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Comprend

Comprend

Centraliser les questions de coopérations

Mission s

Cependant, il est difficile pour les Américains de comprendre tout le système administratif mis en place en France, qui pour eux entraîne un vrai retard dans leur action. La presse locale en a d’ailleurs bien conscience et vante souvent le sens pratique des Américains face aux difficultés créées par la lourde bureaucratie française281. Il en résulte des plaintes de la part des

autorités françaises qui protestent contre les Américains qui ne passent pas par les bons services. De plus, les Sammies ignorent totalement les actions des missions régionales dont ils ne comprennent pas l’utilité. Les autorités américaines préfèrent traiter directement avec les sections franco-américaines des régions pour ne pas perdre de temps. Les missions régionales se plaignent donc que leur rôle soit ignoré par les Américains qui mettent eux-mêmes en place des officiers de liaison dans les états-majors de région et dont le rôle est similaire à celui des missions régionales françaises282. Par ailleurs, les circonscriptions territoriales américaines ne

correspondent pas aux divisions françaises283 ; il est de ce fait difficile pour les Américains de

s’adresser au bon service.

Les autorités américaines sont le plus souvent invitées à correspondre avec les services français dans le cadre de l’installation d’un cantonnement. Aucune installation américaine ne peut être consentie à l’armée américaine « sans que l’état-major de l’armée ait été appelé à statuer, et à stipuler les règles à suivre en pareil cas 284». Quand un accord est trouvé, le général

commandant la région désigne un cantonnement à utiliser dans la zone de stationnement attribuée à l’armée américaine. Il fixe l’emplacement de manœuvre et les champs de tir et désigne l’endroit où logent les troupes de passage qui ne restent pas plus d’une semaine. Les sections de région règlent également les réclamations et doivent s’efforcer de trouver un règlement à l’amiable. En cas de difficultés, elles doivent saisir la Direction du Contrôle. Les sections franco-américaines sont invitées à tenir des statistiques indiquant les surfaces occupées, le nom des propriétaires et la valeur du paiement effectué. De façon générale, les sections de région reçoivent les demandes américaines de la part des autorités françaises locales. Les sections transmettent ensuite la demande au service administratif régional intéressé avant de transmettre une réponse positive ou négative aux Américains. Pour les occupations d’immeubles, si la valeur de l’immeuble est inférieure à 200 000 francs, c’est au général

281 L’Avenir de la Vienne, 1er septembre 1917.

282 SHD Vincennes, 7 N 2249, Rapport général sur les questions d’ordre administrative soulevées par la présence des troupes américaines dans les bases de l’Atlantique », 1918.

283 Ibid., 7 N 2248, « Projet de réorganisation de la liaison franco-américaine dans les bases et commandements territoriaux américains de la zone de l’intérieur », août 1918.

284 AD 16, 10 PROV 1, « Instruction au sujet des délégations accordées aux généraux commandant les régions (sections franco-américaines) et autorités locales en ce qui concerne les affaires franco-américaines », 7 mars 1918.

commandant la Région d’approuver la requête américaine et d’en rendre compte au Ministère de la Guerre. Si la valeur de l’immeuble est supérieure à cette somme, les autorités locales américaines doivent directement traiter avec leurs services centraux à Paris. Pour les locaux publics, les dispositions sont les mêmes que pour l’État français.

Les Américains sont tenus informés des procédures françaises. En effet, un document en anglais non daté reprend toute l’organisation administrative mise en place en France pour l’accueil des troupes américaines285. Le SOS de Tours, les missions régionales françaises, les

bases d’opération et les sections franco-américaines sont présentés. Il est précisé que l’organe qui gère toutes les questions relatives à la présence américaine est le Commissariat Général des affaires de guerre franco-américaines. Par ailleurs, toutes les règles en matière de réquisitions sont également expliquées. Pourtant, malgré toutes ces dispositions administratives et une accessibilité de ces mesures en langue anglaise, les Américains ne respectent pas toujours ce qui leur est demandé. Même si le commandant en chef de l’armée américaine a accepté de se concerter avec les services français et de se soumettre aux réglementations françaises, « l’Américain a une haute idée de la puissance de son pays, de sa dignité de grande nation, et supporte avec courtoisie il est vrai mais sans plaisir les complications de notre organisation quand elles ne répondent pas à ses habitudes d’esprit, ou ne sont pas imposées par une nécessité évidente pour lui286 », « l’Américain d’esprit concret anglo-saxon a une certaine peine à

