• Aucun résultat trouvé

L es travauX de tectonIque en P rovence caLcaIre A La Basse-Provence calcaire occidentale

La période autochtoniste et la négation des nappes

I. L es travauX de tectonIque en P rovence caLcaIre A La Basse-Provence calcaire occidentale

Intervint d’abord Georges Denizot, disciple (écrivait-il) de Haug, mais paradoxalement opposé aux théories nappistes. Denizot se montra plutôt inspiré par les concepts de Fournier, bien que se disant opposé à la théorie des plis sinueux.

En prélude à sa monographie sur les massifs de Marseilleveyre et de Puget (1934), il exprima sa conception autochtoniste des structures provençales. Selon lui, le rôle diapirique du Trias a été mésestimé par Marcel Bertrand. Pour Denizot, le Trias qui jalonne la faille de l’Amandier à l’Ouest du massif d’Allauch ne serait pas une semelle de nappe, suivant la conception de Marcel Bertrand, mais une montée diapirique

21 On lui doit cependant une révision (1951) des faunes lagunaires et continentales du Crétacé

La période autochtoniste et la négation des nappes de charriage en Provence 87 entre les deux lèvres de la faille. Denizot reprit aussi à son compte l’hypothèse (déjà défendue par Eugène Fournier, mais rejetée partiellement par Marcel Bertrand), de l’existence d’obstacles (comme l’aire centrale du massif d’Allauch) sur lesquels déferleraient et viendraient s’écraser des plis couchés.

Au crédit de Denizot il faut cependant mettre la reconnaissance de plissements précurseurs des chevauchements (il cita comme exemples l’Étoile et la Sainte- Victoire), qu’il attribua à la phase laramienne. Lutaud développa avec succès (1935) cette hypothèse (quoique déjà formulée auparavant par Collot et par Répelin) pour expliquer la genèse des chevauchements provençaux. Et c’est également Denizot qui évoqua une déchirure de la couverture secondaire comme cause de la dénudation du Trias de l’Huveaune et de la Salette22.

Vers la fin de sa période provençale, Denizot se désolidarisa pro parte des théories autochtonistes en admettant, pour des raisons de cohérence paléogéographique de l’Aptien, le charriage de l’unité jurassique de Roqueforcade-Nans dans le massif de la Sainte-Baume, que Corroy interpréta (1939) comme autochtone. Cette « trahison » fut sans doute une des raisons de la brouille qui naquit entre les deux hommes avant la nomination de Denizot comme professeur à l’université de Montpellier.

Georges Corroy, nommé en 1932 à la chaire de géologie de Marseille (Denizot ayant été classé en deuxième ligne), en remplacement de Joseph Répelin, subit, dès son arrivée, l’influence de Denizot et va lui emboîter le pas.

Entre 1932 et 1960, Corroy et ses élèves vont réétudier et cartographier les principaux ensembles montagneux de la région provençale et proposer pour la plupart d’entre eux (à l’exception notable de la colline du Vieux-Beausset) leur enracinement. On assiste alors à une remise en question complète du concept de nappe de charriage en Provence établi par Marcel Bertrand, Georges Corroy devenant le champion d’une école structurale autochtoniste visant à assimiler la Provence à une chaîne « de revêtement » et à y minimiser, par opposition aux Alpes, les déplacements horizontaux.

Il bénéficia d’un appui considérable, celui de Charles Jacob, qui régnait alors, de la Sorbonne, sur les destinées de la géologie française. La correspondance entre les deux hommes (en dépôt aux Archives de l’Académie des Sciences) est éloquente à ce sujet. Charles Jacob favorisa la nomination de Corroy à Marseille. Il lui prodigua de nombreux conseils, dont celui de « conserver une indépendance absolue » au sujet des interprétations qui avaient été données de la géologie provençale (c’était manifestement une défiance à l’égard de Haug et de ses élèves : Lutaud et Lanquine). Empli de respect envers son mentor parisien et se confondant à maintes reprises en remerciements appuyés, Corroy écrivit à Jacob en 1932 : « je brûle de parcourir ce bled splendide, à la recherche de vos Pyrénées ». Et c’est effectivement à la poursuite de ce but qu’il orientera tous ses travaux de tectonique.

La démarche anti-nappiste de Corroy s’appuya principalement sur trois fondements : 1. D’abord des levés détaillés à l’échelle du 1/20 000, qui le conduisirent à

des rectifications stratigraphiques. Il s’agit par exemple (Corroy, 1935a)

L’Exploration géologique de la Provence 88

d’une sèche, autant qu’injuste, remise en question23 de certains contours de la première édition de la feuille Aubagne à 1/50 000 levée par Émile Haug et ses élèves. Mais les levés de Corroy (pourtant formé à la rigoureuse école de cartographie de Paul Fallot), à leur tour, ne se révéleront pas exempts d’erreurs stratigraphiques (notamment dans le massif de la Sainte-Baume) ou structurales (interprétation souvent erronée du pendage réel des contacts anormaux).

