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Crétacé inférieur : l’établissement de la plate-forme urgonienne

Les recherches de la période moderne

C. Le Permien 1 Le volcanisme

III. L a P rovence du cycLe aLPIn A Stratigraphie et paléogéographie

3. Crétacé inférieur : l’établissement de la plate-forme urgonienne

Lorsque débutèrent les recherches de la période moderne, deux études stratigraphiques sur le Crétacé inférieur provençal faisaient autorité : celle de Jean Goguel sur le Luberon, les monts de Vaucluse et les Alpilles, et celle de Georges Denizot sur les massifs autour de Marseille.

D’abord dispersées, les recherches vont, dès lors, s’organiser à l’université d’Aix- Marseille autour de la thèse de Jean Gervais sur le Néocomien de Basse-Provence (mais qui ne sera pas menée à son terme) et de celle de Jean-Pierre Masse* sur l’Urgonien.

En Haute-Provence, les chercheurs de l’université de Lyon, de l’Institut de géologie Albert de Lapparent (Paris) et de l’École des mines de Paris effectuèrent des travaux ponctuels, mais significatifs, sur les monts de Vaucluse et la région du Verdon.

a. Limite Jurassique-Crétacé : l’âge des « Calcaires blancs » et des « Marnes vertes » de Provence

En Provence, le développement d’une série compréhensive de faciès carbonatés récifaux (« Calcaires blancs de Provence » auct. ; cf. p. 38) au passage Jurassique- Crétacé rendait difficile le tracé d’une limite entre les deux systèmes.

En Haute-Provence, Denise Mongin et Philippe Trouvé avaient apporté (1953) des arguments pour un âge valanginien inférieur de la partie supérieure des « Calcaires blancs » des gorges du Verdon. Mais ce furent les travaux des géologues de l’université de Lyon (Pierre Donze, 1957 ; Pierre Cotillon, 1971) sur l’Arc subalpin de Castellane qui établirent le premier cadre stratigraphique des « Calcaires blancs de Haute-Provence », montrant leur diachronisme et l’existence de niveaux berriasiens et valanginiens à leur partie supérieure.

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En Basse-Provence, le « Calcaire blanc inférieur » du massif de Marseilleveyre et de la Nerthe avait été attribué (1934) en totalité au Portlandien par Denizot, en dépit de la présence d’indices paléontologiques faisant soupçonner l’existence de couches crétacées à la partie supérieure de la Formation.

Une étude paléontologique (foraminifères, algues calcaires, nérinées et rudistes) réalisée par Pierre Marie et Denise Mongin sur le « Calcaire blanc inférieur » du Mont Rose, près de Marseille, montra cependant (1957) l’âge crétacé de la partie supérieure de cette Formation que ces auteurs rattachèrent à l’« Infravalanginien ». Gérard Guieu, dans sa thèse (1968) et dans ses levés sur la feuille Aubagne, 2e édition, adopta cependant le point de vue de Denizot29.

En 1971, grâce à une étude micropaléontologique détaillée, Jean-François Babinot et ses collègues de l’université de Provence établirent l’âge berriasien supérieur- valanginien basal de la Formation dite des « Marnes vertes infracrétacées » de la Basse-Provence, rattachées jusqu’alors au Valanginien inférieur.

Dans sa thèse, soutenue en 1997, Aurélien Virgone (université de Provence) confirma cette attribution stratigraphique, tout en individualisant quatre séquences lithologiques corrélées d’une manière précise aux zones et sous-zones d’ammonites et de calpionelles de la fosse vocontienne.

Des précisions stratigraphiques sur le Valanginien et l’Hauterivien de Basse-Provence ont été apportées par Jean-Pierre Masse et al. (1975) grâce à des comparaisons avec les séries de même âge des chaînes subalpines où les biozones d’ammonites sont bien définies. Ces travaux autorisent des corrélations entre la plate-forme provençale et le bassin vocontien.

