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Le temps des fondateurs Le début, et surtout le milieu du dix-neuvième siècle, sont placés sous le signe d’une

B. Le travail précurseur de Scipion Gras

L’excursion de la Société géologique dans le bassin d’Apt prépara certainement les explorations géologiques qui furent faites par Scipion Gras* (1806-1873), ingénieur en chef des mines, dans le but de dresser la carte géologique du département du Vaucluse et d’effectuer une description géologique de ce département. Son travail fut publié en 1862. Le mémoire de Scipion Gras constitue une première synthèse de géographie physique et de géologie du Vaucluse. La description stratigraphique de ce département et de ses principales subdivisions géographiques y tient incontestablement la place la plus importante, précédant l’étude des fossiles (auxquels Scipion Gras prêta cependant une grande attention).

Scipion Gras fit débuter la série stratigraphique du Vaucluse avec les gypses et les cargneules du massif de Suzette mais, comme bien d’autres après lui, il se méprit sur leur âge en les attribuant au Jurassique (Oxfordien) et en liant leur origine à des émanations souterraines chargées d’acide sulfurique.

Après avoir décrit en détail l’Urgonien (qu’il désignait sous le nom de Néocomien supérieur) des monts de Vaucluse, Scipion Gras s’intéressa particulièrement aux « Marnes à Ancyloceras » (Bédoulien) qui représentent, selon lui, la base du Crétacé (au sens strict), en raison des affinités avec la faune aptienne de Gargas et dont il établit le caractère transgressif sur des termes variés du « Néocomien » sous-jacent. C’est à une origine éruptive et geysérienne qu’il attribua la coloration en teintes vives des sables du Bassin d’Apt (dont il fit par ailleurs une formation d’âge tertiaire). La formation des poudingues de Valensole ayant, dès 1830, été séparée par Élie de Beaumont de la molasse, elle figura ainsi en Pliocène sur la première Carte géologique de la France de Dufrénoy et Élie de Beaumont. Scipion Gras a été, semble-t-il, le premier à en esquisser les modalités de dépôt : « les courants qui amenèrent ces galets proviennent probablement des montagnes situées au Levant et au Midi » ; « la vallée de la Durance n’était pas encore ouverte ».

L’Exploration géologique de la Provence 50

Fig. 12. Structure du Luberon et des synclinaux d’Apt et de la Durance (d’après Scipion Gras, 1862). Le Luberon apparaît comme un anticlinal extrusif au sein des couches miocènes. Noter, près de Vaugines, le plongement de la molasse (M2) au contact du flanc sud du Luberon. N1-N2 : Crétacé inférieur ; G, O : Aptien-Albien ; S : Oligocène ; M1 à L : Miocène ; A : alluvions récentes. [La typographie a été modifiée pour une meilleure lisibilité].

Scipion Gras eut une approche très moderne de la chronologie et du mode de formation des dépôts quaternaires de la vallée de la Durance (qu’il comparait à celle du Rhône) et, de ce point de vue, il apparaît comme un précurseur. Il établit, en effet, l’étagement des dépôts quaternaires en distinguant ce qu’il nomma « diluvium des vallées, diluvium des plateaux et diluvium des terrasses ».

Cet étagement est dû, selon lui, « aux mouvements oscillatoires de l’écorce terrestre » et, au premier chef, aux oscillations du niveau marin qui, au cours du Quaternaire, vont régir le niveau d’équilibre d’un cours d’eau, l’extension et l’altitude des dépôts fluviatiles, ou au contraire leur érosion. Scipion Gras avança le rôle prééminent des glaciers alpins dans le contrôle de la sédimentation quaternaire, ainsi que l’existence de deux phases glaciaires, la première étant précoce et contemporaine, selon lui, de la surrection des Alpes. Après Scipion Gras, Charles Lory, Wilfrid Kilian, Émile Haug, consacrèrent des travaux au Quaternaire durancien, principalement à la partie alpine de la vallée.

