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Les prétendues lacunes du droit uniforme de la vente internationale

A. Portée de l’hypothèse

V. Critique de la jurisprudence du Tribunal fédéral

En l’espèce, le montant du découvert correspondait au montant des créances postposées en pleine connaissance de cause. Le Tribunal fédéral a néanmoins écarté toute application du principe volenti non fit iniuria45 – soit l’argument tiré du consentement des créanciers actionnaires à la réalisation du dommage (art. 44 CO)–au motif que le défendeur ne pouvait faire valoir des objections qui ne soient pas opposables à la communauté des créanciers46.

Quels que soient ses mérites sur un plan général47, la construction du Tri-bunal fédéral trouve ici ses limites48. En effet, elle peut se justifier lorsqu’elle tend à protéger les tiers qui concluent avec une société insolvable : les créan-ciers ne doivent point se voir opposer le laxisme ou les fautes d’un organe (no-tamment de l’assemblée générale lors de la décharge) sur lesquels ils n’avaient aucune influence49. En revanche, elle aboutit à un résultat choquant lorsqu’elle permet au créancier non postposant de faire valoir un dommage dont il n’au-rait pu faire état si la société en difficulté n’avait pas été financée en pleine connaissance de cause par les créanciers actionnaires postposants.

Ainsi, considérons l’exemple suivant : constatant l’existence d’un surendet-tement (né par hypothèse de la nécessité de constituer rapidement une provi-sion) et d’un besoin de liquidités, l’actionnaire principal décide d’alimenter la

43 Arrêts du TF 4C.58/2007 du 25 mai 2007, consid. 4.3 et 4A_478/2008 du 16 décembre 2008, consid.

4.3.2.

44 Arrêt du TF 4A_478/2008 du 16 décembre 2008, consid. 4.3.2. Cf. toutefois arrêt du TF du 12 octobre 1999 en la cause G. & B. c/B, Revue jurassienne de jurisprudence 1999, p. 214 ss, approuvant la déci-sion de lautorité cantonale considérant que le dommage causé à la société en faillite« est équivalent au total des créances admises à l’état de collocation [...],le dommage subi par la société se confondant avec celui subi indirectement par lensemble des créanciers », cité et critiqué parRomyI.,Mise enœ u-vre des prétentions en responsabilité des créanciers et exécution forcée, in : « Neuere Tendenzen im Ge-sellschaftsrecht, Festschrift für Peter Forstmoser zum 60. Geburtstag », H. C. von der Crone et al. (éd.), Zurich (Schulthess) 2003, p. 479 ss, spéc. p. 486 s.

45 Favorables à l’application de ce principe dans ces circonstances :Hirsch(2007), p. 413 s.;Chenaux, J.-L.,La responsabilité du conseil d’administration dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, in

« Quelques actions en responsabilité», Neuchâtel (Faculté de droit de lUniversité de Neuchâtel) 2008, p. 145 ss, spéc. p. 172 s.

46 Arrêt du TF 4A_478/2008 du 16 décembre 2008, consid. 4.3.2.

47 Cf. not.Widmer P., Gericke D., WallerS., Basler Kommentar OR II, 2008, Art. 757 OR, N 16.

48 Cf. aussiWidmer, Gericke, Waller(2008), N 28 et les références citées.

49 Cor bo z B .,Commentaire romand CO II, 2008, art. 757, N 18.

société sous la forme d’un prêt immédiatement postposé à hauteur du suren-dettement. L’octroi de ce prêt permet à la société de procéder au rembourse-ment de la moitié de la créance exigible d’un bailleur de fonds tiers, le solde étant affecté aux dépenses courantes. A supposer que la faillite de la société soit ouverte par la suite, le bailleur de fonds pourrait requérir la cession des droits de la masse et tenter d’invoquer une violation des devoirs des organes et une augmentation du découvert correspondant au montant du prêt post-posé. Supposé bien fondé, un tel moyen permettrait au bailleur de fonds d’être indemnisé du solde de sa créance en invoquant le préjudice subi par la société, alors même que sa créance n’aurait pas été couverte si le bilan avait été déposé lors de la constatation du surendettement. Bien plus, il serait susceptible d’éle-ver ses prétentions à l’encontre de l’actionnaire postposant, s’il parvenait à éta-blir que ce dernier supporte une responsabilité d’organe de droit ou de fait dans la survenance du découvert50. Ainsi, pour le simple motif qu’il agit théori-quement au nom de la communauté des créanciers, le bailleur de fonds bénéfi-cie économiquement de cette construction alors que son propre sort n’a pas été affecté, voire s’est trouvé amélioré grâce aux moyens investis sous la forme des prêts postposés des actionnaires.

La jurisprudence du Tribunal fédéral apparaît plus critiquable encore si elle conduit à ignorer le fait du créancier postposant lui-même. Songeons ainsi au créancier postposant, agissant en qualité de cessionnaire, lequel ferait grief au conseil d’administration d’avoir prolongé artificiellement l’existence d’une so-ciété moribonde en renonçant à l’avis au juge51. Sans doute le conseil d’admi-nistration est-il le seul à pouvoir juger de la réelle capacité d’assainissement de la société52. Il est toutefois loisible au créancier d’obtenir toutes les informations qu’il souhaite pour apprécier l’opportunité des mesures d’assainissement envi-sagées par le conseil d’administration avant de consentir à la postposition. Par-tant, on ne voit guère ce qui justifierait que le créancier postposant puisse agir en responsabilité si l’assainissement échouait finalement pour des motifs qui ne lui ont pas été dissimulés (par exemple, le risque d’impossibilité de conclure un tour de financement en raison des conditions du marché), voire auxquels il a expressément consenti.

