• Aucun résultat trouvé

L’émergence du roman policier français : de Gaboriau à Izzo

II.1. L’émergence du roman policier français : de Gaboriau à Izzo

II.1.5. Jean – Claude Izzo et la trilogie marseillaise Fabio Montale

II.1.5.2. La trilogie: amitié, amour et vengeance

Bien qu‟elle appartienne au genre policier, la trilogie affiche des titres voilés par des airs de musique qu‟Izzo explique dans un entretien à l‟occasion de la sortie de

Solea :

«« Solea » est un de mes morceaux préférés de Milles Davis, dans son album « Sketches of Spain », une musique qui est pour moi, le sens du livre. Total Khéops (pagaïe totale, en argot marseillais), étais le son du rap, le son des banlieues. Chourmo (le galérien) était plus ragamuffin évoquait la solidarité dans la galère. La Solea est également un terme de Flamenco qui désigne le silence parfait qu’il faut trouver au bout du chant.»[255]

Par ailleurs, Izzo ne manque pas d‟évoquer les titres de ses trois romans au cours de la narration, en essayant de les doter de sens pour le lecteur. Ça commence d‟ailleurs, dès Total Khéops où l‟auteur marseillais évoque cette expression pour désigner la situation complexe dans laquelle se trouve Fabio à la suite de la mort de son ami Ugo, et l‟implication de ce dernier dans le milieu de la mafia marseillaise :

«- Total Khéops, hein ?

-Tu l’as dit, ma belle.

Et j’étais au centre du bourbier. À patauger dans la merde des autres. Ce n’était qu’une histoire banale de voyous. Une histoire de plus, et sans doute pas la dernière. L’argent, le pouvoir. L’histoire de l’humanité. Et la haine du monde pour unique scénario. » (Total Khéops, p.288)

En fait, Total Khéops commence par l‟assassinat d‟un ancien ami d‟enfance de Fabio Montale : Ugo. Ce dernier est revenu à Marseille pour venger la mort de leur autre camarade Manu, assassiné à cause de ses liens douteux avec le milieu de la mafia marseillaise :

[254]

COSTE, Martine Agathe, op.cit., p. 300.

[255] IZZO, Jean- Claude,Rencontre avec Jean-Claude Izzo à l’occasion de la parution de Solea , sur

« Tu revenais à Marseille pour Manu. Pour régler son compte à

l’enfant de salaud qui l’avait tué. (……) Tu n’en voulais pas à celui qui avait fait cette saloperie. (…..) Tu en voulais à l’ordure qui avait commandité ça. Tuer Manu. Tu ne voulais pas savoir pourquoi. Tu n’avais pas besoin de raison. Pas même une seule. Manu, c’est comme si c’était toi. » (Total Khéops, p.58)

Ugo fut aussi tué après avoir assassiné un grand patron mafioso : Zucca ou Monsieur Charles, comme on le surnommait dans le Milieu, supposé être le commanditaire du meurtre. L‟identité de ce dernier a été révélée à Ugo par Batisti, une autre figure de la pègre marseillaise, qui s‟avère être finalement le véritable instigateur de ces crimes.

Voulant connaître les circonstances dramatiques de la mort de ses deux amis, ainsi que les responsables du viol et de l‟assassinat de Leila, une amie d‟origine algérienne, Fabio commence alors un long périple à travers les quartiers et les ports de Marseille pour tenter de comprendre ce qu‟il s‟est passé réellement. Il découvre, après mainte recherches les rouages du milieu marseillais, façonnés par les intérêts et les luttes de pouvoir et ayant la complicité de certains membres des forces de police. Le flic trouve que finalement Ugo, Manu et Leila ont été tués par les mêmes personnes, des membres de la mafia.