s’adapter à notre réglementation latine 287». Le Ministère de la Guerre se compose depuis 1915

de nombreux sous-secrétariats d’État ayant chacun leurs compétences propres288, qui peuvent

perdre les Américains dans leurs démarches administratives. Les exemples du non-respect des contraintes administratives sont multiples dans le Centre-Ouest. En août 1918, le général Réquichot qui commande la neuvième région militaire signale au préfet de la Vienne que les Américains s’installent parfois sur des terrains ou dans des immeubles sans l’accord des autorités militaires françaises. Ces occupations non régularisées par un contrat de bail entraînent de nombreuses réclamations de la part des propriétaires. Le général demande donc au préfet de

285 SHD Vincennes, 7 N 2249, « General Scheme for Handing Questions Arising from the Presence of the American Troops in France », sd.

286 Ibid., Rapport général sur les questions d’ordre administrative soulevées par la présence des troupes américaines dans les bases de l’Atlantique », 3 juillet 1918.

287 Ibid.

288 CORVISIER André (dir.), Histoire militaire de la France, Tome 3. De 1871 à 1940, Paris, PUF, 1992, pages 296-298.

rechercher toutes « les occupations irrégulières qui auraient pu être constatées par les autorités civiles » afin qu’elles soient régularisées289.

Le problème se pose notamment lorsque des troupes de passage souhaitent s’installer dans un lieu. Pour une courte durée, toutes ces démarches administratives semblent bien trop complexes. C’est le cas pour la commune du Château-la-Vallière dans le département de l’Indre-et-Loire dont le maire n’est pas prévenu du cantonnement de troupes américaines dans sa commune. Elles se sont installées sans son accord290. Certains habitants perçoivent les

réquisitions comme injustes et inégalitaires et se plaignent directement au maire. C’est le cas à La Rochelle en septembre 1918, où un armateur de la ville proteste vivement contre une éventuelle réquisition de son immeuble de la rue Réaumur. Le maire plaide la cause de son concitoyen auprès des officiers de liaison français auprès des services américains en indiquant que « si l’autorité militaire américaine se trouve dans l’obligation de loger des officiers ou des troupes chez l’habitant cette charge doit peser sur tous ceux de nos concitoyens qui peuvent y faire face et non quelques-uns seulement 291». Il est vrai que les Américains se tournent vers

des immeubles susceptibles d’accueillir un nombre de soldats important, ce qui entraîne chez certains habitants un sentiment d’inégalité face aux charges qui pèsent sur eux durant la guerre. Du côté des autorités américaines, il est nécessaire de centraliser dans un seul et même service l’ensemble de ces locations et de ces réquisitions, c’est le rôle du Renting, Requisitions

and Claims Service (RR and C Service), dont le bureau est à Tours et dont le SOS est chargé de

l’organisation. Les fonds sont conservés au sein des archives nationales américaines. Nous possédons grâce à ces dernières une vue d’ensemble de la localisation précise des cantonnements américains et de ce qui relève de la location et de la réquisition. Ainsi, nous constatons que même si les réquisitions américaines sont nombreuses, les Sammies parviennent essentiellement à trouver des arrangements à l’amiable avec les habitants puisque les locations mobilières privées sont plus importantes. La mission du RR and C Service est de réquisitionner les bâtiments ou terrains nécessaires à tous les services du corps expéditionnaire américain « dont la possession ne pourra être obtenue à des conditions raisonnables par arrangements à l’amiable 292». Le Service doit également pourvoir au logement et au cantonnement des troupes

américaines, mais aussi enquêter sur les réclamations qui résultent des réquisitions et trouver

289 AD 86, 7 R 33, Lettre du général Réquichot au Préfet de la Vienne, 14 août 1918. 290 AD 37, 4 M 795, Lettre du général Réquichot au Préfet d’Indre-et-Loire, 14 février 1919.