Luc Bulot (CNRS, Marseille) et ses collègues ont illustré cette relation paléogéographique entre les deux domaines en montrant (1997) que, de la région de Marseille au Grand-Luberon, la série sédimentaire du Valanginien subit d’importantes variations latérales de faciès et de puissance qui traduisent le passage rapide de la plate- forme carbonatée sud-provençale au domaine hémipélagique vocontien. Le gradient d’approfondissement observé sur ce transect, et l’épaississement des séries, seraient imputables, d’après ces auteurs, au jeu synsédimentaire d’un accident d’orientation cévenole, la faille de Pélissanne (fig. 53).

Selon Jean-Pierre Masse (1995), les failles profondes de la Durance et de Rians contrôlent également l’existence d’une zone de haut-fond dans la région de Mirabeau (haut-fond carbonaté valanginien de Saint-Eucher).

Une tectonique synsédimentaire (phase néocimmérienne) affecte la bordure septentrionale (région du moyen Verdon) de la plate-forme carbonatée provençale et se traduit par une structuration de celle-ci en blocs basculés limités par des accidents qui furent, semble-t-il, réactivés durant les phases alpines (Masse et al., 2009).

29 Actuellement, le « Calcaire blanc inférieur », rebaptisé « Formation du Mont Rose » par

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Fig. 53. Illustration du rôle probable de l’accident de Pélissanne à valeur de paléofaille dans le passage de la plate-forme carbonatée valanginienne au domaine vocontien (d’après Luc Bulot et al., 1997).

b. Du Mont Ventoux à la région toulonnaise : la plate-forme urgonienne

Les progrès du début des années 1960 sur la pétrographie des calcaires et sur la sédimentologie des carbonates actuels, ainsi que sur la micropaléontologie des foraminifères benthiques et des algues calcaires du Crétacé inférieur ont été à la source d’un renouveau des recherches sur les calcaires urgoniens.

En Provence, les premières études sédimentologiques furent réalisées entre 1965 et 1969 par Jean-Joseph Blanc qui, seul, ou en association avec Gérard Guieu et Jean-Pierre Masse, dressa des coupes détaillées de l’Urgonien de Basse-Provence (massif du Puget et chaînon de la Fare) et de Haute-Provence (Plateau d’Albion et de Saint-Christol).

De leur côté, Robert Busnardo et Geneviève Foury (université de Lyon) effectuèrent (1966) des travaux sur la paléontologie (ammonites) et la micropaléontologie du Barrémien marno-calcaire de la montagne de Lure et en précisèrent la stratigraphie et la cartographie. Ils en déduisirent que la masse calcaire principale du sommet de Lure appartient en majeure partie à l’Hauterivien.

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Il convenait cependant d’effectuer une synthèse de la grande plate-forme urgonienne qui recouvre l’ensemble de la Basse et de la Haute-Provence, depuis la région toulonnaise au Sud jusqu’à celle du Mont-Ventoux au Nord. Ce projet fut confié à Jean-Pierre Masse (CNRS, Marseille), sous forme d’une thèse d’État, soutenue en 1976. Fort d’une connaissance des milieux récifaux actuels et déjà familier de l’Urgonien, Masse va adopter une démarche pluridisciplinaire.

Il réalisa en premier lieu une cartographie détaillée des ensembles urgoniens régionaux assurant ainsi le lever d’une grande partie des calcaires barrémo- bédouliens des cartes géologiques de Sault, Carpentras, Eyguières, Châteaurenard, Martigues à 1/50 000, et procédant aussi à des levés sur d’autres coupures de cartes où affleurent ces formations.

Une étude approfondie des microfaciès, en privilégiant la systématique des algues calcaires et des foraminifères benthiques, lui permit d’individualiser et de corréler les principales unités lithostratigraphiques de l’Urgonien. Autre groupe important : les rudistes, bien connus depuis les travaux de Victor Paquier et de Henri Douvillé, mais dont Masse fit cependant une révision taxonomique et biostratigraphique. Il étudia les autres groupes fossiles de l’Urgonien avec l’aide de divers spécialistes. Il résulte de l’ensemble de ces travaux de paléontologie un cadre biostratigraphique élargi qui facilite les corrélations des différentes unités de la série urgonienne à travers l’ensemble de la région provençale.

