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La ville méditerranéenne : une ville policière ?

I.3.1. Ainsi est née la ville :

La ville n‟est pas seulement un foyer de civilisation, un espace géographique ou un point de rencontre et de vie pour des hommes, c‟est une matrice qui pousse l‟imagination créatrice à cultiver de nombreuses représentations de valorisation ou de dévalorisation à son sujet, c‟est que : « A travers l’histoire, la ville offre un double

visage : elle a été source de civilisation et des créations humaines, espace de la grandeur de la société, mais elle a été aussi le lieu des illusions perdues, espace de la décadence sociale. » [ 151]

C‟est un espace complexe, sans cesse questionné sur son rapport avec les hommes, l‟histoire et les arts, elle fécond l‟imaginaire et incite à la création, c‟est que :

« Ville des promeneurs qui l’arpentent, des poètes qui la chantent, des écrivains qui y découpent leur propre espace Ŕréel, mythique, surréel- des peintres et des cinéastes pour qui elle est décor ou personnage, la ville fait travailler l’imaginaire, suscitant des représentations oniriques et fantastiques. ». [152]

Il n‟est pas inutile de rappeler que la ville s‟apparente étymologiquement à la campagne, car l‟origine de son appellation dérive du mot latin villa qui signifie :

maison de campagne, puis plus tard, domaine rural. De surcroît, le mot ville possède

des synonymes latins comme : urbs (ville centre) et civitas (du civis, le citoyen), ce qui va mener à d‟autres utilisations de ces mots, notamment cité, qui désigne une grande ville, ainsi que citadins, qui sont les habitants d‟une ville. De fait, la ville devient «un

mode d’appropriation de l’espace par un groupe humain d’une certaine importance.»[153]

[151] DE DIEGO, Rosa, Les villes de la mémoire, Humanitas, Québec, 1997, p.21.

[152] MENEGALDO, Hélène et Gilles (Sous la direction de), Les Imaginaires de la ville, Entre littérature

et arts, Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2007.

[153]

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La ville s‟est différenciée historiquement de la campagne en s‟affranchissant de son espace restreint et de son mode de vie pour devenir Ville, à partir du XVIIIe siècle, où la bourgeoisie naissante commençait à avoir besoin de nouveaux espaces pour faire étaler sa richesse et sa grandeur. La ville issue de la campagne, a pourtant été en perpétuelle opposition avec celle-ci, pour s‟approprier plus d‟espaces et d‟hommes et qui a commencé « avec le passage de la barbarie à la civilisation, du régime des tribus

à l’état de la localité.»[154]

Cependant, attribuer la naissance de la ville à son opposée la campagne, ne rend pas justice à la création des grandes villes dans l‟histoire humaine depuis son existence : Athènes, Rome, Jérusalem ont résisté à l‟usure du temps pour rester à jamais dans la mémoire universelle, c‟est que «la création de l’univers est reproduite dans

l’avènement de la cité des commencements. »[155]

D‟autre part, la fondation de la ville, s‟est toujours, accompagnée d‟une aura religieuse, depuis l‟Antiquité jusqu‟au XVIIIe

siècle. L‟architecture de la cité se trouve généralement agencée autour d‟un monument religieux comme le temple, par exemple, en Grèce, qui en devient le haut lieu, autour duquel s‟ordonnent les édifices publics. C‟est donc autour de cette cité basse, que la ville se fonde et qu‟elle crée son propre rayonnement :

« L’image de la ville est souvent fonction du prestige de ses sanctuaires religieux, temples antiques comme le Temple de Jérusalem, grandes mosquées ou cathédrales. Dans tout le monde antique méditerranéen, leurs thermes, leurs amphithéâtres et théâtres, leurs arcs de triomphe. Il fallait affirmer la puissance de Rome et son prestige en soignant, comme à Rome, l’esthétique, le décor.»[156]

L‟élément religieux ne va pas disparaître au Moyen Age, au contraire, tout s‟érige autour de la cathédrale, ou de la mosquée qui deviennent le centre de la ville, à partir duquel les activités sociales et urbaines sont organisées. De fait, l‟image donnée par la ville se manifeste comme : « l’expression d’une civilisation collective, où le rôle

de la religion est considérable, tant dans les villes musulmanes que chrétiennes.» [157]

[154] MENEGALDO Hélène et Gilles, p.p. 393- 394.