2. Ensuite, ce fut une minimisation ou une négation pure et simple des mouvements post-nappes, pourtant énoncés à maintes reprises par Marcel Bertrand. C’est ainsi que le plongement, sous l’Oligocène de la plaine d’Aubagne, de l’unité jurassique de Roqueforcade, dans le massif de la Sainte-Baume, est, selon l’école autochtoniste, un indice de l’enracinement de ce dernier.

3. Enfin, il fit jouer au Trias un rôle essentiellement diapirique, celui-ci pouvant percer sa couverture et en entraîner des « copeaux », ou donner des « plis anticlinaux faillés en champignon », les synclinaux formant souvent alors dans le détail des plis « en blague à tabac ».

Dès 1935(b), Georges Corroy, avec l’aide de ses élèves, prit le contre-pied des idées de Bertrand et de Haug et interpréta l’unité jurassique de Roqueforcade-Nans et celle d’Encauron dans le massif de la Sainte-Baume, comme enracinées.

En 1935 encore, G. Corroy et G. Denizot présentèrent dans un livret-guide d’excursions (qui fut publié en 1943) leurs conceptions sur la tectonique de la Basse-Provence occidentale et ils en précisèrent le style, emprunté aux synthèses d’Argand : les plis qui la constituent correspondent à des « plis de couverture sur une chaîne de fond », sans aucune nappe de charriage (fig. 29) ; le socle de la série sédimentaire provençale est constitué par le « pli de fond des Maures » ; quant à la couverture secondaire du socle, elle se montre « décollée légèrement » le long de la dépression permienne, à la base des calcaires du Muschelkalk, par une discordance mécanique entre ceux-ci et les horizons gréso-schisteux du Trias inférieur et du Permien. Selon Corroy, la théorie de l’« écoulement par gravité » rendrait bien compte des plis provençaux.

Va suivre l’enracinement des collines d’Auriol (Corroy & Gouvernet, 1937) puis, en 1939, la publication de la monographie de Corroy sur le massif de la Sainte-Baume, dans laquelle il réaffirma l’autochtonie de l’unité jurassique de Roqueforcade-Nans, ainsi que celle des collines d’Encauron, et fit de la haute chaîne le flanc inverse d’un grand pli couché. Toutefois, Corroy cartographia et interpréta avec précision le chevauchement de la série normale dans la région de Mazaugues et les klippes jurassiques sur le Sénonien du synclinal du Plan d’Aups, à l’Est de la haute chaîne. Il donna par ses coupes (bien mieux que Haug et Répelin), une idée réaliste du style souple de la déformation des couches, dont Gérard Guieu s’inspirera.

23 Tardivement fustigée par Léon Lutaud en 1958 dans la notice biographique qu’il consacra à

La période autochtoniste et la négation des nappes de charriage en Provence 89

Fig. 29. Esquisse structurale

de la Pr ovence occidentale par Geor ges Corr oy et Geor

ges Denizot (1943). Remar

quer les plis de couvertur

e moulant étr oitement les déformations du socle paléozoïque et l’absence de toute figuration de chevauchement (hormis celui du Vieux-Beausset) tant dans le socle (Sicié) que dans la couvertur

e (Sainte-Baume, Saint-Jean, Sainte-V

ictoir

L’Exploration géologique de la Provence 90

Corroy confia à Claude Gouvernet* (1908-1975) le soin de reprendre l’étude des chaînons nord-toulonnais dans une optique autochtoniste. Rude tâche que celle qui fut confiée à ce dernier, compte tenu des travaux prestigieux de Marcel Bertrand sur cette région, ainsi que des levés détaillés d’Émile Haug et de ses élèves pour l’établissement de la première édition des cartes à 1/50 000 de Toulon et La Ciotat. Gouvernet minimisa dans sa thèse (1963a) l’importance des chevauchements des chaînons nord-toulonnais (à l’exception cependant du lambeau de recouvrement du Vieux-Beausset).

Durant les années sombres de l’occupation de la France par les armées allemandes, les recherches sur le terrain devinrent difficiles, sinon impossibles.

