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La signature de l’Armistice : la fin de la présence américaine ?

Quai Carnot Faisceau de Vaugoin

3- La signature de l’Armistice : la fin de la présence américaine ?

Dans d’autres localités, une fois l’armistice signé, les travaux s’arrêtent presque immédiatement, à l’image de la commune de Talmont-sur-Gironde, située à l’extrémité sud du département de la Charente-Inférieure, où les Américains avaient entrepris de construire un nouveau port. Le but des autorités américaines est ainsi de laisser une construction permanente en France. Ils souhaitent également permettre un déchargement et un transport plus rapides des ravitaillements vers le front. Quelques difficultés naissent, essentiellement liées à la gestion de ce nouveau port : qui de la base n°7 ou de la base n°2, doit gérer la construction de cette rade ? En effet, Talmont se situe à la frontière entre les deux bases et à la limite de deux départements, la Gironde et la Charente-Inférieure. C’est finalement la base n°7 qui l’emporte au nom de la logique administrative372. L’avantage de ce port réside dans ses eaux profondes permettant donc

de recevoir des bateaux volumineux mais aussi dans ses terrains importants qui permettent de construire des voies ferrées ainsi que des entrepôts et des campements. Il s’agit également de pouvoir décharger et d’envoyer plus rapidement les marchandises vers le front. De plus, la commune est connectée à deux lignes de chemins de fer de l’État qui desservent le front. Le 10 juillet 1918, les premières constructions commencent à Talmont. Les compagnies A, C et D du 506e Engineers ainsi que la compagnie D du 32e Engineers mais aussi le 448e Motor Truck

Company participent aux travaux de construction du port. Le 11 novembre 1918, 3 officiers

sont présents ainsi que 149 hommes. Les travaux que sont la construction de 12 postes à grand tirant d’eau, les voies d’accès de triage et le raccordement à la ligne de chemin de fer de l’État sont stoppés net après l’armistice, le 16 novembre 1918.

Après cet abandon par les troupes américaines, les autorités locales souhaitent voir se poursuivre le projet. Une ligue composée de 200 élus de la Charente-Inférieure, de la Charente et de la Haute-Vienne est ainsi formée pour « réclamer » des pouvoirs publics la reprise des travaux à Talmont373. La ligue prend le nom de « Ligue de défense des intérêts de la rive droite

372 NARA, 120 2736/2740, « Description de certaines installations (services à l’arrière) rédigée à l’attention du Maréchal Pétain et des officiers qui l’accompagnent ».

de l’estuaire girondin ». L’abandon du projet n’émeut pas seulement les habitants ou les acteurs politiques de la Charente-Inférieure car la presse charentaise voit dans la création d’une nouvelle rade un vrai coup de pouce économique pour le département de la Charente. Selon le journaliste Adolphe Marvet, le port de Talmont a plusieurs avantages : il est plus proche de Paris de 180 kilomètres que Le Verdon, c’est donc « une notable économie pour les importateurs du Nord et du Centre, dont les marchandises éviteraient en outre la taxe de quatre francs par tonne374 ». Cette taxe est payée en passant par le pont de fer de Bordeaux. Le

journaliste voit en Talmont « la fenêtre sur la mer », le « débouché naturel de la région économique du Centre-Ouest 375». Les journalistes se demandent si « au moment où, par tous

les moyens, on cherche à relever nos ruines sur le terrain économique, est-il permis de se désintéresser d’une œuvre qui présente un intérêt aussi évident et aussi immédiat pour le pays et pour la région dont nous sommes376 ? » La Chambre de Commerce d’Angoulême a d’ailleurs

donné son « adhésion pleine et entière 377» au projet du port de Talmont, auquel se joint en avril

1919 le conseil municipal d’Angoulême378. L’espoir est donc grand de voir un commerce juteux

se mettre en place entre la France et les États-Unis dont la Charente peut bénéficier.

L’abandon du projet crée une vive émotion parmi le conseil municipal de Talmont car les troupes américaines ont endommagé le terrain, les falaises sont détruites et les risques d’éboulement sont importants379. Par ailleurs, le conseil insiste sur les avantages à créer un port

à Talmont grâce à la profondeur de ses eaux et aux abords de Talmont qui « se prêtent admirablement au développement d’une agglomération industrielle ». De plus, la commune y voit l’occasion de créer une « source de bienfaits et de revenus pour tous les riverains de l’estuaire de la Gironde et les régions du Bordelais, du Périgord, du Limousin et des Charentes 380». Ce port représente un véritable débouché pour les produits agricoles, viticoles,

maritimes et industriels. Le conseil municipal émet donc le vœu de voir les travaux repris soit par l’État soit par un « groupement d’intérêts ». Une brochure est éditée en 1918381, pour vanter

les avantages de la commune. Talmont peut devenir un avant-port de Bordeaux grâce à sa position qui le place à l’entrée d’un estuaire, du fait de la profondeur de ses eaux, de son accès facile. La commune située loin de grandes villes peut aussi accueillir des postes pétroliers et sa

374 Le matin charentais, 14 mars 1919. 375 Ibid.

376 Ibid., 16 avril 1919.

377 L’Écho saintongeais, 4 avril 1919. 378 Le matin charentais, 16 avril 1919.

379 AD 17, 1 D 5, Séance du conseil municipal de Talmont, 16 février 1919. 380 Ibid.

communication est jugée aisée entre Bordeaux et le centre de la France. Par ailleurs, Talmont conserve du passage des Américains des études hydrographiques déjà réalisées et une voie ferrée qui raccorde Talmont aux Chemins de fer de l’État. Pourtant, malgré tous ces efforts de séduction de la part des autorités locales, c’est Le Verdon qui en novembre 1922 devient le port de l’embouchure de la Gironde.