Dans la région de Cucuron, Scipion Gras nota le renversement de la molasse, mais n’en tira aucune conclusion vis-à-vis du massif du Luberon, interprété comme un anticlinal extrusif au sein des couches miocènes des synclinaux d’Apt et de la Durance (fig. 12).

C. Les progrès décisifs dans l’étude des bassins tertiaires

D’autres stratigraphes et paléontologues ont leur nom attaché à l’exploration des terrains tertiaires de la Haute-Provence. Les terrains du Miocène attirèrent d’abord l’attention. En 1864, Eugène Dumortier (1801-1876), paléontologue amateur lyonnais communiqua à la Société géologique de France une liste des fossiles miocènes recueillis dans les marnes de Cabrières d’Aigues par Camille Moirenc, d’Apt, ce qui l’amena à établir des comparaisons avec le bassin de Vienne (Autriche) et la Touraine. Albert Gaudry (1827-1908), beau-frère d’Alcide d’Orbigny, était assistant au Muséum national d’histoire naturelle lorsqu’il mit en lumière (1873) l’intérêt des coupes de Cucuron, de Vaugines et surtout de Cabrières-d’Aigues, dans les limons rouges à Hipparion gracile (attribués alors au Miocène supérieur), pour l’étude des restes de mammifères, accompagnée de la description des mollusques par Paul Fischer (1835-1893), du Muséum national d’histoire naturelle de Paris, et Raoul Tournouër (1822-1882). Cette étude fut suivie, en 1878, par celle de François Fontannes* (1839-1886) qui contribua à la connaissance des terrains néogènes du flanc méridional du Luberon et de la rive droite de la basse Durance.

Le temps des fondateurs 51 L’Oligocène de la Haute-Provence fit aussi l’objet de travaux de qualité. Gaston de Saporta s’intéressa, dès 1862, à la série du bassin d’Apt et de Manosque-Forcalquier

et il en dressa des coupes détaillées ce qui l’amena, en particulier, à souligner la grande épaisseur (1500 m) de ce « système » dans la région de Manosque. Il présenta (1864b) une coupe du « terrain lacustre à gypse » des environs de Bonnieux (bassin d’Apt) suivie, en 1867, par la description de la flore des « lits à poissons de Bonnieux » et du bassin à lignites de Manosque. À cette occasion, il donna une description d’ensemble des terrains oligocènes et une remarquable reconstitution des milieux de végétation de cette époque.

François Fontannes, quant à lui, effectua, en 1885, une révision stratigraphique et paléontologique des terrains de l’Oligocène (connus alors sous le nom de « groupe d’Aix »), en privilégiant l’analyse détaillée des coupes-types. Dans le massif de Gigondas, il attribua l’ensemble des terrains à gypse au Tongrien, mais laissa à tort dans l’Éocène la Formation des cargneules triasiques de Suzette.

Il donna un âge « ligurien » (Éocène supérieur) au niveau de lignite à restes de vertébrés de la Débruge, dont Paul Gervais (1816-1879) avait effectué l’étude systématique des mammifères dans sa Zoologie et Paléontologie françaises (Animaux Vertébrés) (1848-1852). Fontannes précisa également la stratigraphie de l’Oligocène dans les bassins de Manosque et de Pertuis. Son travail fut suivi (1889) par celui de Wilfrid Kilian* (1862-1925) pour le bassin de Forcalquier.

Il convient de citer aussi la contribution d’Édouard Desor (1811-1882), zoologiste, géologue et préhistorien suisse, collaborateur de Louis Agassiz (1807-1873), à la stratigraphie des poudingues de Valensole qu’il compara (1869) à la « Nagelfluh » (molasse conglomératique) suisse et attribua à l’ensemble de la formation un âge miocène supérieur qui fut adopté, après lui, par Wilfrid Kilian. Ce dernier arriva (1889) à la conclusion que tous les poudingues sont miocènes et cette opinion fut, dès lors, généralement acceptée ; elle s’exprima sur la première édition des feuilles de Forcalquier, Digne et Castellane à 1/80 000.