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Principales zones d’implantations américaines dans le Centre-Ouest de la France.

De La Rochelle à Tours : l’établissement des Sammies dans le Centre-Ouest de la France

Carte 3- Principales zones d’implantations américaines dans le Centre-Ouest de la France.

En octobre 1918, un projet d’installation des troupes américaines est prévu à Niort, une « reconnaissance détaillée des régions de Niort, Parthenay et Bressuire » est donc rédigée. Les Américains analysent plusieurs éléments comme la topographie de la commune, sa culture agricole, la possibilité d’installer les champs de tir, les cours d’eau, la disponibilité de la main- d’œuvre locale, ou encore le climat213. C’est ainsi que Ruffec, en Charente, ne répondant pas

aux attentes américaines, n’est pas retenue pour l’accueil de troupes américaines. Concernant Niort, plusieurs éléments sont présentés par le général de la neuvième Région militaire qui reçoit chaque projet d’installation des troupes américaines. Les trois communes des Deux- Sèvres, Niort, Parthenay et Bressuire ne semblent pas avoir de nombreux atouts. En effet, même si le nombre de cantonnements semblent suffisant, ils sont toutefois dispersés du fait du territoire agricole sur lesquels ils se trouvent214. L’eau est « bonne et abondante » mais le

nombre de ruisseaux n’est pas assez important pour les chevaux, le sud de Niort sort notamment d’une période de sécheresse. Par ailleurs, les terrains susceptibles d’accueillir des terrains de manœuvres comme les terrains vagues ou non cultivés semblent inexistants, excepté à Argenton-Château dans l’arrondissement de Bressuire. Aucune de ces communes n’est donc retenue pour l’installation de troupes.

Si les terrains ne sont pas séduisants pour les Américains, une autre raison explique leur renoncement : il s’agit de la signature de l’armistice215, qui stoppe de nombreux projets

d’installation dans plusieurs communes du Centre-Ouest. C’est par exemple le cas de Châtellerault dans le département de la Vienne qui ne retient pas l’attention des Américains malgré sa situation favorable. En effet, bien que les cantonnements soient dispersés, ils sont malgré tout bien reliés entre eux. La commune du nord de la Vienne possède également un réseau routier dense et des voies ferrées nombreuses, l’eau y est abondante car les rivières et cours d’eau « ne tarissent jamais » et les terrains pouvant accueillir des manœuvres militaires sont nombreux.

Dans le département des Deux-Sèvres, une commune retient l’attention des Américains : Saint-Maixent. C’est ainsi que l’actuelle école des sous-officiers de Saint-Maixent accueille en décembre 1917 dans les casernes de Canclaux et de Coiffé de futurs aviateurs américains. En 1881, cet ancien château se transforme en école militaire d’infanterie pour ensuite devenir une école d’instruction pendant le conflit. Les soldats américains y viennent donc pour y être formés

213 SHD Vincennes, 7 N 2012, Lettre du Président du Conseil au général commandant la 9e région, 19 octobre 1918. 214 Ibid., document de « reconnaissance détaillée des régions de Niort, Parthenay et Bressuire », sd.

à l’aviation, après être passés par l’une des 26 écoles de pilotes qui existent aux États-Unis216.

Dès le 28 août 1917, une mission d’officiers américains arrive à Saint-Maixent pour visiter le

centre d’instruction de l’école militaire217. Quatre mois plus tard, en décembre 1917,

Saint-Maixent reçoit 18 officiers et 437 hommes de l’Air service américain qui comprend tout ce qui concerne l’aviation218, les ballons aériens ou encore la photographie aérienne. En février

1918, ils sont au nombre de 1 044 hommes et 66 officiers et en mars 1918, les chiffres sont de 19 officiers et 632 hommes. Au total, ils sont plus de 3 000 hommes des divisions d’Aero

Squadron et de Photo Section à être passés par ce centre de formation du mois de décembre

1918 au mois de février 1919. Aujourd’hui les traces du passage de ces soldats se lisent encore dans la crypte de la commune de Saint-Maixent où les élèves ont inscrit des graffitis parfois datés, composés de leur nom et de leur ville d’origine et répertoriés par la Société historique et archéologique du Val de Sèvres219. Souvent analysés comme des traces documentaires, ces

graffitis peuvent être considérés comme un « objet d’histoire 220» pour donner « à entendre la

voix d’acteurs historiques jusque-là inaudibles engagés dans une stratégie identitaire ou mémorielle 221». Ils témoignent de la présence de ces soldats dans la commune des Deux-

Sèvres.

