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De La Rochelle à Tours : l’établissement des Sammies dans le Centre-Ouest de la France

Carte 5- Zone de Montmorillon 238

D) Le Centre-Ouest : siège de l’organisation administrative américaine

1- Tours, siège du Service of Supply (SOS)

Les camps d’instruction ainsi que l’ensemble des infrastructures présentes sur le territoire français sont regroupés sous l’autorité de deux services, l’un situé à Chaumont et l’autre à Tours. Ce dernier prend le nom de Service of Supply (SOS) en mars 1918. Le terme dans les archives nationales américaines apparaît en février 1918 et nous rencontrons avant cette date le terme de Line of Communication, ou ligne de communication, qui regroupe l’ensemble des installations américaines le long des principales voies de communication américaines, ainsi que les deux premières bases créées, celles de Saint-Nazaire et de Bordeaux. La ligne de communication s’occupe de l’approvisionnement, du stockage des denrées, du matériel et des transports américains. Son quartier général est situé à Paris. Une Commission régulatrice de la ligne de communication américaine est installée à Tours. Sa mission est d’organiser les transports par voies ferrées de l’armée américaine entre les ports, les installations diverses et le front au nord de cette ligne qui joint La Pallice, Saumur, Tours, Bourges, Nevers jusqu’à Dijon. La commission régulatrice au sud est située à Périgueux. Dès leur arrivée sur le sol français, les Américains assurent donc leur propre logistique, afin d’être indépendants de leurs homologues français. Cette logique se retrouve également sur le plan militaire puisque les États-Unis sont une puissance « associée » aux Alliés.

Face à l’ampleur des installations américaines dans la zone de l’intérieur, liée à l’arrivée de plus en plus importante du nombre des soldats américains, le système logistique américain se réorganise à partir du mois de février 1918, le Service of Supply est créé et perdure jusqu’en septembre 1919. Nous ne détaillerons pas l’ensemble des services qui dépendent du SOS, sur lesquels nous reviendrons dans d’autres parties de ce travail. Il s’agira plutôt de comprendre

comment s’articulent les systèmes administratifs français et américains et d’analyser la coopération militaire et civile qui se met en place entre les deux pays249.

De juillet à décembre 1917, Chaumont est le centre névralgique de l’autorité américaine, la ville gère aussi bien les services de l’arrière que les troupes au combat. Ce noyau logistique regroupe un commandant des lignes de communication, ainsi que divers groupements de services à Paris et une base à Bordeaux et à Saint-Nazaire qui sont organisés en autonomie. Cependant, s’occuper de l’aspect administratif au front relève d’une mission difficile pour le général Pershing d’autant que les troupes se multiplient dans la zone de l’Intérieur. Il est donc décidé de séparer l’état-major américain de son service de l’arrière, c’est Tours qui doit en être le siège. Ainsi deux structures sont mises en place : l’une, centre opérationnel de l’armée américaine, à Chaumont, dont la fonction est davantage tournée vers l’organisation et les opérations militaires de l’armée américaine puisqu’elle s’occupe de l’armée combattante, et la structure de logistique dont le siège est à Tours, indépendante de Chaumont et directement rattachée au Ministère de la Guerre.

Chaumont, qui se compose de l’état-major général américain, est réparti en deux groupes dont le premier traite des questions d’organisation des ordres de bataille, ou encore de l’instruction des troupes américaines. Le second groupe a un rôle davantage tourné vers la surveillance des troupes et la sûreté de la zone des armées, en accueillant la police et la justice militaire américaines. L’existence de ces deux centres américains, l’un à Chaumont, l’autre à Tours, pose quelques inconvénients aux autorités civiles et militaires françaises. Ne sachant pas toujours vers qui se tourner, elles transmettent deux fois les mêmes dossiers aux deux structures indépendantes l’une de l’autre. Ces dernières ne se consultent pas et fournissent des réponses différentes aux Français.

