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Les recherches de la période moderne

C. Le Permien 1 Le volcanisme

III. L a P rovence du cycLe aLPIn A Stratigraphie et paléogéographie

1. Trias : l’ouverture du Bassin du Sud-Est

Après la parution, en 1869, du mémoire de Louis Dieulafait, plus aucune monographie ne fut consacrée au Trias provençal. Les subdivisions stratigraphiques établies par ce précurseur furent utilisées, sans grande modification, par les auteurs chargés du levé des cartes à 1/50 000 (Émile Haug et ses collaborateurs dans la région toulonnaise, et Guy Mennessier dans celle de Draguignan). En 1960, eut lieu le colloque sur le Trias et, en 1962, fut publiée la thèse de Jean Ricour sur le Trias français.

Au milieu des années 1960, au moment où débuta la révision de la feuille de Toulon à 1/50 000, apparut la nécessité d’une étude particulièrement approfondie du Trias,

Les recherches de la période moderne 129 dont l’intérêt dans le déchiffrement de la tectonique des collines toulonnaises était considéré comme primordial.

Claude Gouvernet confia cette étude à Jean-Paul Caron, alors assistant au laboratoire de géologie appliquée de la faculté des sciences de Marseille. Ce dernier fit porter son effort sur le Muschelkalk calcaire de la région toulonnaise, dans le but de mettre en évidence des niveaux repères et des critères de polarité, en vue d’une utilisation cartographique. Grâce à des coupes extrêmement détaillées et à une étude des microfaciès, Caron va individualiser (1967) dans le Muschelkalk supérieur quatre formations lithostratigraphiques susceptibles d’être suivies à l’échelle régionale, et autorisant des corrélations avec le Muschelkalk lorrain. Cette stratigraphie nouvelle fut utilisée par Caron dans la révision cartographique et structurale d’une partie des affleurements triasiques de la feuille de Toulon à 1/50 000 (2e édition publiée en 1969), qui révéla une grande complexité de structure, malheureusement non illustrée par des coupes.

Caron poursuivit ses levés à grande échelle du Trias sur les feuilles de Cuers et de Brignoles. Dans toute la partie méridionale de l’arc triasique de Barjols, il identifia (1970) et cartographia des niveaux volcano-détritiques (dont l’existence avait été mentionnée auparavant, comme nous l'avons vu, par différents auteurs) qu’il interpréta systématiquement comme intercalés dans les calcaires du Muschelkalk moyen et supérieur et plissés en concordance avec ces derniers. Le même raisonnement le conduisit à rattacher aussi au Trias moyen le massif de néphélinite (ankaratrite) de la butte du Poulagnier, dit « volcan de Rougiers » (cf. p. 82), que Simone Gueirard (1954) et Cécile Cornet (1965a) avaient attribué au Tertiaire.

Ce travail fut suivi, en 1974, par une étude géochronologique de la néphélinite de Rougiers effectuée par Jean-Claude Baubron (BRGM, Orléans) qui conclut à un âge de 197 Ma (correspondant au Muschelkalk, selon Baubron) de la roche volcanique, avec une marge d’erreur de 3 à 5 %. Niveaux volcano-détritiques et épanchement de lave trouvaient ainsi une cohérence stratigraphique. Il faut toutefois noter qu’en référence à l’échelle géochronologique actuelle, le « volcan de Rougiers » se placerait non au Muschelkalk comme Baubron l’a estimé, mais à la limite Trias/ Jurassique. D’autre part, Baubron n’a pas rappelé la présence, à proximité de l’affleurement de néphélinite, de grès et de pélites rouges (pourtant mentionnés par Cécile Cornet en 1965).

Comme Joseph Répelin (1899) et Simone Gueirard (1954) l’avaient noté, ces grès et pélites ne sont pas intercalés dans le Muschelkalk, mais surmontent la néphélinite. Cécile Cornet les attribua au Permien, mais leur faciès et la position qu’ils occupent (sous-jacente au Muschelkalk), conduit aussi bien à rapprocher ces terrains du « Grès bigarré », ce qui conférerait alors un âge stratigraphique anté-Trias inférieur à l’épanchement de lave et remettrait donc en question la datation géochronologique de la néphélinite de Rougiers. Depuis la publication de ces travaux, aucune nouvelle étude n’a été consacrée à ce problème stratigraphique. L’âge précis du volcanisme de l’arc triasique de Barjols reste ainsi encore d’actualité27.

27 La révision du Trias du massif de la Salette, près de Marseille, a conduit à la découverte

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La nomination de Jean-Paul Caron comme professeur à la faculté des sciences de Lubumbashi (République démocratique du Congo) interrompit pendant quelques années les recherches sur le Trias de Basse-Provence. Elles ne reprirent qu’à la fin des années 1980 avec la thèse (soutenue en 1991) de Christian Brocard (université d’Aix-Marseille 1), qui effectua, sous la direction de Jean Philip, une révision du Trias moyen de la Basse-Provence orientale dans le cadre de l’établissement de la 2e édition de la feuille Fréjus-Cannes à 1/50 000.