[155] DE DIEGO, Rosa, ibid, p22.

[156] BASTIE, J, DEZERT, B, La Ville, Masson, Paris, p.388.

[157]

C‟est à partir du XVIIIe

siècle, que la ville se penche véritablement sur elle-même et commence à esquisser le visage, que nous lui connaissons aujourd‟hui. C‟est dû en une grande partie à l‟essor de la classe bourgeoise, qui, dans sa volonté d‟approcher le peuple, construit ses quartiers, en se détachant du château seigneurial, détenteur du pouvoir politique, économique et social:

« Les villes ont été conçues dans l’urbanisme des XVIIIe et XIXe siècle avec des « espaces de socialité » où la classe dirigeante bourgeoise pouvait côtoyer le peuple et cela explique l’importance donnée aux boulevards, cours, esplanades et aux artères convergeant vers le centre monumental. Le centre n’est plus le château du prince, la place de la cathédrale, mais la place de l’Hôtel de ville, de la bourse, de la Maison des corporations ou des marchands. » [158]

Mais, c‟est surtout au XIXe

siècle, que la ville assume activement une nouvelle façon de civilisation, et même plus, elle en « devient le noyau de l’innovation, le

moteur de la croissance, le symbole de la modernité. » [159]

Les nouvelles préoccupations de la bourgeoisie naissante, surtout économiques,

exigent donc un espace plus grand et surtout plus proche de la classe populaire, assumant les tâches administratives et ouvrières. Ce qui va donner la constitution de deux villes : la ville tertiaire et la ville industrielle. La première est reconnaissable par

« ses immeubles administratifs ou ses bureaux, sa bourse et sa chambre de commerce, les sièges des grandes banques. »[160] La seconde se prête beaucoup plus à « une image

sinistre de cheminées d’usines, de longs murs noircis, de cités ouvrières, de taudis et d’atmosphère polluée.»[161] C‟est de cette dernière, la ville industrielle, qu‟il est particulièrement question dans le roman policier « avec son cortège de miséreux, de

déracinés, prêts à devenir des hommes de main. » [162] Car comme le souligne Francis Lacassin :

« L’industrie a détruit l’équilibre de la civilisation où chacun conservait la place que Dieu lui avait donnée. Elle a attiré à elle et concentré des déshérités qui, dispersés dans les campagnes, s’accommodaient d’une vie frugale. En multipliant sous leurs yeux les

[158] BASTIE, J, DEZERT, B, op.cit., p.390.

[159] Ibid.

[160] Ibid.

[161] Ibid.

[162]

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richesses, elle leur a donné l’envie de les posséder et la certitude qu’ils ne parviendront jamais. » [163]

Foyer de violence, de désordre et d‟hostilité, la ville industrielle se trouve donc être un terrain de prédilection pour le crime, car plus, la ville développe son commerce et son industrie, plus elle se prête à l‟insécurité, et par conséquent à la criminalité :

« La ville industrielle, gigantesque, anonyme, frénétique, qui fait se côtoyer richesse et pauvreté, nouveauté et permanences, futur et passé, et qui semble croître sans qu’à aucun moment une volonté humaine unique et clairement consciente de ses buts ne puisse diriger et ordonner ce développement. Voilà qui demeure encore un objet de

stupéfaction et d’effroi pour un certain nombre de nos

contemporains.»[164]

De fait, l‟apparition de la ville a exigé l‟instauration d‟un certain ordre social, qui ne peut se faire sans l‟installation d‟une certaine sûreté et d‟une organisation à son centre. « Chasser la « tourbe immonde » des taudis où s’épanouissent la débauche et le

crime, raser les bouges, éradiquer les cloaques et surtout- canaliser la plèbe, la contrôler en organisant l’espace, où elle vit et circule » [165]

devient donc un souci majeur des dirigeants politiques qui veulent valoriser l‟image de leurs villes, et en même temps réprimer les lieux de tension, susceptibles de soulever des indignations sociales, relatives à leurs conditions de vie misérables, d‟où vient la nécessité de la création du corps de police et des institutions de Sûreté pour bien mener ces projets sociaux et politiques.