Face au centre de Chaumont, les activités de l’arrière de l’armée américaine sont gérées par le Service of Supply, dont le nom est décidé le 13 mars 1918. Avant cette date, l’expression

Service of the Rear est employée par les services américains. Ce dernier assure le ravitaillement,

l’approvisionnement des camps américains ainsi que de leurs hôpitaux et de leurs ambulances, gèrent les dépôts, les lignes de communication ainsi que les transports par voies maritime et terrestre. Ce service coordonne le débarquement des hommes et du matériel, leur stationnement et leur envoi au front. Le SOS de Tours est défini comme « une section avancée du département

249 GREENHALGH Elizabeth, Victory Through Coalition : Britain and France During the First World War, New York, Cambridge Press University, 2005.

de la guerre américain250 » et doit satisfaire aux besoins des troupes américaines stationnées

dans la zone des armées et de l’Intérieur. Ce service occupe un tiers des troupes américaines en France, soit 602 910 hommes et 35 593 officiers251.

La mise en place des services à Tours prend du temps. Le 21 mars 1918, les bureaux sont toujours en cours d’installation dans la cité tourangelle252. Les autorités américaines organisent

le SOS en trois sections qui correspondent au découpage territorial des Américains. D’abord la section des bases qui correspond à la zone des ports, une section de l’avant proche du front composée de magasins pour nourrir les troupes combattantes et leur fournir des munitions et du matériel et enfin, la section intermédiaire qui reçoit « les approvisionnements que ne peuvent absorber les deux autres zones 253», comme l’approvisionnement en matières premières. De

plus, le SOS s’organise en quatre services : l’administration, l’achat qui assure l’acquisition en Europe du matériel nécessaire au corps expéditionnaire américain, le service de construction qui gère notamment le montage de locomotives ou de voitures et le service de distribution qui s’occupe de mettre en œuvre les lignes de ravitaillement et de communication. La centralisation à Tours de tous les services de l’arrière de l’armée américaine entraîne donc la désignation pour chacun des services d’un représentant du service français correspondant. Celui-ci a un rôle de conseiller technique en documentant les services américains et en orientant leurs recherches. Une Mission française près du SOS de Tours est aussi créée pour servir de liaison entre le commandant de Tours et les autorités civiles et militaires. La création du SOS montre que les Américains s’organisent pour administrer leurs zones de stationnement. De nombreux historiens se sont penchés sur la question des services administratifs mis en place en France, mais peu sur ceux créés par l’armée américaine.

En plus d’être le siège de l’US Air Service, Tours devient donc le quartier général du SOS. Tout comme pour le choix de ses ports de débarquement et de ses camps d’instruction, l’armée américaine opte pour le chef-lieu de la neuvième région militaire pour des raisons pratiques. La cité tourangelle jouit d’une position favorable pour les Américains puisqu’elle est non seulement située entre le premier port de débarquement américain, Saint-Nazaire et le front, à l’est de Verdun, mais elle se situe également au carrefour des lignes de chemins de fer françaises utilisées par le corps expéditionnaire américain. Tours est également proche des camps où les

250 SHD Vincennes, 7 N 2248, « Note au sujet du transfert à Tours des services de l’armée américaine », sd. 251 HARTER Hélène, Les États-Unis…Op.cit., page 244.

252 SHD Vincennes, 7 N 2248, Organisation des services des SOS, 21 mars 1918. 253 NOUAILHAT Yves-Henri, Les Américains…Op.cit., page 36.

divisions américaines sont entraînées ainsi que de l’une des plus grandes écoles d’artillerie, celle de Saumur. Sa proximité avec le plus grand dépôt de la zone intermédiaire, situé à Gièvres, joue également en sa faveur. La ville est aussi un point de jonction entre le Bassin Parisien, l’ouest et le sud-ouest de la France254. Sa gare jouit de nouveaux hangars et entrepôts mais

surtout la ville possède des lieux de garnisons récents pour accueillir les bureaux américains, à l’image de la caserne Baraguey d’Hilliers installée sur le boulevard Thiers, qui renferme les bureaux du général commandant le SOS et située à moins de trois kilomètres du centre de la ville. En étant le siège du l’US Air Service et du SOS, Tours accueille de nombreux soldats et officiers américains. Le SOS représente 29 % du corps expéditionnaire américain en février 1918 et 32 % en mars 1918255. Le 1er août 1918, plus d’1 145 000 Américains sont en France

dont presque 286 000 sont présents dans les services de l’arrière256.

