• Aucun résultat trouvé

Quai Carnot Faisceau de Vaugoin

Carte 8- Plan de La Rochelle où se construit la voie ferrée entre La Rochelle et La Pallice 405

2- Les travaux du 35 e génie américain

Les Américains ont également pour tâche de fournir du matériel roulant au corps expéditionnaire américain, notamment à La Rochelle, qui devient le centre de l’effort de construction de matériel roulant américain. La ville de Saint-Nazaire accueille également un atelier de montage géré par le 19e Régiment de génie américain, pour la construction de

locomotives. Les ateliers de La Rochelle sont réservés aux montages de wagons.

À la lecture des sources américaines, le choix de la cité maritime paraît étonnant. En effet, la ville souffre d’un manque de logements pour accueillir des soldats en quantité importante, d’une pression de l’eau insuffisante pour approvisionner un grand nombre d’hommes. Par ailleurs, ses capacités de stockage limitées et son terrain marécageux ne placent pas La Rochelle dans une position favorable. Cependant, la proximité avec le port de La Pallice joue un grand rôle. En effet, c’est là que le matériel est déchargé. Le but est de pouvoir enlever rapidement le matériel afin d’éviter la congestion du port. Par ailleurs, ce manque de logements devient tout de même un point positif permettant de multiplier les possibilités d’extension des ateliers de construction mais aussi du camp américain sans être freiné par les habitations. Les troupes américaines construisent leurs propres baraquements, le camp doit pouvoir accueillir 2 000 hommes. En raison des besoins de guerre américains et de la crise des transports qui touche la France, la nouvelle gare de La Rochelle devient donc un lieu de rencontre entre la ville et la guerre416.

416 GREGORY Adrian, « Railway Stations: Gateway and Terminus », WINTER Jay, ROBERT Jean-Louis (ed.),

Capital Cities at War. Paris, London, Berlin 1914-1919, Volume 2, Cambridge, Cambridge University Press,

Illustration 2- Baraquements en bois des ateliers du 35e génie américain417.

Le régiment qui gère les ateliers de construction est celui du 35e génie américain,

précédé, du mois d’octobre au mois de décembre 1917, par le 17e génie dont la mission est de

préparer l’arrivée du 35e génie. D’octobre 1917 à janvier 1918 ce sont 17 voies ferrées qui sont

construites par le 17e génie de l’armée américaine pour servir de voies de montage. Le rôle du

35e génie américain est d’assembler et de monter les pièces détachées des wagons importées

des usines américaines afin d’en faire des wagons complets prêts à rouler pour l’armée américaine en France418. Le premier bataillon du 35e génie composé de 26 officiers et de

690 hommes arrive le 4 janvier 1918. Son rôle est d’installer le régiment et de mettre en état le terrain affecté à la construction des ateliers. Les hommes arrivent en trois détachements, celui du 4 janvier, celui du 21 février composé de 34 officiers et de 814 hommes et enfin celui du 8 mars qui comprend 17 officiers et 463 hommes419. En deux mois, la nouvelle gare accueille

donc 1 967 hommes du 35e génie américain. En juin 1918, 76 officiers et 3 405 hommes

travaillent dans la nouvelle gare. En décembre 1918, 54 officiers et 2 948 hommes de troupe

417 AMLR, 47 FI 218.

418 AN, F/14/11340, Rapport du quartier général du 35e Génie américain au ministre des Travaux Publics, 15 février 1919.

419 NARA, 120 2736/2740, « Description de certaines installations (services à l’arrière) rédigée à l’attention du Maréchal Pétain et des officiers qui l’accompagnent ». L’ensemble des chiffres des troupes de cette sous-partie provienne de ce fonds.

travaillent au Pullman Camp, autre nom donné aux ateliers américains de la nouvelle gare. La

Base Section Engineer a ses locaux au numéro 15 de la rue Saint-Côme à La Rochelle. Ces

hommes ont été instruits au Camp Grant, dans l’Illinois où les constructeurs automobiles sont formés. Ils partent ensuite de New York comme de nombreux soldats Américains pour ensuite débarquer à Saint-Nazaire et rejoindre La Rochelle. La première voiture est assemblée le 4 mars 1918 ; les outils et le matériel sont prêtés par une compagnie américaine, la Standard Steel Car

Plant installée à Saintes et par les magasins des Chemins de fer de l’État français, instaurant

une vraie coopération interalliée dans la construction de ces wagons.