Il faut souligner que Total Khéops est écrit à partir d‟une nouvelle Marseille

pour finir, publiée en 1993 dans la revue Gulliver. Cette nouvelle constitue le premier

chapitre de Total Khéops. Quant à Chourmo, ce roman considéré comme « le plus long,

celui qu’il écrit avec le plus de facilité, d’assurance et de fluidité » [256]

raconte la recherche d‟un adolescent disparu, Guito, le fils de sa cousine Gélou, parti rejoindre sa petite amie Naïma, une adolescente d‟origine algérienne à Marseille. La visite de sa cousine Gélou va plonger Fabio dans ses souvenirs d‟enfance et d‟adolescence, surgis d‟un passé omniprésent :

« Gélou se retourna et toute ma jeunesse me sauta à la gueule.

C’était la plus belle du quartier. Elle avait fait tourner la tête à plus d’un, et moi le premier. Elle avait accompagné mon enfance, alimenté mes rêves d’adolescent. Elle avait été mon amour secret. Inaccessible. » ( Chourmo, p.334)

[256]

II.1. L’émergence du roman policier français : de Gaboriau à Izzo ║

138

Pour venir en aide à sa belle cousine adorée, le flic français se lance dans une nouvelle enquête (malgré sa démission dans le premier roman) qui va l‟entraîner dans le milieu maghrébin. Justement, c‟est lors d‟une visite chez les parents de Naïma, habitant une des cités maghrébines que Montale assiste à l‟assassinat de son ancien ami Serge, un éducateur dans les banlieues :

« Une BMW noire, vitres fumées, arriva de je ne sais où. Elle

roulait au pas, et Serge n’en fit aucun cas. Une fois à sa hauteur, un bras apparut par la vitre arrière. Un bras armé d’un revolver. Trois coups, à bout portant. La BMW fit un bond et disparut aussi vite qu’elle avait surgit. » (Chormo, p.349)

A la suite de ce meurtre, Fabio se retrouve en contact avec ses anciens collègues policiers tel que Loubet, pour entreprendre ses recherches personnelles, surtout après avoir appris la mort de Guitou dans le journal. Il commence alors deux enquêtes parallèles pour comprendre les deux meurtres : celui de Guitou et celui de son ami Serge. Son enquête le conduit une fois encore vers le milieu de la mafia, mais aussi de l‟islamisme, où il découvre un lien entre les deux crimes.

Le flic marseillais découvre que le responsable des deux meurtres n‟est autre que le second époux de sa cousine Gélou, Narni. Ce dernier en tuant Hocine Draoui, un historien algérien, exilé en France à la suite de l‟arrêt du processus électoral en Algérie, tue aussi Guitou, qui se trouvait chez Adrien Fabre, le logeur de Draoui, impliqué lui aussi dans les affaires de la mafia. Après avoir révélé la vérité à sa cousine, elle lui révèle, à son tour, que Guitou est le fils de Narni. Montale décide alors de se venger de la mort de Guitou, mais Narni trouve la mort dans un accident de voiture, après une poursuite acharnée de la part de Fabio.

Ce second roman de la trilogie met surtout le doigt sur les problèmes des jeunes Marseillais souffrant de différents maux sociaux et politiques comme le racisme, la drogue, la prison et l‟intégrisme. Le mot chourmo trouve alors toute sa signification, car il désigne en provençal, selon l‟auteur la chiourme, les rameurs des galères de Marseille. Le sens du mot galère ayant dévié, le chourmo désigne aujourd‟hui l‟esprit des jeunes de Marseille qui veulent s‟entraider pour s‟en sortir :

« L’essentiel [du chourmo], c’était que les gens se rencontrent.

