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La période autochtoniste et la négation des nappes

C. La Haute-Provence

Une étude géologique menée par Maurice Gignoux (1881-1955) et Léon Moret (1890-1972) dans la région de Manosque, Volx, Forcalquier, pour le compte de l’Office national des Combustibles et publiée en 1929, amena les deux professeurs grenoblois à effectuer un certain nombre d’observations nouvelles sur la stratigraphie et la structure du bassin tertiaire.

Selon eux, la transgression de l’Oligocène inférieur conglomératique sur l’Urgonien de l’anticlinal de Volx « rend tangible l’intensité des mouvements pyrénéo-provençaux dans cette région ». L’anticlinal de Volx et ses environs sont « d’une grande complexité » : écaillage du Cénomanien et de l’Éocène, « démontrant l’existence de plissements pyrénéo-provençaux » et « failles de tassement ayant commencé à jouer après l’Oligocène ».

Mais, au Nord-Est de l’anticlinal, l’écaille d’Hauterivien distinguée par Gignoux et Moret et venant perforer sa couverture oligocène, se révélera être en fait une klippe sédimentaire intercalée dans les marnes de l’Oligocène supérieur, comme cela sera démontré ultérieurement (1973) par Patrick Gigot (voir p. 231).

Charles Combaluzier n’admettait pas l’existence de plissements syn- ou post- miocènes, expliquant dans sa thèse (1932) que les plongements ou les renversements des couches miocènes étaient dus à « l’effondrement de compartiments plus ou moins étendus, par flexures ou par failles, sur le bord des anciens plis de direction pyrénéenne ».

Combaluzier prêta une particulière attention à la topographie de la surface d’arasion sur laquelle s’est effectuée la transgression miocène dans ses différentes étapes. Il expliqua les transgressions majeures du Burdigalien et du Vindobonien dans le Luberon et les secteurs environnants comme dues à « deux affaissements du sol de nature épirogénique ». Des mouvements de même nature, mais positifs, auraient entraîné, selon lui, après le dépôt du Tortonien, « un mouvement de bascule qui fait plonger tout le pays du nord-est vers le sud-ouest ».

L’étude que mena Jean Goguel pour la révision de la feuille à 1/80 000 de Forcalquier le conduisit (1932) à s’opposer aux interprétations de Combaluzier sur le style de la tectonique miocène et lui fournit l’occasion de la publication d’une monographie sur le massif du Luberon. Sa contribution à la stratigraphie des terrains crétacés et tertiaires du massif est importante.

La région de Cucuron permet de « constater la simultanéité de l’érosion et du plissement ; celui-ci s’est fait progressivement pendant tout le Pontique » [Miocène terminal].

C’est à Goguel que revint la distinction des deux plateaux d’érosion qui affectent le Petit-Luberon ; pour lui, le « plateau inférieur est la surface sur laquelle s’est faite la transgression helvétienne », tandis que le plateau supérieur serait la « surface d’érosion continentale de la même époque ».

Les recherches ultérieures de Georges Clauzon montreront cependant qu’il s’agit de la même surface, décalée par les déformations qui se sont produites au Miocène supérieur (voir p. 181).

La période autochtoniste et la négation des nappes de charriage en Provence 95 La tectonique du massif du Luberon avait fait l’objet de quelques considérations très générales de Wilfrid Kilian qui avait, en particulier, mis en évidence l’existence de deux phases de plissement : l’une anté-miocène, l’autre post-pontique.

Goguel développa cette idée et rapporta à la phase pyrénéo-provençale : « un anticlinal qui suit toute la longueur du Luberon, mais beaucoup plus intense à l’Ouest qu’à l’Est », ainsi que le « pli couché de Mérindol » chevauchant l’Éocène du Petit Luberon et représentant « le prolongement de l’anticlinal des Alpilles ». Un accident de même âge relierait Apt au rocher de Volx.

Selon Goguel, ces paléostructures pyrénéo-provençales de direction Est-Ouest auraient commandé la différenciation des faciès de l’Oligocène dans le Bassin de Manosque et sur ses bordures (fig. 32). D’autre part, la tectonique miocène aurait complètement rajeuni le Grand-Luberon et créé « la chaîne qui porte le nom de Luberon de Manosque, au caractère si différent du Luberon proprement dit ».

Fig. 32. Reconstitution du Bassin de Manosque à l’Oligocène (d’après Jean Goguel, 1932). Les dépôts de l’Oligocène montrent une disposition transgressive sur les paléoreliefs hérités de la tectonique pyrénéo-provençale. Noter l’individualisation de la fosse de Manosque (comparer avec la figure 95). 1 : Ludien hypothétique ; 2 : Infra-Tongrien ; 3a : Marnes de la Mort d’Imbert ; 3b : gypses ; 4 : Tongrien supérieur ; 5a : Aquitanien inférieur, marnes ; 5b : Idem, calcaires ; 6 : Aquitanien moyen ; 7 : Aquitanien supérieur ; C : bancs de conglomérats ; L : lignite.