En 1989, Christian Brocard et Jean Philip montrèrent que les subdivisions stratigraphiques du Muschelkalk toulonnais se retrouvent dans la Basse-Provence orientale et qu’elles peuvent donc servir de fil directeur à une révision de la structure des arcs triasiques varois (révision qui, toutefois, n’a pas été entreprise depuis lors). Grâce à des analyses micropaléontologiques, Brocard put établir des corrélations avec les étages alpins du Trias, et mit en équivalence d’âge les calcaires du Muschelkalk de Provence avec l’intervalle Anisien supérieur-Carnien inférieur de la chronologie alpine. Brocard s’attacha à une reconstitution de la dynamique de la sédimentation carbonatée sur la bordure provençale des Maures : les dépôts s’organisent suivant un modèle de rampe carbonatée relativement confinée et peu profonde, en arrière de seuils la séparant de la mer alpine. Les facteurs hydrodynamiques : courants de marées, houles et tempêtes sont responsables du caractère particulier des faciès du Muschelkalk provençal.

La paléogéographie du Trias provençal bénéficia des forages pétroliers effectués dans le Bassin du Sud-Est28. Frédéric Baudrimont et Paul Dubois (ingénieurs géologues à la SNEAP, Bousssens) les ont utilisés (1977) pour établir des cartes d’isopaques et d’environnements sédimentaires. Au Trias de bordure des massifs des Maures et de l’Estérel (plate-forme provençale), ils opposent celui du centre du bassin, caractérisé par une plus grande épaisseur des dépôts (jusqu’à dépasser le millier de mètres) et l’extension considérable des faciès évaporitiques (sel notamment). Les auteurs individualisent à l’Est « un important seuil séparant le bassin du Sud-Est du domaine alpin », qu’ils nomment « dorsale durancienne et dauphinoise » [apparentée au « seuil vindélicien » des anciens auteurs] (fig. 49).

Pour Baudrimont et Dubois, ce schéma structuro-sédimentaire qui se met en place au Trias reste identique pendant toute la sédimentation mésozoïque. Ils soulignent le rôle majeur des grands accidents NE-SW et Est-Ouest (accidents tardi-hercyniens) : « un état de contraintes nouveau est donc apparu au Trias. C’est à lui que l’on doit l’ouverture de ce qui deviendra le bassin du Sud-Est ».

L’activité volcanique en Basse-Provence semble donc s’être manifestée en plusieurs épisodes jusqu’à la fin du Trias.

28 Ce terme désigne le vaste bassin sédimentaire mésozoïque s’étendant entre le Massif Central

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Fig. 49. Cadr

e structural du bassin mésozoïque du Sud-Est (d’après

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Quelques années plus tard (1993), Nadège Toutin-Morin et ses collègues mirent en valeur les variations de puissance du Trias sur la plate-forme provençale, commandées par le rejeu distensif des accidents permiens, et notamment ceux de direction Nord-Sud. 2. Jurassique : individualisation de la plate-forme carbonatée provençale Après la dernière livraison (1935) de la thèse d’Antonin Lanquine sur le Jurassique provençal, aucun travail d’ensemble ne fut consacré à ce terrain. Seules des observations stratigraphiques ponctuelles furent publiées, ou consignées dans des monographies tectoniques.

De nouvelles recherches et une nouvelle synthèse paraissaient donc s’imposer. Elles prirent la forme d’un sujet de thèse qui fut confié à Claude Tempier, alors assistant au laboratoire de géologie appliquée de la faculté des sciences de Marseille et élève de Georges Corroy. Cartographe de talent (cf. ses levés en Sainte-Victoire), il participa aussi, en étroite association avec Gérard Guieu et Jean-Paul Caron, au renouveau des études structurales en Basse-Provence.

Sa collaboration avec Jean-Joseph Blanc*, alors professeur de sédimentologie et d’océanographie à la station marine d’Endoume, va s’avérer cependant décisive pour l’orientation de son sujet de thèse. Tous deux publièrent, en 1963, une description sédimentologique novatrice des séquences récifales portlandiennes de la région du Verdon qui servit ultérieurement de modèle à d’autres recherches sur le même thème. Sur la lancée de ce travail, Tempier privilégia l’étude des formations calcaires du Jurassique provençal, qu’il aborda sous l’angle de la pétrologie sédimentaire et des microfaciès, en vue de la reconstitution des milieux de dépôts. Il tint pour acquis le découpage stratigraphique établi par Lanquine. L’emprise géographique de sa thèse couvre un vaste territoire : Basse-Provence, Haute-Provence et arc subalpin de Castellane.

Dans ses reconstitutions paléogéographiques, Tempier attribua une importance particulière au « haut-fond du moyen Verdon » (fig. 50) séparant le bassin dauphinois du bassin provençal. Ce dernier est bordé par une terre émergée correspondant à la partie méridionale de l’actuel massif des Maures, fournissant du matériel terrigène (quartz hématitisés) à certaines époques (Bathonien). Au Tithonien, le haut-fond du moyen Verdon est le siège d’une grande barrière récifale à madréporaires s’étendant de la région aixoise à la frontière italienne, barrière à l’arrière de laquelle, plus au Sud, se déposent les calcaires fins et les dolomies de la plate-forme provençale. Tempier soutint sa thèse en 1972 et consacra par la suite ses activités de recherche à la seule géologie structurale, revenant ainsi à son thème de prédilection.