Se «mêlent », comme on dit à Marseille. Des affaires des autres, et vice-versa. Il y avait un esprit chourmo. On n’était plus d’un quartier,

d’une cité. On était chourmo. Dans la même galère, à ramer ! Pour s’en sortir. Ensemble.» (Chourmo, p.p.368-369)

Fabio se rappelle lui aussi qu‟il est Chourmo, car il est issu lui aussi d‟un quartier pauvre, le Panier, où il a appris la solidarité, l‟amitié dans ses rues :

« « Chourmo » de naissance, j’avais appris l’amitié, la fidélité dans les rues du Panier, les quais de la Joliette. Et la fierté de la parole donnée sur la Digue du Large, en regardant un cargo prendre la haute mer. Des valeurs primaires. Des choses qui ne s’expliquent pas. » (Chourmo, p.432)

Et la trilogie se clôt avec Solea à propos duquel Nadia Doukhar remarque :

«Pour qui lit cette Trilogie d’un trait, Solea exhale un goût de déjà-vu, de déjà-dit : Montale, éreinté, semble ressasser. Et pourtant, il s’agit sans doute du roman le plus fort, le plus à vif et le plus sincère de la Trilogie. Montale est à nu, et derrière lui, la silhouette de son auteur se profile clairement. »[257]

Dans Solea, Fabio Montale quitte la douce torpeur dans laquelle il vivait depuis sa démission de la police, pour venir en aide à son amie Babette, la journaliste, qui après avoir enquêté pendant des mois sur le pouvoir de la Mafia dans le sud de la France, est poursuivie par des tueurs. Ces derniers n‟hésitent pas à tuer des personnes chères à Montale, comme sa nouvelle amie Sonia, et son copain Mavros, pour l‟inciter à la retrouver le plus vite possible. Au cours de son enquête, il prend conscience de l‟étendue et la force des réseaux du crime organisé, et de ses liens avec le milieu des affaires et de la politique.

Comme dans les deux autres volets de la trilogie, le flic français est assailli par ces souvenirs de jeunesse ; son amitié avec Ugo, Manu, Leila, et son amour pour Lole. Mais cette fois- ci, il les ressent avec plus de mélancolie et avec beaucoup de tristesse, comme si Fabio attendait la mort à tout moment, d‟où la récurrence de l‟expression

«La vie puait la mort» tout au long de ce roman, même s‟il trouve encore du plaisir dans

les petites choses de la vie, par exemples ses rencontres avec ses deux vieux amis, Fonfon et Honorine, (d‟ailleurs les seuls survivants des assassinats de la Mafia) autour comme toujours, des plats de poisson.

II.1. L’émergence du roman policier français : de Gaboriau à Izzo ║

140

Montale mourra à la fin du roman sous les balles de ces mêmes tueurs, en tentant de sauver Babette. Il meurt dans son bateau qui filait vers le silence du large, et dans ses moments d‟agonie, le héros d‟Izzo comprend enfin que c‟était sa propre mort qu‟il sentait venir au plus profond de lui-même, pour le délivrer de son angoisse. :

«J’en avais fini avec la douleur. Toutes les douleurs. Et mes peurs. La peur. Maintenant, la mort, c’est moi. » (Solea, p.806)

Avec cette fin tragique du héros, le titre s‟explique facilement, du moment que

Solea exprime le silence mélancolique après un air de flamenco. N‟est- il pas le cas

justement avec la mort de Montale dans le silence de la nuit et de la mer ? La référence au flamenco est évidente (d‟ailleurs Izzo lui-même le souligne) dans les derniers mots d‟un Fabio mourant, en invoquant Lole, son éternel amour, qui l‟a quitté pour tenter une carrière de chanteuse de flamenco, auprès d‟un nouvel ami, mais que lui, Fabio, n‟a jamais désespéré de revoir un jour.

En somme, le ton musical annoncé dès la lecture des titres de la trilogie se confond dans des intrigues meurtrières peuplées de crimes, de vengeance, d‟amour et d‟amitié dans un Marseille aimé, parcouru et vécu avec passion tant de la part de Montale que de son créateur.

Reste à dévoiler dans ce présent travail, comment la ville de Marseille, conjuguée avec la mer, se prête à notre interprétation de son espace dans la trilogie d‟Izzo, et voir quelles sont les différentes images qu‟elle laisse échapper à son insu. Donc, la série Fabio Montale nous permettra d‟observer la façon dont Marseille est représentée dans les écrits d'Izzo.

Chapitre 2