consommateurs. Dans ce domaine également, l’analyse économique est particulièrement utile.

Elle l’est aussi pour élaborer des directives en matière de droit de la concur-rence qui soient basées sur des principes inspirés de la théorie économique. Ces directives sont particulièrement utiles pour accroître la prévisibilité des déci-sions prises par la Commission de la concurrence et accroîtrede factoles certitu-des légales qui sont si importantes pour assurer le développement économique des entreprises. Ainsi, dans la décision Coop-Forte1, adoptée par la Commission de la concurrence, des principes généraux ont été établis. Ils permettent de dé-terminer si une entreprise se trouve dans une situation de dépendance verticale par rapport à un fournisseur ou par rapport à un client situé en aval. En effet, les restrictions verticales peuvent avoir des effets économiques positifs susceptibles d’améliorer sensiblement le bien-être des consommateurs. Dès lors, il convien-drait d’éviter de prendre des positions de principe trop restrictives en matière d’accords verticaux qui pourraient inciter les entreprises à s’intégrer verticale-ment même si celle-ci est par ailleurs moins efficace que de simples accords.

Parmi ces effets positifs, on peut notamment évoquer les problèmes liés à des comportements de resquille qui sont susceptibles de se développer dans les relations verticales et qui peuvent pousser certains distributeurs à ne pas fournir les investissements, nécessaires pourtant aux fournisseurs, en profitant des efforts consentis par d’autres distributeurs. Les accords verticaux peuvent également permettre d’éviter les risques de double marginalisation imposés par le producteur à ses distributeurs puis, ultérieurement, par les distributeurs aux consommateurs. Les différents avantages liés à des restrictions verticales, du point de vue de la théorie économique, ont été énumérés de manière très détaillée dans la décision prise par la Commission de la concurrence dans le ca-dre de son analyse sur le marché des livres fixant ainsi un caca-dre clair et précis

1 Droit et politique de la concurrence (DPC) 2005/1, p. 146 ss.

pour que les entreprises puissent savoir ce qu’elles sont autorisées à faire dans ce domaine qui, de manière générale, est nettement moins problématique que les accords horizontaux.

III. Les analyses ex post: estimation des effets nuisibles