Une autre commune du Centre-Ouest forme les pilotes américains : il s’agit de Tours, ou plus précisément de l’école d’aviation de Parçay-Meslay qui s’étend sur trois communes, Saint Symphorien, Sainte Radegonde et Parçay-Meslay dont les terrains sont réquisitionnés pour le compte de l’armée française en 1915 et qui accueille en juillet 1917 ses premiers américains. Ce camp ouvert en 1915 est en position idéale sur la route de Tours à Paris. Il devient le deuxième centre d’aviation de l’armée américaine à partir du 1er novembre 1917 et forme au

pilotage et à l’observation aérienne. Ce sont les divisions d’Aero Squadron et de Photo Section qui se forment dans ce camp. En février 1918, 350 élèves y sont présents mais l’école souffre d’un manque de matériel qui ne lui permet pas de fonctionner correctement, les élèves sont donc en attente d’instruction. À cette même date, le nombre d’Américains présents à Parçay-Meslay instructeurs et élèves confondus est de 912222. Concernant la formation des

observateurs aériens, l’école en a accueilli 40 jusqu’en février 1918. Le 31 juillet 1918, l’école

216 Ibid., « États des écoles d’aviation aux États-Unis en mars 1918 ». 217 Le mémorial des Deux-Sèvres, 20 août 1917.

218 NARA, 407 1307-1334, World War I Strength Returns. Cities. 1917-1919.

219 GODARD Jean-Marie, « Les Américains à Saint-Maixent en 1917 », Société historique et archéologique du

Val de Sèvres, n°158, septembre 2015, pages 3-56.

220 GUICHARD Charlotte, Graffitis. Écrire son nom à Rome, XVIe-XIXe siècle, Paris, Seuil, 2014, page 27. 221 Ibid.

de Parcay-Meslay accueille 2 000 américains dont 150 pilotes et 15 élèves pilotes223. En

janvier 1918, 31 brevetés sont sortis de l’école, 45 en février, et 104 en avril 1918. Du 10 mars au 10 avril 1918, 28 observateurs ont été instruits224.

Harold W. Riley, du 24e Aero Squadron est en formation à Parçay-Meslay parmi les élèves

pilotes. Il semble arriver au printemps 1917 et ne repart qu’après Pâques 1918. Il décrit son instruction française comme décevante puisque selon lui ses instructeurs ont toujours une bonne raison pour ne pas voler, comme le brouillard, et que durant l’hiver les élèves volent peu, voire pas du tout. Les divisions d’Aero Squadron sont ainsi présentes de la fin de l’année 1917 jusqu’au début de l’année 1919. D’autres communes du département de l’Indre-et-Loire voient arriver des soldats américains. C’est le cas de la commune de Larçay où des terrains sont utilisés pour des champs de tir en avion. Le maire est donc invité à prévenir ses administrés des zones dangereuses. Larçay constitue également une des communes propices à la création de terrain d’atterrissage, tout comme Saint-Pierre-des-Corps et Montlouis.

La possibilité de former les aviateurs attire les communes, comme Cognac où le conseil municipal souhaite entamer des démarches pour obtenir un camp d’aviation dans la ville. Une étude est lancée par les autorités françaises avec la participation d’un conseiller municipal et d’un architecte, mais les Américains ne s’installent pas dans la commune charentaise225. L’une

des raisons vient du fait que Cognac accueille des troupes tchécoslovaques à partir du 3 avril 1918. En effet, les Américains ne sont pas les seuls à fouler le sol de la Charente. La position du département proche des ports de Bordeaux et de La Pallice explique ce choix. Au total ce sont 121 officiers et 350 soldats tchécoslovaques qui débarquent dans la ville226. Arrivés de

La Pallice, port de débarquement, les soldats tchécoslovaques restent jusqu’en décembre 1918227.

En Charente, c’est à Angoulême, dans le quartier Bellevue, que les Américains s’installent en septembre 1918, où un millier de soldats prennent possession des lieux228. C’est le

52e Régiment d’artillerie qui y organise un centre d’organisation d’artillerie lourde à tracteurs.

223 Ibid., 1 M 362, Rapport du commissaire spécial Delgay au préfet d’Indre-et-Loire, 31 juillet 1918. 224 SHD Vincennes, 4 N 31, « Situation de l’aéronautique américaine », avril 1918.

225 L’indicateur de Cognac, 26 et 29 juin 1918.

226 PALLARO Aline, « Les étrangers à Cognac entre 1914 et 1939 : de l’installation à l’intégration », mémoire de maîtrise, Université de Poitiers, 1998, page 30.

227 PIGNOUX Jean-Michel, « Les troupes tchécoslovaques en France au cours de la Grande Guerre (1914-

1918) », Mémoire de maîtrise en histoire contemporaine, Paris I, 1982.