Cela étant, on peut regretter que la nature même des créances postposées n’ait pas été discutée dans les arrêts précités. On ignore certes selon quelles mo-dalités précises ces prêts avaient été octroyés. On peut néanmoins admettre qu’ils n’auraient pas été consentis par des tiers au vu de la situation financière de la société: ils l’ont été par des créanciers actionnaires qui connaissaient

l’évo-50 Jaques(1999), N 724.

51 Cf.J aque s(1999), N 749, excluant le droit d’agir en responsabilité dans cette hypothèse.

52 Sur les devoirs et la responsabilité du conseil d’administration dans l’assainissement de la société:

Glanzmann,Ro be rto(2004).

lution des pertes et assumaient les risques liés à la poursuite de l’activité sociale.

Il eût été ainsi particulièrement intéressant de s’interroger sur l’éventualité d’une requalification des créances postposées originaires en quasi-fonds propres, voire sur l’existence d’une remise de dette tacite soumise à la condition suspensive de l’ouverture de la faillite53. Il est vrai que le Tribunal fédéral a récemment coupé court, sans y consacrer d’amples développements, à la notion de quasi-fonds propres développée par la doctrine à la faveur d’arrêts cantonaux clairsemés54. Il a jugé en bref que la requalification d’un prêt d’actionnaire en fonds propres était «étrangère au droit suisse actuel », motif pris notamment qu’elle contreve-nait à l’article 680 alinéa 2 CO55. Il est douteux pourtant que la disposition préci-tée fasse obstacle à l’assimilation, au moment de la faillite, de prêts postposés ori-ginaires à une forme de contributions à fonds perdus56. En effet, une telle qualification ne tendrait pas à sanctionner un procédé abusif de l’actionnaire, mais elle reposerait sur l’interprétation de la volonté des parties. Celle-ci se trou-verait confortée–à l’instar de l’état de fait retenu dans les arrêts commentés–par la renonciation des créanciers postposants à produire leurs créances dans le ca-dre de la faillite. A la faveur d’une telle interprétation, les actionnaires représen-tés au conseil d’administration pourraient financer de manière transitoire la so-ciété par le biais de prêts postposés sans craindre que ceux-ci ne soient pris en compte dans le calcul du dommage en cas d’action en responsabilité57.

53 Cf.Vo uillo z(2004), p. 316 :« La postposition est donc un contrat de remise de dette soumis à la condition suspensive de la faillite du bénéficiaire de la postposition et jusquà concurrence du montant nécessaire à honorer les autres dettes de la société».

54 Cf. not.v on G reyerzC.,Kapitalersetzende Darlehen, in : « Festschrift für Frank Vischer zum 60. Ge-burtstag », P.Böckli, K.Eichenbe rger et al. (éd.), Zurich (Schulthess) 1983, p. 547 ss, spéc.

p. 553 s.;Stö ckliU.,Das kapitalersetzende Darlehen im Konkurs einer Aktiengesellschaft, Umqualifi-kation als Risiko, LExpert Comptable Suisse 2007/9, p. 662 ss ;LanzR.,Kapitalverlust, Überschuldung und Sanierungsvereinbarung, thèse Berne 1985, Zurich (Schweizerisches Treuhand- und Revisions-kammer) 1985, p. 125 ;RihmT. W.,Nachrangige Schuldverpflichtungen, thèse Bâle 1991, Zurich (Treu-hand-Kammer) 1992, p. 74 s.;Glanz mannL.,Der Darlehensvertrag mit einer Aktiengesellschaft aus gesellschaftsrechtlicher Sicht : ein Beitrag zur Finanzverantwortung des Verwaltungsrates unter Berück-sichtigung des konzerninternen Darlehens, thèse St-Gall 1996, Berne (P. Haupt) 1996, p. 145 ;H uber U.,Umqualifizierung von Darlehen im Konkurs einer Konzerngesellschaft ?, Revue suisse de droit des affaires 2006/4, p. 282 ss ;Ho ldM.,Das kapitalersetzende Darlehen im schweizerischen Aktien- und Konkursrecht, thèse St-Gall 1999, Berne (P. Haupt) 2000, p. 109 s.;Bahar(2005), p. 491 s.;Jaq ue s (1999) ,N 297 s.;Tr igo TrindadeR.,Les prêts remplaçant les fonds propres, in : « Insolvence, désen-dettement et redressement : études réunies en lhonneur de Louis Dallèves », B.Foëx, L.Thé venoz (éd.), Bâle (Helbing & Lichtenhahn) 2000, p. 371 ss ;Rue dinR.,La responsabilité, in : « Le nouveau droit de la société à responsabilité limitée », U.Portmann(éd.), Lausanne (Cedidac) 2006, p. 29 ss, spéc. p. 59 s.;Vo gelA.,Kapitalersetzende « Sanierungs »-Darlehen im Konzern, Urteil des Obergerich-tes des Kantons Zürich, II. Zivilkammer, vom 19. Januar 1993, Revue suisse de droit des affaires 1993, p. 299 ss, spéc. p. 301 s.;Witmer(1999), p. 64. Dans le domaine du financement par capital-risque : vo n Salis-Lüto lf(2002), N 581 s.;G roner(2007), p. 126 s.

55 Arrêt du TF 5C.230/2005 du 2 mars 2006, consid. 3.

56 Chenaux J.-L., Commentaire romand CO II, 2008, art. 680, N 20 s.

57 Cf.Bahar(2005), p. 493, qui plaide pour une interprétation restrictive de la notion de quasi-fonds propres pour ne pas rendre plus difficile l’apport d’argent frais aux sociétés en difficulté.