Les soldats assignés au SOS ne semblent pas apprécier ce rôle et sont déçus de ne pas combattre sur le front comme de véritables héros. David R. Woodward évoque une chanson américaine dont les paroles montrent que cette tâche ne remplit pas de fierté les soldats américains, ni même leur famille, « Mother, take down your service flag, your son’s in the

SOS 257». D’autres au contraire y voient l’occasion d’être hors de danger et d’agir d’une façon

différente pour la guerre. Nous ne notons pas de réactions de rejet face à ces hommes à l’exception d’un Tourangeau arrêté par les services de police de Tours, pour outrage sur la voie publique envers les soldats américains. Il traite ces hommes de « salauds » en leur demandant « que foutez-vous pendant que les nôtres se battent là-bas 258 ?». Sentiment isolé ou qui reflète

une atmosphère générale autour de ces hommes de l’arrière, il est difficile de le confirmer par manque de sources. Cependant, il est vrai que la présence importante de soldats assignés au service de l’arrière américain dans la ville de Tours peut expliquer une telle virulence dans les propos de cet homme. On retrouve ce sentiment de colère dans la définition que propose Charles Ridel des embusqués. Dans la présentation qu’il fait de ce personnage de la Première Guerre mondiale, les hommes assignés aux services logistiques ou encore au service de l’État en guerre sont qualifiés d’embusqués par la population civile durant les deux premières années de guerre, avant de changer d’avis en reconnaissant le rôle important joué par ces hommes et femmes restés à l’arrière. À partir de 1917, l’embusqué sert à « mettre en cause la faiblesse de

254 CLÉMENT David, « Tours à l’heure américaine », mémoire de maîtrise en histoire contemporaine, Université de Tours, sous la direction de M. Cointet, 1994, pages 24-27.

255 KASPI André, Op.cit., page 193.

256 SHD Vincennes, 16 N 201, Armée américaine, 1er août 1918.

257 WOODWARD David R., Op.cit., page 183. « Maman, range ton drapeau, ton fils est dans le SOS ». 258 AD 37, 4 M 116, Rapport du 4 au 5 juin 1918.

l’engagement des Alliés 259», les populations comptent sur l’aide apportée par les États-Unis

pour mettre fin au conflit mais les troupes tardent à combattre sur le front. Les habitants du Centre-Ouest comme l’ensemble des Français n’ont pas pris conscience du travail effectué à l’arrière par l’armée américaine pour permettre la victoire de ses troupes et de ses alliés.

Les habitants de Tours ont l’impression de voir bien trop d’hommes s’affairer dans les bureaux plutôt que de combattre aux côtés des Français. Il est vrai que la ville voit sa population fortement augmenter du fait de cette présence américaine, entraînant des conséquences économiques sur la vie quotidienne des habitants. En février 1918, Tours compte en tant que siège du Service of the Rear, 372 officiers et 286 hommes. Les hommes se répartissent notamment entre les départements du génie, des services de santé, de l’intendance, des transports, des services automobiles et télégraphiques. En mars 1918, le nombre d’hommes augmente pour passer à 799 et 524 officiers. Les chiffres atteignent les 1 817 hommes et les 803 officiers en mai 1918. Lors de l’armistice le nombre d’hommes est de 660 hommes et 1 193 officiers260. En septembre 1919, la presse tourangelle annonce le départ définitif des

agents du SOS dont les locaux sont transférés à Paris à l’Élysée Palace, où la fonction du service est d’une moins grande envergure que durant le conflit.

Pour abriter les hommes des services de l’arrière et notamment les nombreux officiers, des hôtels sont loués par les officiers américains, à l’image des hôtels « Métropole », « Bordeaux », des « Négociants » ou « Regina », ou encore des lieux privés comme le Château de Beaujardin. Les Tourangeaux sont également appelés à faire preuve de générosité lors de l’installation du SOS dans leur ville. La presse transmet les annonces du maire afin que la population fasse connaître à la mairie de Tours les logements qui peuvent être occupés par les officiers américains en indiquant leurs conditions de prix afin d’éviter toute réquisition261.