291 AMLR, 12 W 11, Lettre du maire de La Rochelle à Monsieur Dalil, armateur rochelais, 12 septembre 1918. 292 AD 16, 10 prov 1, Instruction pour les réquisitions de l’armée américaine, 8 juillet 1918.

des solutions et enquêter sur les préjudices causés aux personnes. Cependant, pour assurer la meilleure médiation possible entre le service américain et les habitants, le RR and C Service fonctionne main dans la main avec une structure française, le bureau de liaison français auprès du RR and C Service dont la mission principale est d’aider les Américains « sur l’interprétation et l’application des lois, de [les] éclairer sur les habitudes des populations, et de lui fournir d’une manière générale tous renseignements qui seraient demandés 293». Ce service regroupe,

en décembre 1918, 33 hommes et 144 officiers, un mois plus tard 54 hommes et 149 officiers et lors de sa fermeture en juillet 1919, 32 hommes et 195 officiers. Le RR and C Service a un grand rôle à jouer notamment lors des réquisitions américaines.

Cependant, l’armée américaine ne fait appel au RR and C Service qu’en cas de dernier recours et de difficultés puisque ce sont avant tout les généraux commandant les régions qui donnent leur accord pour une réquisition, sauf si cela dépasse leurs compétences. L’Instruction n°7 fixe les conditions de réquisitions américaines294. L’état-major de l’armée doit également

être consulté pour toute nouvelle installation permanente de l’armée américaine. Il s’agit de ne pas attribuer aux Américains une zone qui peut servir pour les buts de guerre français. Pour terminer et pour régulariser la réquisition, il est nécessaire de transmettre aux maires des communes une rédaction de l’ordre de réquisition, la rédaction du procès-verbal de l’état des lieux ou encore le reçu de réquisition. Le règlement des réquisitions s’effectue par le biais d’indemnités proposées aux prestataires par les autorités américaines. Pour les indemnités de logement et de cantonnement dues pour une commune, la somme est à reverser au receveur municipal. Pour éviter tout retard de paiement, il est demandé d’envoyer à la fin de chaque mois à l’officier de liaison près du RR and C Service un état des réquisitions qui ne sont pas encore réglées sur une durée de six mois. De plus, l’officier de liaison français est invité à remettre chaque mois à la Direction du contrôle un état des réclamations formulées, le nombre des réclamations réglées pendant le mois et le montant de ces règlements. Par ailleurs, pour éviter tout abus, le maire doit faire en sorte d’éviter les réclamations « non fondées ou exagérées 295»

et doit faire preuve de pédagogie auprès de ses administrés et prévenir les habitants lors du départ de chaque troupe pour leur permettre de faire le plus rapidement possible leurs réclamations.

293 Ibid.

294 SHD Vincennes, 7 N 2012, « Instruction n°7 » du 19 janvier 1918. 295 Ibid., 7 N 2258, Instruction n°14, 20 août 1918.

La procédure à suivre pour réquisitionner un lieu ne semble pas convenir aux autorités américaines. Dans un rapport publié par Monsieur Peria, chef du service franco-américain de la Direction du contrôle, selon des « impressions recueillies 296» auprès des états-majors

français et des officiers américains, ces derniers indiquent que la « procédure actuelle en matière d’installations de réquisitions et de dommages » est « extrêmement longue, compliquée [et] trop centralisée ».

Un bail est signé lors de l’installation dans des immeubles privés ou publics et avant toute occupation des lieux par les services américains, un état des lieux complet est établi. Lors du départ des troupes, cet état des lieux est repris afin d’observer les dégâts causés par les troupes américaines et pour permettre de calculer le montant de ces dégâts que les Américains se doivent de rembourser. Par exemple, lors de la location du Casino du Mail, à La Rochelle, le 17 octobre 1918, par l’armée américaine, un état des lieux est fait297. Tout n’est pas en bon état.

En avril 1919, le « devis des réparations et appropriations à exécuter au Casino municipal au départ des troupes américaines » montre que le montant des dégâts causés s’élève à 1 957 francs et 29 centimes298. Les locaux connaissent donc des dégradations causées par le passage des

Sammies. Autre exemple, privé cette fois-ci, il s’agit du Château de la Vrillaye, à Richelieu,

dans l’Indre-et-Loire où un camp de prisonniers regroupant des officiers allemands est créé par les Américains299. Le contrat de bail est traduit en anglais permettant une meilleure

compréhension pour les soldats américains. Une description de la propriété est d’abord inscrite accompagnée des « conditions du bail ». Ces dernières comprennent les dates d’entrée et de sortie des lieux, dans le cas présent le contrat est valide du 5 septembre 1918 au 30 juin 1919. Le montant du loyer ainsi que les conditions de paiements sont également stipulés. Ici, le loyer s’élève à 3 750 francs à payer par trimestre. Les Américains ont le droit d’effectuer des travaux s’ils le souhaitent.