Toujours soucieux d’assurer un fort rendement, le génie américain travaille, comme dans le port de La Pallice, nuit et jour, le dimanche bien souvent car les objectifs à remplir sont de 100 wagons par jour, l’activité est donc « incessante420 ». Comme lors de la construction de

chemin de fer aux États-Unis, chaque homme a sa spécialité : ceux qui réparent, ceux qui fabriquent et ceux qui assemblent. Selon les ateliers américains, une organisation hiérarchisée se met en place421. De plus, face à l’augmentation du nombre d’hommes, le nombre de wagons

montés augmente chaque mois. Entre décembre 1917 et mars 1918, 30 voitures sont montées. En mars 1918, 224 wagons sont livrés et montés, avec une moyenne de 13 par jour. En juin 1918, 1 230 wagons sont assemblés et livrés avec une moyenne de 47 par jour. En septembre 1918, ils sont 2 370, avec une moyenne de 94 par jour et 2 060 en décembre 1918, la moyenne étant de 79, légèrement moins élevée du fait de la signature de l’armistice. Du 4 mars au 31 décembre, 15 281 wagons sont assemblés et envoyés au front, avec une moyenne de 59 par jour. Le record en une journée est effectué le 27 septembre 1918, il est de 150 en une journée, 700 pour la semaine entière. L’assemblage constitue la majeure partie de leur travail. En décembre 1918, sur 2 948 hommes présents, 1 300 s’occupent de l’assemblage.

Face à l’augmentation du rendement, les Américains cherchent un nouvel endroit où s’implanter. C’est Aytré qui est choisi puisque des travaux sont déjà entrepris par une entreprise américaine depuis le 1er juillet 1918, The Baltimore Car and Foundry Company, dont l’objectif

est de construire 30 véhicules par jour, tâche effectuée par des travailleurs civils. Le site de la compagnie est raccordé à la ligne de Niort. Lorsque l’armée américaine décide d’augmenter sa fourniture de matériel roulant, c’est l’armée américaine qui gère la construction à partir du 1er

420 AN, F/14/11340, Rapport du quartier général du 35e Génie américain au ministre des Travaux Publics, 15 février 1919.

421 WHITE Richard, Railroaded: The Transcontinental and the Making of Modern America, New York, WW Norton and Company, 2011.

octobre 1918. Les objectifs augmentent et passent alors à 150 wagons à fournir par jour. Par deux décisions ministérielles du 7 juillet 1918 et du 13 octobre 1918, l’armée américaine est autorisée à installer un atelier de montage de wagons, sur le champ de courses de Bongraine. Le 10 août 1918, le 35e génie œuvre pour poser des voies et construire des baraquements. Les

travaux sont cette fois-ci effectués par les Américains sous la direction du génie américain. Le site d’Aytré est vu comme une extension des ateliers de la nouvelle gare. Le 11 novembre 1918, 2 196 hommes s’emploient à construire du matériel roulant, les unités présentes sont celles de la compagnie F du 18th Engineers, la compagnie E du 312th Engineers qui représentent

446 hommes, la majorité des travailleurs sont issus des troupes combattantes. En effet, les batteries C et D du 336th Field Artillery sont au nombre de 1 520 et la batterie D du 49th Artillery

C.A.C se compose de 222 hommes422. Pour accueillir ces hommes, 45 baraquements en bois

sont construits. Le 20 janvier 1919, une décision ministérielle lève les réquisitions, suite à l’armistice les projets américains sont abandonnés423.

Illustration 3- Les ateliers de construction de matériel roulant

du 35e génie américain424.

422 NARA, 120 2736/2740, « Description de certaines installations (services à l’arrière) rédigée à l’attention du Maréchal Pétain et des officiers qui l’accompagnent ».

423 AD 17, 43 J 49, Décision ministérielle, 20 janvier 1919. 424 AMLR, non cotée.

À Aigrefeuille, un atelier de réparation du matériel roulant est installé. Pourtant le terrain ne semblait pas présenter de nombreux avantages, du moins aux yeux des ingénieurs français. Les terrains situés à l’ouest et à l’est d’Aigrefeuille sont considérés comme humides et cultivables notamment pour la culture de la betterave indispensable pour fabriquer de l’alcool destiné à la Défense nationale425.