Jean-Pierre Masse utilisa les données paléontologiques et sédimentologiques pour reconstituer les paléoenvironnements de la plate-forme urgonienne et pour en décrire l’architecture depuis les zones externes situées au Nord, bordant la fosse vocontienne, jusqu’aux zones les plus internes, soumises à des émersions périodiques, bien développées en Basse-Provence.

La plate-forme carbonatée urgonienne se développe sur une zone stable, le haut- fond provençal, vaste dispositif paléogéographique peu profond où la sédimentation carbonatée est cependant interrompue à plusieurs reprises, ou troublée par des apports terrigènes diffus, principalement argileux sur les bordures de la plate-forme.

À partir du Valanginien inférieur, la plate-forme urgonienne s’est donc développée aux dépens des faciès vocontiens et a effectué un large mouvement de progradation d’une centaine de kilomètres jusque dans la région du Mont-Ventoux à l’Aptien inférieur où se localisent les faciès de bordure externe (fig. 54).

À partir de cette époque, se produit un changement paléogéographique et apparaît le « sillon sud-provençal », qui rompt l’unité du dispositif carbonaté préexistant, celui-ci persistant toutefois au Nord et au Sud. « La fin du Bédoulien est marquée par l’ennoyage général des formations calcaires superficielles sous des sédiments terrigènes plus profonds ».

Divers auteurs (J.-P. Masse, 1976 ; Philippe Monier et Serge Ferry, 1987) ont suggéré que la plate-forme urgonienne était limitée au Nord par une zone de flexure coïncidant sensiblement avec l’axe actuel Ventoux-Lure et assurant le passage aux séries de bassin de la fosse vocontienne. Le jeu précoce de la faille de Nîmes au Barrémien et à l’Aptien inférieur a été également évoqué, isolant la cuvette de Vaison-la-Romaine de la plate-forme provençale.

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Fig. 54. Évolution des calcaires urgoniens de Provence dans l’intervalle Valanginien-Bédoulien (d’après Jean-Pierre Masse, 1976). Noter la progradation vers le Nord des calcaires à rudistes (doubles traits horizontaux) et de leur cortège de calcaires bioclastiques à madréporaires (tirets). BS : Berriasien supérieur ; VI, VS : Valanginien inférieur et supérieur ; HI, HS : Hauterivien inférieur et supérieur ; B1 à B5 : Barrémien ; AI1 à AI4 : Aptien inférieur. L’extension vers le Sud de la plate-forme urgonienne a été envisagée par Jean-Pierre Masse et Jacques Allemann (1982), dans le cadre d’une comparaison entre la Provence et l’Ouest de la Sardaigne. L’existence de profondes similitudes stratigraphiques et paléobiogéographiques entre les deux domaines a conduit ces deux auteurs à proposer une connexion des plates-formes provençales et sardes du Valanginien au Barrémien. L’individualisation des deux domaines de plate-forme se serait produite à l’Aptien inférieur, consécutivement à l’ouverture du « sillon sud-provençal ».

Depuis 1980, la plate-forme urgonienne de Provence a fait l’objet de nombreuses excursions géologiques et d’écoles de terrain pour les géologues pétroliers. Des recherches ont été conduites à l’université de Provence sur les propriétés pétrophysiques des calcaires urgoniens en tant que modèles diagénétiques de certains réservoirs pétroliers du Moyen-Orient.

Sous la direction de Jean-Pierre Masse, des travaux sur les rudistes ont contribué à des précisions systématiques sur ce groupe et à déterminer leur rôle dans la production sédimentaire ainsi que dans l’architecture stratigraphique et la composition des calcaires urgoniens.

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4. La tectonique du Crétacé moyen et la surrection du bombement durancien