En effet, l’armée américaine est invitée à occuper en premier lieu des bâtiments publics appartenant à l’État français, aux départements ou aux communes. Si le nombre de bâtiments publics n’est pas suffisant, ils peuvent se tourner vers la location de chambres dans les maisons particulières. Le tarif des indemnités de logement est d’un franc par nuit et par lit pour un officier, sur une courte durée. Pour une durée plus longue, les tarifs sont de vingt centimes par

259 RIDEL Charles, Les embusqués, Paris, Armand Colin, 2007, page 298.

260 NARA, 120 2037 et 120 2038, Report of the Renting, Requisitions and Claims Service on Lands, Building and Premises Occupied by the AEF in France. Mars 1919, et Confidential Report of the Director of Renting, Requisitions and Claims Service on Divisional and Brigade Billeting Areas and Certain Camps. Novembre 1918. 261 La Touraine républicaine, 20 février 1918.

jour et par chambre. Le paiement doit s’effectuer toutes les semaines au receveur municipal mais en aucun cas directement aux habitants ou au maire262. Cependant, si aucune de ces

solutions ne peut être envisagée et si aucune condition à l’amiable n’est trouvée, les Américains peuvent réquisitionner un lieu, qu’il soit public ou privé. Les réquisitions sont effectuées sur le modèle des réquisitions françaises et sous la direction des autorités françaises qui réquisitionnent les terrains pour le compte de l’armée américaine, sauf en cas d’urgence, où l’armée américaine est autorisée à réquisitionner seule un terrain ou un immeuble263. Ainsi, le

terrain du camp d’aviation de Parçay-Meslay à Tours est réquisitionné par l’armée française en octobre 1915 et mis à la disposition des troupes américaines en 1917.

En plus des terrains, de nombreux immeubles privés ou publics sont donc utilisés par les troupes américaines, pour loger les officiers ou encore pour accueillir les bureaux américains. Les Américains classent les lieux utilisés par leur armée en distinguant ceux qui relèvent du domaine public, ceux du domaine propre à l’État qui sont donc la propriété du gouvernement français, ceux possédés par la Mairie et ceux qui relèvent de la propriété privée. C’est ainsi qu’à partir du 1er mars 1918, les autorités américaines louent au gouvernement français les casernes

de Baraguey d’Hilliers, de Rannes et de Beaumont pour y loger l’état-major américain à Tours264. Cette décision est discutée au sein du conseil municipal de la ville en février 1918 qui

recommande de « faciliter la tâche des Américains en les aidant à se procurer des locaux265 ».

Cependant, l’autorité municipale n’est pas prête à tout accepter de la part des Américains. Lors d’une séance du conseil municipal en mars 1918, ce dernier fait état des difficultés à loger l’état-major américain qui souhaite s’installer dans le lycée de jeunes filles de Tours, dans le quartier des Prébendes. Face à cette insistance américaine, le maire refuse de céder aux Américains cet établissement si important, puisque le lycée accueille 300 lycéennes et 400 jeunes filles de l’école supérieure dont les locaux sont déjà occupés pour les besoins sanitaires américains. La fermeture du lycée de jeunes filles entraînerait donc la suppression de l’enseignement secondaire et primaire supérieur pour les jeunes filles. Aucun autre lieu de remplacement n’est possible pour le maire car les établissements scolaires de la ville, comme dans de nombreuses communes françaises, sont transformés en services de santé français. Le maire en appelle au Ministère de la Guerre afin de trancher la question, celui-ci se prononce en

262 AM de Tours, 4H2 boîte 95, Lettre du Ministère de la Guerre aux maires, 20 novembre 1917.

263Ibid., Note du ministère de la guerre pour les maires au sujet des réquisitions pour les troupes américaines, 17 décembre 1917.

264 NARA, 120 2038, Confidential Report of the Director of Renting, Requisitions and Claims Service on Divisional and Brigade Billeting Areas and Certain Camps. Novembre 1918.

faveur des Tourangeaux et précise que les Américains sont invités à occuper les quartiers Rannes, Baraguey d’Hilliers et Beaumont, tous situés dans la même partie de la ville266.

La problématique des locations d’immeubles publics ou privés est perceptible dans toutes les communes du Centre-Ouest, où les habitants ne sont pas prêts à tout accepter de la part des autorités américaines et négocient la location de leurs immeubles, comme le montre une lettre d’un propriétaire d’un immeuble rue Bazoges dans la ville de La Rochelle. Dans son courrier adressé à la Mairie, le propriétaire indique qu’il ne peut louer son bien qu’à condition qu’il puisse « être assuré du consentement à un bail minimum de trois années, à un inventaire très sérieux et à des conditions non inférieures à 1 500 francs par mois, payables d’avance par semestre 267». Les Américains ne retiennent finalement pas son immeuble, ce dernier

n’apparaissant pas dans la liste des locations effectuées par l’armée américaine durant le conflit268.