Dès juillet 1918, le commandant de la douzième Région avait proposé de recevoir en Charente les Américains. Le quartier Bellevue est idéal car il possède 24 000 places pour loger les hommes auxquelles s’ajoutent les 1 000 places dans les écuries et les manèges. Les communes limitrophes d’Angoulême comme Luxé ou Mansle peuvent aussi recevoir des troupes. Le commandant propose comme terrain de manœuvre celui du Crapillet et indique La Braconne comme terrain idéal pour recevoir un champ de tir. Le commandant montre que la Charente a de nombreux locaux et terrains pour les Américains, tous les atouts sont de son côté229. L’idée

est également de placer les Américains au nord d’Angoulême pour laisser l’ouest aux troupes tchécoslovaques. En septembre 1918, les Américains tiennent compte des propositions du commandant de la douzième Région et s’installent dans les communes d’Angoulême, de Saint-Amand-de-Boixe, de Luxé et de Montignac. Une autre étude des bâtiments disponibles est effectuée le même mois par le commandant de la douzième Région. Le quartier Bellevue à Angoulême doit accueillir une école d’artillerie lourde et Saint-Amand-de-Boixe, Montignac et Luxé sont parfaits pour accueillir des cantonnements, dont un régiment d’artillerie. Une gare de débarquement des troupes est prévue à Ruelle et une gare de ravitaillement à Luxé. Par ailleurs, l’un des signes de la future arrivée des troupes américaines est la recherche de logements pour les officiers américains. C’est ainsi qu’à la fin du mois de septembre 1918, un avis de la mairie d’Angoulême annonce une demande des autorités militaires pour louer à forfait des maisons ou des chambres meublées pour les officiers américains. Les propriétaires sont invités à faire « sans délais » des offres avec prix au bureau militaire de la Mairie d’Angoulême230. Au final, les officiers sont logés Place de la Commune à partir du

23 septembre 1918 et rue Iena à partir du 10 octobre de la même année, mais aussi dans la rue du Théâtre à partir du 14 octobre 1918.

Si la Charente attire les soldats alliés, la Vienne, située dans la base intermédiaire de l’organisation américaine, n’est pas en reste puisque son chef-lieu est inspecté par la direction de l’Artillerie française en vue d’y installer des troupes américaines, en juin 1918231. Ce même

mois, une reconnaissance technique de Poitiers montre la très bonne position dont jouit la ville qui se situe sur la ligne Bordeaux-Paris. En outre, avant de devenir une zone d’installation américaine, il n’est pas rare pour les Poitevins de rencontrer des soldats américains dans leur ville qui y stationnent une nuit. Poitiers devient une halte située à mi-parcours entre Bordeaux

229 SHD Vincennes, 7 N 2012, Lettre du commandant de la 12e région au général de division Comby, juillet 1918. 230 Le matin charentais, 26 septembre 1918.

231 SHD Vincennes, 7 N 2014, Lettre du Président du Conseil au général commandant la neuvième région, 25 juin 1918.

d’où proviennent les convois et Paris, destination finale des Américains. La presse s’en fait l’écho en indiquant que « presque journellement » des groupes de militaires américains stationnent à Poitiers « entre deux trains 232». C’est également le cas pour Niort, qui voit

régulièrement passer des convois américains dans ses murs provenant de l’avenue de La Rochelle et se dirigeant vers Poitiers. Même en accueillant de façon plus permanente des troupes, Poitiers reste un lieu de passage et son vieux cinéma ainsi que la route de Paris deviennent des endroits de halte pour les convois de voiture. La ville met donc à disposition des Américains de nombreux lieux pour des courtes durées, comme ceux situés sur le boulevard Pont Achard où sont créés un garage et un parc automobile pour dix jours à partir du 20 novembre 1918, ou encore le boulevard du Grand Cerf qui accueille une station essence, à partir du 18 novembre 1918, pour une durée de dix jours. L’avenue de Bordeaux est quant à elle une zone de réparation de voitures à partir du 24 décembre 1918233.

Le 31 août 1918, un état des troupes américaines en France permet de connaître le nom des unités présentes à Poitiers. Nous savons donc qu’une école d’artillerie est établie à partir de l’été 1918 et que de ce fait de nombreuses divisions sont présentes comme le 54th Field Artillery Brigade dont le quartier général est à Poitiers234. Les locaux de la Banque

de France servent de bureaux et de logements et la rue Carnot ainsi que le Nouveau Séminaire abritent des hommes de l’état-major américain. La zone de Brigade d’artillerie de Poitiers est limitée par les communes de Vouillé, Migné, Chasseneuil, Biard et Quinçay, comme le montre la carte ci-dessous. Dans le courant de l’été 1918, trois de leurs régiments d’artillerie s’installent également à Biard235. En effet, arrivées de Poitiers, les troupes sont ensuite dispersées sur

l’ensemble de ces communes. La ville de Poitiers et le département de la Vienne ont donc deux fonctions majeures, celle de zone d’entraînement et celle de centre de réparation et de stockage des véhicules américains.

232 L’Avenir de la Vienne, 26 février 1918.

233 NARA, 120 2736/2740, « Description de certaines installations (services à l’arrière) rédigée à l’attention du Maréchal Pétain et des officiers qui l’accompagnent ».

234 SHD Vincennes, 16 N201, « État des troupes américaines en France », 31 août 1918.

235 MINEAU Robert, Poitiers d’avant 1914, souvenirs d’enfance de Robert Mineau, Poitiers, Brissaud, 1980, page 278.