En tant que directeur du Service de la Carte géologique, Jean Goguel eut toutefois des facilités de déplacement qu’il utilisa pour étudier divers sujets dans les Alpes et la Provence. Il s’appliqua ainsi (1943) à une synthèse tectonique de la Basse-Provence calcaire occidentale, toutefois assez théorique et ne s’appuyant que sur des contours cartographiques levés par d’autres auteurs, notamment Corroy.

Goguel était partisan du rôle majeur de la gravité dans la formation des plis et chevauchements provençaux. Il expliqua de cette façon la mise en place du lambeau de recouvrement du Vieux-Beausset et minimisa l’ampleur du chevauchement nord- toulonnais. Pour lui, les étirements de certains niveaux de la couverture, ou la mise au jour des arcs triasiques résultent, comme le pensait Denizot, de déchirures par extension de la série jurassique. Ces déchirures peuvent s’accompagner de failles de décrochement le long desquelles des panneaux entiers de la couverture ont pu subir une translation.

Cette idée originale fut appliquée au massif de la Sainte-Baume, Goguel enracinant, comme Corroy, l’unité de Roqueforcade-Nans, mais expliquant sa mise en place par le jeu d’un grand décrochement dextre, sensiblement SW-NE, mais que les études ultérieures n’ont pas confirmé.

C’est en 1944 que Goguel publia une monographie sur le massif des Alpilles, en s’appuyant sur des travaux stratigraphiques menés par Pierre de Brun (1874- 1941) conservateur du musée archéologique de Saint-Rémy, et Casimir Chatelet, conservateur du Musée Requien d’Avignon. Ces derniers avaient mis en évidence (1923) le Bartonien sur le revers septentrional du massif, ce qui situe, dans les Alpilles, le terme le plus récent de la série fluvio-lacustre éocène de toute la Basse- Provence.

Pour Goguel, c’est entre le Bartonien et le Burdigalien (discordant) que se place la principale phase tectonique qui a conduit au plissement des Alpilles et, « malgré les plissotements de l’Oligocène de Montmajour on peut, par analogie avec les autres parties de la Basse-Provence, dater ces mouvements de l’Eocène supérieur ». Goguel décrivit aussi le fossé de Cavaillon-Lamanon (fig. 30) et suggéra l’idée que « le défaut de correspondance entre les plis situés de part et d’autre montre que ce fossé devait être ébauché dès l’Eocène supérieur ». Goguel effectua aussi une étude originale de la tectonique alpine du massif des Alpilles, montrant les déformations de la surface d’érosion anté-Miocène (qui se traduit, selon lui, par « un simple bombement très large ») mais passant sous silence le caractère chevauchant de la faille des Baux,

La période autochtoniste et la négation des nappes de charriage en Provence 91 dont il conclut au faible rejeu posthume. Selon Goguel, on assiste dans les Alpilles « à l’atténuation progressive des derniers mouvements alpins ».

Fig. 30. Les failles de Salon et de Cavaillon et le couloir tectonique de Lamanon entre Alpilles et Luberon par Jean Goguel (1944).

Le célèbre massif de la Sainte-Victoire ne resta pas à l’écart des travaux de tectonique et c’est Corroy qui en reprit l’étude, dont il publia les résultats en 1957. Adoptant dans l’ensemble la stratigraphie de Collot, auquel il rendit hommage, il en fit siennes aussi les conclusions structurales, interprétant le massif comme un « anticlinal jurassique, déjeté vers le Sud sur le bassin crétacé et tertiaire de l’Arc », à charnière complexe, rompu, ajouta-t-il avec raison, par des « décrochements qui désarticulent l’ensemble et jouent comme des touches de piano ».

Corroy et ses élèves soumirent à deux reprises sur le terrain leurs résultats aux feux de la critique d’éminents géologues. Ce fut d’abord, en 1950, lors de la Réunion du cinquantenaire des Œuvres de Marcel Bertrand, présidée par Maurice Lugeon (1870-1953), célèbre tectonicien de la chaîne alpine, émule de Marcel Bertrand,

L’Exploration géologique de la Provence 92

ensuite, en 1958, pour commémorer le Centenaire de la création de la chaire de géologie de l’université de Marseille.

À ces deux occasions, des contradicteurs de la conception autochtoniste défendue par Corroy se firent entendre : certains assez percutants, comme Edward B. Bailey (1881-1965), professeur de géologie à Glasgow, et surtout Maurice Lugeon en 1950, défendant les vues de Marcel Bertrand, d’autres plus diplomates comme Paul Fallot en 1958. C’est Lugeon qui, à l’occasion de l’excursion de 1950 dans le massif de la Sainte-Baume, formula le concept paléogéographique imagé de la Provence urgonienne chevauchant la Provence à bauxite.