Face au travail rapide des soldats américains, les ingénieurs locaux s’émerveillent devant les qualités des travailleurs américains. La technicité américaine est sans cesse vantée. Dans un rapport adressé au maire de La Rochelle en 1918, Monsieur Terrier, secrétaire auprès du 35e génie américain,indique que les Français doivent s’inspirer des techniques américaines,

puisque la méthode d’outre-Atlantique « relève d’une méthode de travail qui synthétise le sens pratique et l’esprit industriel d’une nation426 ». Il ajoute : « Que de leçons pratiques pour un

français, cette méthode ! S’en inspirer serait apprendre à se débarrasser de vieilles idées et de principes surannés en matière industrielle 427». Les Sammies apparaissent comme des gens qui

agissent vite, leurs méthodes de travail sont rapides et précises. Si le rapport Terrier est loin d’être objectif puisque très proche du génie américain, le député Paul Bluysen précise également que les Américains sont organisés et que cela doit « stimuler428» les Français. Les

Américains s’installent sur un terrain non aménagé en 1918. En effet, la nouvelle gare est en construction depuis 1909, lors du déclenchement du conflit et les travaux ont donc dû être stoppés net. L’organisation et l’exploitation de ce terrain de plusieurs kilomètres carrés se fait sur un sol « boueux et convulsé 429». Les Américains doivent donc aménager et assainir le

terrain pour effectuer leurs travaux dans de bonnes conditions. De plus, tout comme dans le port de La Pallice, les troupes américaines apportent leurs propres outils de construction. Le rapport Terrier remis au maire de La Rochelle indique que « le plus important de tous les bâtiments construits de toutes pièces et aménagés par le Régiment, c’est la « powerhouse » ou Centrale des machines. […] Elle donne deux forces : 1°) l’air comprimé qui actionne les outils pneumatiques et les chalumeaux à gasoline (sic) ; 2°) l’électricité, qui actionne les machines et éclaire le camp et ses dépendances430».

425 AD 17, 43 J 48, Rapport du chef de Génie, lieutenant-colonel Lévy, 24 octobre 1917.

426 AMLR, 12 W 11, « Ce que le 35e Génie Américain a fait à La Rochelle » de P. Terrier, secrétaire du 35e Génie Américain adressé au maire de La Rochelle, 1918.

427 Ibid.

428 Le Courrier de La Rochelle, 5 juillet 1917.

429 AN, F/14/11340, Rapport du quartier général du 35e Génie américain au ministre des Travaux Publics, 15 février 1919.

430 AMLR, 12 W 11, « Ce que le 35e génie américain a fait à La Rochelle » de P. Terrier, secrétaire du 35e Génie Américain adressé au maire de La Rochelle, 1918.

L’arrivée de ces nouveaux outils et l’aménagement du terrain de la nouvelle gare entraîne donc une modification de l’espace urbain dans la cité maritime, avec une appropriation des terrains de la nouvelle gare par les troupes américaines. Ces derniers ne sont pas seulement occupés à la construction de wagons puisque l’organisation d’un camp demande de construire des baraquements, d’y effectuer des travaux de maintenance. Le camp se compose également de baraquements dédiés à la vie quotidienne des Américains comme la cuisine ou dédiés à l’administration, permettant ainsi aux hommes du génie de vivre en parfaite autosuffisance. Ces baraquements sont construits par le 25e génie américain qui arrive à partir du mois d’avril 1918.

Une vraie vie de camp se met donc en place avec des activités sportives et des séances cinématographiques réservées aux Américains. Un village en bois dans la ville s’instaure puisque 90 baraquements faits de ce matériau sont installés entre 1917 et 1919 autour de la nouvelle gare de la Rochelle. Le hall de la gare, où 1 400 hommes peuvent prendre place pour les repas, sert de cuisine aux soldats du génie. Le 35e génie crée même un journal le

Nouvelle Gare News, acte non isolé puisque de nombreuses compagnies installées en France

font de même. Si leur principale source d’information reste le Stars and Stripes publié entre le 8 février 1918 et le 13 juin 1919, certains décident de publier leur propre journal local. Cette presse reste difficile à comptabiliser et la censure est très présente. L’objectif pour les autorités américaines est de maintenir le moral des soldats en leur faisant notamment connaître les résultats sportifs des autres divisions, en les informant sur la ville dans laquelle ils stationnent, ce qui leur permet de se sentir intégrés à cette cité totalement inconnue. Cette création de journaux est aussi une demande des soldats qui cherchent à se maintenir informés de ce qui se passe aux États-Unis, dans la guerre et dans l’armée américaine431.

Le paysage des habitants de la cité rochelaise mais également des autres communes françaises qui assistent à ces travaux américains est totalement bouleversé. Georges Delamarre écrit un article sur le sujet en plaignant les Français, « Ô benoîtes petites villes françaises, images de l’existence assoupie, paradis des gens pas pressés, quel fléau s’est abattu soudain sur vos rues silencieuses et vos douillettes habitudes ! ». Il ajoute, « précédés d’un assourdissant tintamarre de ferrailles et de moteurs, la tribu des hommes kaki au large feutre a entrepris le siège du farniente provincial 432».

431 FAULKNER Richard, Op.cit., page 528. 432 L’Avenir de la Vienne, 22 février 1918.