Si la commune de Talmont insiste tant sur ses atouts, c’est que la présence des Américains ainsi que les nombreux apports techniques et leur outillage plus performant suscitent de nombreux espoirs dans les ports de la côte de la Charente-Inférieure. En Gironde, les nombreuses infrastructures américaines permettent d’assurer le trafic commercial dans le port de Bassens. Il est clair qu’après le conflit, les autorités locales des ports voient comme un avantage de pouvoir bénéficier des outils plus performants apportés par les Américains. En effet, à l’arrière, les villes souffrent d’un outillage, de transports et d’équipements non entretenus et non renouvelés en raison du conflit. Par ailleurs, face à cette quantité importante de marchandises qui arrivent dans les ports de la côte charentaise, le trafic portuaire augmente. La guerre permet de moderniser le port de La Pallice en augmentant le nombre d’outillages de levage. Toutefois, l’amélioration des infrastructures portuaires est déjà perceptible avant la guerre et perdure donc durant le conflit382.

La situation du port de La Pallice où le tonnage déchargé est plus important peut être comparée à celle de Saint-Nazaire puisque les Américains y effectuent aussi des grands travaux. Ils améliorent le rendement des ports de la Basse-Loire en modifiant la desserte des quais par les voies ferrées et créent des grands entrepôts. Saint-Nazaire devient le cinquième port de France, ses capacités d’accueil augmentent. Mais la prospérité des ports de Saint-Nazaire et de Nantes n’est due qu’à l’état de guerre. Leurs illusions s’envolent quand les Américains partent puisque les ports ne sont pas maintenus au niveau de « prospérité et de développement où les Américains les ont haussés383». En Gironde, les installations des Américains permettent de

renforcer la vocation portuaire de la commune de Bassens. À La Pallice, la Chambre de Commerce est heureuse de voir le trafic commercial augmenter avec l’arrivée américaine. En octobre 1919, le Président de la Chambre de Commerce de La Rochelle indique que les Américains sont « satisfaits » du port de La Rochelle-Pallice. Selon lui, c’est « avec certitude

382 BERTAUD Christophe, « D’un bassin à un port : le rôle économique de La Pallice (1914-1919) », AUGERON Mickaël, DENIS Sylvie, PAIRAULT Louis-Gilles, Entre terre et mer. La Charente-Maritime dans la Grande

Guerre, 1914-1918, La Crèche, Geste Editions, 2018, pages 255-266, page 263.

[que les Américains] se préparent grandement à étendre leurs opérations à La Rochelle 384». Du

fait de cet espoir, la Chambre a donc commandé pour 2 millions de francs « d’engins nouveaux » et investi 36 millions de francs pour agrandir La Pallice. Ainsi, « dans sept ou huit ans, notre port sera l’un des premiers d’Europe, avec son quai transatlantique toujours accessible 385». D’ailleurs, la presse se fait l’écho d’un bruit qui court après le conflit et qui

indique que les Américains souhaitent conserver une base navale commerciale sur l’Atlantique386, « et l’activité fiévreuse qui règne depuis des mois à La Rochelle et à La Pallice,

les travaux gigantesques entrepris dans ces deux ports, […] tendent à accréditer ce bruit387 ».

Cependant, même si les ports souhaitent profiter des apports techniques et logistiques américains, la fin du conflit annonce la reprise du trafic commercial français, ce qui provoque des tensions entre les autorités locales et les autorités américaines. Dès le mois de décembre 1918, le port de La Pallice souhaite reprendre une activité commerciale normale. Le 24 décembre, le Président de la Chambre de Commerce annonce au Directeur des Ports maritimes l’arrivée huit jours plus tard d’un vapeur de la ligne postale de la Pacific Steam

Navigation Company, d’un paquebot poste de la Compagnie Belge maritime du Congo, ainsi

que d’un vapeur qui doit charger une grande quantité de vin et d’eau de vie du département à destination de la Suède388. Le problème est que le Président de la Chambre de Commerce n’est

pas certain que ces navires soient admis dans le port de La Pallice en raison de la présence des bateaux américains. Le Président signale que la priorité doit être donnée aux services commerciaux pour la simple et bonne raison que la guerre est terminée et que selon lui, les Américains déchargent des « objets inutiles » comme des fils barbelés ou des outils pour les tranchées. Pour le directeur des ports maritimes, il est impossible de stopper l’arrivée de bateaux américains qui ont déjà quitté les côtes états-uniennes.