Dans le massif de Gigondas, Goguel montra (1938) le rôle des érosions anté-miocènes dans la forme si particulière des plis de ce secteur : « l’enlèvement de l’urgonien par l’érosion […] a placé la région de Gigondas dans la même situation vis à vis des plis miocènes que la fosse vocontienne où l’urgonien est remplacé par un faciès vaseux peu épais ».

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A. Le massif des Maures

La feuille Hyères à 1/50 000, levée par Henri Schoeller et Léon Lutaud, fut publiée en 1932, puis une importante découverte paléontologique fut faite en 1938 par Schoeller, celle de l’existence de graptolites dans les schistes cristallins du mont Fenouillet, près d’Hyères, conduisant à attribuer ainsi au Silurien supérieur la série

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la moins métamorphique du massif des Maures. Cette découverte faisait suite à celle de Juliette Pfender (1923), qui avait observé la présence de radiolaires dans les phtanites paléozoïques du cap Sicié.

La guerre terminée, Georges Corroy confia en 1947 un sujet de thèse sur l’étude des terrains cristallins du massif des Maures à son élève Simone Gueirard* (1921-2006). Presque dans le même temps (1948), Eugène Raguin (1900-2001) chargea Pierre Bordet* (1914-1996) de lever la carte à 1/50 000 de ce massif.

On peut s’étonner de cette initiative du directeur du Service de la Carte géologique. Il est vrai qu’Eugène Raguin était le gendre de Marcel Bertrand et qu’il n’appréciait vraisemblablement pas les travaux anti-nappistes de Corroy en Provence. Il estima peut-être aussi que l’école dont était issue Simone Gueirard ne l’avait pas préparée à une étude des terrains cristallophylliens du massif des Maures.

Quoi qu’il en soit, les recherches respectives de Simone Gueirard et de Pierre Bordet furent menées de manière indépendante et sans que les chercheurs concernés aient, semble-t-il, échangé des informations pendant la décennie au cours de laquelle se déroulèrent leurs travaux.

Bordet s’attela à cette tâche de cartographie alors que son travail sur l’Estérel n’était pas encore achevé. Simone Gueirard se forma à la pétrographie avec Élisabeth Jérémine (1879-1964) puis se plaça sous la direction de Jean Jung (1896-1977), professeur de géologie à la faculté des sciences de Paris, spécialiste des ensembles granitiques et métamorphiques dont elle épousa les idées sur la zonéographie des terrains cristallophylliens et les appliqua au massif des Maures.

Bordet fut le premier à publier (1956) une synthèse pétrographique et structurale des résultats de ses recherches, celles-ci concernant la partie centrale du massif des Maures.

Il souligna le fait que : « la série cristallophyllienne du massif des Maures est une série stratifiée de faible épaisseur, repliée isoclinalement sur elle même » et que « la série stratifiée repose sur du granite et des migmatites dont la formation est contemporaine de l’orogenèse ».

Il ne retint pas les interprétations tectoniques d’André Demay et ne vit dans les gneiss de Bormes « qu’un pli de fond de faible amplitude » ; de plus, « l’idée d’après laquelle la zone mylonitique de Grimaud serait la base d’une nappe de charriage, ne semble pas s’imposer ». Quant aux accidents transversaux Est-Ouest du massif, ils sont pour Bordet intimement associés à la structuration isoclinale ; l’orogenèse tertiaire ne les aurait fait que légèrement rejouer.

La thèse de Simone Gueirard fut soutenue en 1957, sans que soit citée la note de Pierre Bordet. La description pétrographique des différentes unités métamorphiques et des roches intrusives du massif tient une place prépondérante dans son travail. Elle fit une distinction importante entre les Maures orientales formées de migmatites et les Maures occidentales constituées d’ectinites. Les schistes cristallins du massif des Maures « ont subi deux métamorphismes séparés par un épisode de rétromorphose ». Son étude structurale rejoignit cependant les conclusions de Bordet du plissement isoclinal de la série cristallophyllienne et elle rejeta, comme lui, l’interprétation nappiste de Demay concernant la zone des gneiss de Bormes et

La période autochtoniste et la négation des nappes de charriage en Provence 97 l’accident de Grimaud. Simone Gueirard publia en annexe de sa thèse une carte à 1/100 000 du massif des Maures.

Pierre Bordet et Simone Gueirard se partagèrent les levers du massif des Maures sur les feuilles de Fréjus-Cannes (1966) et de Saint-Tropez (1967), mais c’est Bordet qui assura l’intégralité des levers sur les zones les plus complexes du massif : feuilles de Collobrières (1969) et de Hyères-Porquerolles (1976) réalisant ainsi, quelque trente années plus tard, le projet dont l’avait initialement chargé Eugène Raguin.