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L’émergence du roman policier français : de Gaboriau à Izzo

II.1. L’émergence du roman policier français : de Gaboriau à Izzo

II.1.4. Le nouveau souffle du roman policier : Polar et Néo-Polar

En France, la fin des années 60 marquée par les événements socio- politiques et

culturels de mai 68[241], voit émerger tout un nouveau courant du roman policier, suite à l‟esprit révolutionnaire né de cette crise et qui va revêtir l‟appellation de polar, dérivée, selon la critique, de deux termes : policier et polaire. Au début, polar désignait un film policier, puis cette appellation s‟est étalée aussi au roman policier pour désigner finalement tous les avatars du roman policier.

Le terme polar a été créé pour assumer les mutations et les transformations dont la littérature policière est l‟objet, soit sur le plan de contenu soit sur celui de la forme. Se faisant, le polar : « (…) radicalise ses contenus politiques et sociaux et

cherche à innover sur le plan des formes esthétiques en renouant avec les avant- gardes du début au siècle symbolisée par l’œuvre de James Joyce.»[242]

Le polar met en scène des individus sans cesse en conflit avec leur société et révoltés contre ses institutions politiques, ce qui fait que : « Centré autour de

personnages ayant une fonction de boucs- émissaire et de victimes de la société et de sa mécanique policière, le polar met souvent en scène le meurtre rituel de l’individu par la collectivité. En cela, il est une sorte de roman tragique de la victime. »[243]

De surcroit, le roman policier des années 70 met en scène des personnages ordinaires, qui évoluent au sein de leur société et vivant dans ses problèmes quotidiens, ainsi avec le polar :

« Le roman policier se débarrasse des personnages un peu trop manichéens, des surhommes tout en noir ou en blanc pour retrouver, des héros qui sont tous des hommes avec leurs rares moments de courage et leurs nombreux moment de lassitude, pris qu’ils sont dans

[241] Les évènements de mai 1968 est un mouvement de contestation politique, sociale, et culturelle qui se développe en France en mai-juin 1968, qui commence par la révolte des étudiants contre l‟institution universitaire, devenant vite une crise nationale.

[242] EVRARD, Franck, op.cit., p.67.

[243]

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les filets de la hiérarchie, des règlements, des lois, des pressions, des interventions qui devient la logique froide de l’enquêteur.»[244]

Cette orientation socio- politique s‟est vue accroître avec ce qu‟on appellera plus tard le néo- polar. Ce terme inventé par Jean Patrick Manchette désigne toute une production policière où se mêlent l‟engagement politique et la peinture de la société. Le néo-polar refuse les inégalités sociales ainsi que la marginalisation et le racisme : « il y évoque l’expansion des classes moyennes, (……) le roman noir renoue ici avec sa fonction de roman social et critique de la vie quotidienne.»[245]

Le néo-polar se veut donc un reflet de la réalité politique et sociale dénoncée dans une écriture révoltée et très noire, il en devient un roman militant. C‟est justement ce que ces auteurs cherchent à prouver dans leur production. C‟est le cas par exemple de Jean- Patrick Manchette. La dimension socio- politique est nettement apparente dans son œuvre. Son roman L’Affaire N’Gustro (1971), inspiré d‟un fait historique et politique est considéré comme le texte fondateur du néo-polar. Ses autres romans comme O’dingos ô châteaux! (1972), Nada (1972) et La position d’un tireur

couché (1981) mettent en scène un univers peuplé par des personnages violents,

détraqués et déséquilibrés idéologiquement, c‟est que le projet de Manchette :

« n’est pas de fournir, outre une histoire policière, une documentation sur les modes d’existence d’une communauté humaine spécifique. Il cherche avant tout à pratiquer une écriture en prise directe sur les dérives idéologiques et comportementales d’individus foncièrement aliénés. »[246]

Par ses fictions, Manchette a su donner un nouveau souffle au roman policier français et a pu tracer le chemin pour l‟éclosion de néo-polar et de là, marquer sa différence vis-à-vis des types traditionnels du récit policier.

Cette nouvelle écriture policière n‟a pas tardé à séduire d‟autres romanciers qui voulurent s‟essayer au néo-polar, tels que Dédier Daeninckx et Robin Cook. Le premier se distingue par des récits policiers qui tournent autour des événements historiques comme la seconde guerre mondiale dans Meurtres pour mémoire (1984) et la guerre d‟Algérie dans Le bourreau et son double (1986). Car pour Daeninckx, l‟enquête n‟est qu‟un moyen pour dévoiler « le terreau historique, socio-économique et idéologique

[244] FONDANECHE, Daniel, Le roman policier, Ellipses, Paris, 2000. p.87.

[245] MESPLEDE, Claude, SCHLERET, Jean- Jacques cités par FONDANECHE, Daniel, op.cit., p.89.

[246]

dans lequel, plongent les racines profondes d’un crime. »[247]

La misère, la corruption et l‟injustice sont alors les principaux protagonistes du crime.

De son côté, Robin Cook a grandement contribué au renouvellement du roman policier français, le Dostoïevski du polar (comme il a été surnommé par la critique) essaye de rendre compte de la misère et le désespoir des personnages vivant dans une société ligotée par les dérives des hommes corrompus par le pouvoir. Ces romans sont traversés par cet univers noir et atroce, notamment Crème anglaise (1962) et On ne

meurt que deux fois (1983).

Faisant fi de la célèbre déclaration de l‟auteur français Alain Demouzon à la fin des années 80, selon laquelle « le polar est mort », le roman policier ne fait plus aujourd‟hui que s‟imposer de plus en plus sur le devant de la scène para- littéraire, allant même jusqu‟ à troubler celle de la littérature classique dite blanche. Les paroles de Jorge Louis Borges en témoignent : « tous les grands romans du siècle sont des

romans policiers. » [248]

Le nouveau roman est la preuve fulgurante de l‟influence du genre policier sur les auteurs de cette école littéraire. En fait, ces écrivains produisent des romans où les techniques de la littérature policière sont massivement insérées, comme par exemple dans les œuvres d‟Alain Robbe-Grillet, Les Gommes, L’Emploi du temps de Michel Butor et Les liens dits de Jean Ricard, sans qu‟ils soient pour autant des récits policiers. Sans oublier aussi le roman du sémioticien Umberto Eco, Le Nom de la rose dont le succès, vint renforcer ce recours aux procédés policiers par les auteurs de la littérature générale.

Il est à noter aussi que l‟essor du néo-polar est dû en grande partie à la multiplication des maisons d‟édition qui se sont hâtées de créer des nouvelles collections, pour répondre au goût d‟un public de plus en plus large. Ainsi vont naître

Engrenage, Sanguine, Néo, Le miroir obscur et bien d‟autres collections.

Ces maisons d‟édition sont secondées par la création de plusieurs prix attribués aux romanciers de talent comme Le Grand prix du suspense français en 1980. Les

trophées 813 en 1981, Le Grand prix du roman noir Télérama en 1982. De surcroit,

plusieurs festivals sont consacrés au genre dont le premier Festival du roman et du Film

[247] Ibid., p.111.

[248]

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policier est créé à Reims en mai 1979, sans oublier le festival du polar méditerranéen qui se déroule chaque premier week-end d‟octobre à Villeneuve-lès-Avignon, secondé par la création du festival du polar corse et méditerranéen en 2007 à Ajaccio, en plus des colloques et des émissions radiophoniques ou télévisées qui se consacrent entièrement au roman policier, et participent désormais à consacrer sa fortune auprès d‟un public de plus en plus intéressé par cette forme générique.