En 1919, le port de La Rochelle-Pallice souhaite réduire le nombre de postes affectés aux Américains afin que le trafic français puisse reprendre. Pour ce faire, les autorités américaines sont invitées à remettre les hangars H et G du port de La Pallice dès la fin de la guerre afin de permettre au trafic commercial de reprendre puisque ces espaces de stockage servent à entreposer de la marchandise avant ou après son embarquement. En février 1919, les

384 L’Écho rochelais, 8 octobre 1919. 385 Ibid.

386 Le pays de France, n°240, 24 mai 1919. 387 L’Écho rochelais, 28 mai 1919.

388 AN, F/14/11340, Lettre du Président de la Chambre de Commerce de La Rochelle au Directeur des Ports maritime, 24 décembre 1918.

frères Delmas souhaitent retrouver leur hangar H en raison d’une reprise des services réguliers de navigation qui doivent de nouveau desservir le port. Ils souhaitent également récupérer leur hangar G puisque les trafics commerciaux reprennent. Il est donc demandé au ministre des travaux publics d’intervenir en faveur du port de La Pallice auprès des services américains389.

Le côté nord du hangar H est rétrocédé aux Français le 1er mars 1919.

Cependant, la fin des combats ne signifiant pas la fin de la guerre, les postes de la rade de La Pallice sont toujours utilisés par les services américains en avril 1919. À cette date les Américains possèdent toujours 4 postes à La Pallice pour décharger des pièces de wagons qui sont ensuite recomposées dans la gare de La Rochelle, pour le compte d’une société américaine, la Middletown Car Company. Il est donc impossible pour les Américains de rétrocéder leurs postes dans l’immédiat, cela doit attendre le déchargement du dernier cargo. La France doit pourtant récupérer deux postes du Quai sud et exploiter les voies ferrées de ce quai pour reprendre son trafic commercial. Pourtant, pour les services américains, les Français peuvent utiliser le port de Rochefort du fait des faibles tirants d’eau des bateaux qui arrivent à La Pallice pour le compte du gouvernement français. Selon Atterbury, le Directeur général des transports américains, la présence d’autres ports dans le département « ne semble pas indiquer que les services français souffrent du manque d’emplacement de déchargement adjacent à La Rochelle390 ». Barillon, chef du Service central d’Exploitation des ports maritimes donne raison

aux Américains et considère que le déchargement américain est « important 391» et que les petits

bateaux doivent être déchargés à Rochefort. Le chef des ports maritimes semble rapidement changer d’avis puisqu’en mars 1919, il souhaite que les escales reprennent pour que notamment les navires hollandais puissent accoster dans le port de La Rochelle-Pallice. Il souhaite donc que le corps expéditionnaire américain rende les postes 10 et 11 du Quai sud qui sont bien mieux outillés que ceux des autres postes. Le poste 4 n’est réservé qu’aux paquebots et le poste 5 aux charbonniers, les autres postes étant mal outillés. Pour le Président de la Chambre de Commerce de La Rochelle, les Américains « entravent et paralysent toute reprise commerciale

389 Ibid., Lettre du Président de la Chambre de Commerce de La Rochelle au ministre des Travaux publics, 27 février 1919.

390 Ibid., Lettre du Directeur général des transports américain à l’adjoint directeur général des transports à Paris, 7 avril 1919.

391 Ibid., Lettre du chef du Service central d’Exploitation des ports maritimes au directeur général des transports américains, 7 avril 1919.

des services français 392», les Sammies font preuve « d’intransigeance » et soulèvent de

« constantes difficultés ».

Les conséquences du passage des soldats américains se font donc sentir même après la signature de l’armistice. En effet, d’autres communes du Centre-Ouest ne possédant pas de ports mais des voies navigables voient l’espoir de gagner en capacité commerciale après le conflit grâce aux Américains. C’est le cas de Tours qui accueille en septembre 1919 la tenue d’un Congrès franco-américain pour l’aménagement des cours d’eau du Bassin de la Loire. La ville espère voir créer une vaste voie navigable pour le transit local mais aussi national voire international. Tours doit devenir « une très grande ville 393». Cependant, le projet tourangeau

ne semble pas voir le jour et nous n’avons pas rencontré dans les archives de suite donnée à ce congrès. L’espoir est grand de voir les relations commerciales se poursuivre avec les États-Unis et de relancer ainsi économiquement les territoires du Centre-Ouest.

Les ports ne constituent pas les seuls terrains des travaux américains. En effet, si La Pallice est le principal centre de déchargement des cargaisons américaines, le port joue également un rôle dans la réception des pièces détachées destinées au montage de matériel roulant. En effet, l’une des autres tâches des troupes américaines est de combler le manque de matériel roulant du gouvernement français. L’armée des Sammies met donc en place des ateliers de construction pour pouvoir pallier cette insuffisance française mais également dans le but de toujours approvisionner ses hommes en quantité suffisante. La Rochelle devient ainsi le centre de l’effort de construction américain. D’autres communes comme Saint-Pierre-des-Corps voient leur réseau ferré et leur gare occupés par les travailleurs américains, à l’image de Nantes et de Saint-Nazaire, où les Américains améliorent le réseau ferroviaire.