Progressivement, au cours de l’année 1919, les services américains et français dédiés au corps expéditionnaire américain en France ferment. Le personnel français aux États-Unis se démobilise également, marquant une autre étape dans la sortie de guerre française. En juillet 1919, c’est la Mission française près l’armée américaine à Chaumont qui est dissoute et à Tours elle est réduite à 6 officiers. Concernant les sections franco-américaines des régions,

296 Ibid., 7 N 2249, Rapport général sur « les questions d’ordre administratif soulevées par la présence des troupes américaines dans les bases de l’Atlantique », 3 juillet 1918.

297 AMLR, 31 W14, État des lieux à l’entrée dans le Casino du Mail, 17 octobre 1918.

298 Ibid., « Devis des réparations à exécuter au Casino municipal au départ des troupes américaines », avril 1919. 299 AD 37, 24 J 34, Contrat de bail du château de La Vrillaye, 5 septembre 1918.

elles sont réduites aux seuls officiers de liaison avec le RR and C Service pour la « liquidation des affaires contentieuses 300». De plus, le 1er avril 1919, le Commissariat aux affaires de guerre

franco-américaines disparaît au profit d’une Direction générale des services français aux États- Unis.

La ville de Tours, siège durant plus d’un an des services de l’arrière américain, voit progressivement partir les soldats américains remplacés par les soldats français de retour du conflit. Désormais, toute une période de reconstruction s’amorce et la réintégration des Poilus dans la vie civile est à organiser. Cependant, les traces du passage américain sont encore présentes puisqu’il faut désormais rembourser l’ensemble des dégâts causés par les troupes américaines dans les communes du Centre-Ouest, instaurant des motifs de rancune envers les soldats alliés.

Tout au long de ce chapitre nous avons montré que face à l’arrivée constante des soldats et face aux nombreux besoins en marchandises ou matières premières que cela entraîne, les Américains font sans cesse évoluer leur structuration sur le territoire français. D’abord composée de deux Base Section et d’un Quartier Général à Chaumont, l’organisation évolue pour passer à six bases d’opération, comportant chacune un ou plusieurs ports de débarquement des marchandises et du matériel américain. En Charente-Inférieure, le port de La Rochelle- Pallice reçoit en premier lieu les faveurs américaines avant de partager ses tâches avec celui de Rochefort. Ces choix ne s’expliquent pas par des motifs historiques comme le mettent en avant les autorités civiles locales mais par les positions stratégiques et la capacité d’accueil de chacune de ces rades. Le choix d’un lieu de cantonnement de longue durée est donc minutieusement analysé par les autorités américaines y compris dans le choix des écoles et camps d’instruction. Les départements de la Charente, des Deux-Sèvres et de la Vienne, éloignés du front et des côtes restent néanmoins des espaces connectés à l’espace atlantique et accueillent de futures troupes combattantes, créant ainsi un contact entre les civils et les soldats américains.

Afin de répondre à l’augmentation du nombre de soldats américains sur le sol français et notamment dans la zone de l’intérieur, les services français mais aussi américains doivent s’organiser afin d’assurer la meilleure coopération possible entre les deux nations. Il est

également indispensable pour les autorités des deux pays que des relations cordiales s’installent entre les soldats alliés et les populations du Centre-Ouest. Si la contribution réelle à la victoire est discutée par les historiens américains et français, il faut reconnaître que le corps expéditionnaire américain met en place une vraie organisation logistique qui s’étend sur tout le territoire français. En plus des bases américaines, des camps d’instruction et des bureaux administratifs, le corps expéditionnaire américain instaure le long de ses lignes de chemins de fer, plusieurs dépôts de vivres, d’essence, des magasins frigorifiques, des hôpitaux, des camps de passage mais aussi des installations pour entreposer son matériel roulant. L’arrivée des troupes américaines entraîne également de nombreux travaux pour répondre aux besoins nécessités par le cantonnement de ces soldats. L’arrière et notamment les ports sont le terrain d’opération des soldats de l’arrière qui s’organisent pour répondre aux besoins des troupes sur le front, entraînant ainsi une véritable modification du paysage urbain des communes du Centre- Ouest.

Chapitre II

Les apports logistiques de la présence américaine : une