Frédéric Baudrimont et Paul Dubois complétèrent (1977) l’étude de Tempier en insistant sur le développement d’un bassin profond, de direction générale NE-SW entre la bordure ardéchoise et la plate-forme provençale, prenant son maximum d’extension au cours de l’épisode des « Terres noires » (Bajocien supérieur à Oxfordien inférieur). Les unités du Jurassique recoupées par les forages pétroliers peuvent atteindre dans ce bassin de très grandes épaisseurs : 1000 m de Lias au forage d’Istres, 2700 m de Dogger et de Malm au forage d’Angles (près d’Avignon).

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Fig. 50. Reconstitution paléogéographique de la Provence et distribution des faciès au Jurassique sur une coupe Sud-Nord (d’après Claude Tempier, 1972).

1979 : Michel Arnaud et Claude Monleau soutiennent leur thèse sur le Jurassique de la plate-forme carbonatée provençale. Tous deux sont assistants à l’université de Provence. Leur travail en commun a débuté en 1972, précisément au moment où s’est achevée la thèse de Claude Tempier. Arnaud assure la partie stratigraphique et paléontologique de la thèse, tandis que Monleau se penche sur les questions de sédimentologie et de pétrographie sédimentaire.

Contrairement à Tempier, qui avait travaillé d’une manière quelque peu isolée, Arnaud et Monleau participèrent aux travaux du dynamique Groupe français du Jurassique. Sous l’impulsion de celui-ci, ils jugèrent opportun de réviser la biostratigraphie des séries provençales pour l’adapter aux biozones d’ammonites établies dans d’autres régions. De nouvelles récoltes d’ammonites les conduisirent à de nombreuses rectifications stratigraphiques et à des corrélations plus précises que celles obtenues par leurs prédécesseurs.

La portée de leur démarche est cependant aujourd’hui limitée par l’impossibilité de vérifier la pertinence des subdivisions biostratigraphiques qu’ils ont proposées, en raison de l’absence d’une collection de référence et de la dispersion de leurs échantillons.

L’analyse détaillée des microfaciès et des associations fauniques conduisit Arnaud et Monleau à reconstituer les paléoenvironnements de la plate-forme carbonatée provençale, la paléoécologie et la dynamique des peuplements benthiques. En complément des schémas paléogéographiques de leurs prédécesseurs, Arnaud et Monleau, puis Monleau seul (1986), ont replacé la plate-forme provençale dans le cadre plus élargi de la Méditerranée occidentale et du domaine corso-sarde (fig. 51).

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Fig. 51. Reconstitution palinspastique de la Provence et de la Sardaigne au Jurassique inférieur (d’après Claude Monleau, 1986).

À partir de 1997, les recherches sur le Jurassique vont connaître un nouvel élan sous l’impulsion de Marc Floquet*, nommé à cette date professeur à l’université de Provence. Son intérêt s’est focalisé d’abord sur la plate-forme carbonatée fini- jurassique-éocrétacée de Basse-Provence, qui constitue l’un des thèmes de la thèse d’Hélène Dalmasso (soutenue en 2001), dont il a assuré la co-direction. Cette plate- forme carbonatée s’avère formée d’un empilement de séquences élémentaires de dépôt, d’épaisseur métrique, montrant fréquemment des critères d’émersion.

L’étude des calcaires bioclastiques du Lias et du Dogger (Sinémurien supérieur à Bajocien inférieur) de Basse-Provence a fait l’objet de la thèse de Philippe Léonide (2007), sous la direction de Marc Floquet. Léonide a effectué une étude intégrée de la série carbonatée : sédimentologique, biostratigraphique, diagénétique et géochimique et a montré qu’elle s’agence en quatre séquences de dépôts, enregistrant une évolution complexe et ponctuée par des discontinuités sédimentaires majeures.

Philippe Léonide, Marc Floquet et Loïc Villier ont montré (2007) l’interaction entre la tectonique, l’eustatisme, le climat et la production carbonatée dans l’évolution en contexte extensif de la plate-forme carbonatée provençale au Jurassique inférieur et moyen (fig. 52).

Les « crises » de la production carbonatée sont sous la dépendance de facteurs tectoniques locaux (blocs basculés) ou plus globaux, tels des événements anoxiques

Les recherches de la période moderne 135 à l’échelle de la Téthys (événement anoxique Toarcien : T-OAE), ou un effondrement généralisé de la plate-forme provençale à la fin du Bajocien, dû à l’océanisation du domaine liguro-piémontais.

Fig. 52. Paléogéographie du bassin du Sud-Est au Toarcien moyen (d’après Philippe Léonide, 2007). La sédimentation carbonatée est favorisée par des conditions océanographiques qui assurent l’oxygénation du fond et des conditions climatiques chaudes et sèches qui inhibent les apports terrigènes.