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Les travaux de construction des voies ferrées et de matériel roulant

Quai Carnot Faisceau de Vaugoin

B) Les travaux de construction des voies ferrées et de matériel roulant

Les travaux de construction américains mais également l’aménagement urbain que cela engendre tendent à faire réfléchir sur la notion d’américanisation et au terme qui lui est souvent associé par les historiens, celui de modernisation de la ville par les Américains. L’américanisation fait référence à la présence physique et symbolique des Américains hors de

392 Ibid., Lettre du Président de la Chambre de Commerce de La Rochelle au ministre des Travaux Publics, mars 1919.

leurs frontières nationales et à ses conséquences394. On retrouve également le terme dans sa

dimension culturelle. Si cette migration de soldats permet de transférer les technologies et si certains historiens indiquent que les Américains arrivent en France avec l’idée de répandre le progrès, de construire un monde plus civilisé, en vantant leur modernité395, d’autres historiens,

au premier rang desquels Ludovic Tournès, invitent à repenser l’américanisation. Les historiens tendent à faire réfléchir sur cette infériorité française qui n’en est pas une. Le décalage que les Américains perçoivent entre leurs techniques de production et celles des Français ne correspond pas à la réalité. Les travaux sur l’américanisation sont souvent limités à l’étude de la réception en plaçant en position d’infériorité la culture qui reçoit, alors que « les deux partenaires de la relation sont à la fois et en même temps, émetteurs et récepteurs, même s’il s’établit entre eux un rapport de domination à un moment donné 396». La guerre demande aux troupes américaines

d’agir vite et de souvent précipiter des travaux déjà entrepris dans les villes, auxquels le conflit a mis un terme de façon temporaire.

1- Construire de nouvelles voies ferrées

La Pallice devient le principal port de débarquement des marchandises destinées aux troupes américaines dans le secteur de la base n°7, en raison des quantités déchargées et du nombre d’hommes présents qui y sont plus importants. Cependant, dans le département de la Charente-Inférieure, une autre commune joue un rôle clef dans l’effort de guerre américain, il s’agit de La Rochelle et plus particulièrement de sa nouvelle gare, dont la construction, stoppée par le conflit, a débuté en 1909. Dans les locaux de cette dernière, les Rochelais voient travailler des milliers de soldats du génie américain dont l’objectif est de construire du matériel roulant pour le compte du corps expéditionnaire américain. Les travaux entrepris dans la nouvelle gare ont deux buts précis : répondre aux forts besoins de matériel roulant créés par la guerre et répondre à une préoccupation majeure des troupes américaines, celle de pouvoir approvisionner les hommes en quantité suffisante. En effet, face au manque de matériel roulant français, les Américains comprennent rapidement qu’ils doivent compter sur leur propre équipement. Après avoir connu une augmentation du kilométrage du réseau, qui passe de 29 400 kilomètres en

394 TOURNÈS Ludovic, « Américanisation », DELPORTE Christian, MOLLIER Jean-Yves, SIRINELLI Jean- François (dir.), Dictionnaire d’histoire culturelle de la France contemporaine, Paris, Presse universitaire de France, 2010, pages 18-22, page 18.

395 COTTER Cédric, HERMANN Irène, « Les dynamiques de la rhétorique humanitaire : Suisse, États-Unis et autres neutres », Relations internationales, n°159, avril 2014, pages 49-67.

1883 à 40 783 en 1913397, la France traverse durant le conflit une vraie crise des transports

étudiée par l’historien François Caron. Les encombrements de lignes sont réguliers, le réseau est engorgé, le personnel et le matériel manquent. Le trafic sur le réseau ferré est de 50 % plus important qu’en temps de paix, du fait notamment des transports des troupes398. De plus, sa

« structure centripète et centralisée […] adaptée aux courant dominants d’avant-guerre 399»

n’est plus envisageable face à l’augmentation du réseau ferré. Durant le conflit, ce dernier est divisé en deux zones, celle de l’Intérieur sous l’autorité du ministre de la Guerre et celle des opérations sous la direction du commandant en chef de chaque groupe d’armée400.

En mai 1918, le Comité interallié des transports signale un engorgement des voies ferrées partant des ports français utilisées par les Américains. Cet engorgement est dû à l’insuffisance du matériel de chemin de fer, « le fait de puiser dans les disponibilités françaises actuelles, en vue de fournir au corps expéditionnaire américain tout ou partie du matériel nécessaire impose une charge dangereuse à des services déjà trop fatigués et peut aboutir, s’il n’y est mis ordre à une catastrophe 401». D’autant que dès 1917 et avant l’arrivée des Américains

dans les ports charentais, l’engorgement des voies ferrées préoccupe le ministère des Travaux Publics et les autorités militaires qui prennent des mesures. Par exemple, les commissions de réseau peuvent localement suspendre les expéditions commerciales pour libérer les voies402.

Le Comité demande donc à ce que soit accélérée ou augmentée l’importation depuis les États-Unis vers la France de matériel de chemin de fer pour le compte des Américains403. Ces

derniers doivent se suffire à eux-mêmes en termes de transports et font venir depuis le port de La Pallice du matériel roulant qui est fabriqué dans les usines américaines pour ensuite être acheminé en pièces détachées vers la France où ils sont remontés. Les pièces sont transportées par voies ferrées jusqu’à la nouvelle gare de La Rochelle. Les voies d’assemblage sont reliées au sud au port de La Pallice, d’où arrivent les pièces et au nord au réseau des Chemins de fer de l’État, pour rejoindre les zones intermédiaire et avancée. Les voies sont bordées par des terre-pleins qui reçoivent le matériel à monter. Ce sont des wagons citernes pour le carburant

397 CARON François, Histoire des chemins de fer en France.1883-1937, Paris, Fayard, 2005, page 93. 398 Ibid., page 549.

399 PRÉVOT Aurélien, « Les flux ferroviaires à partir des ports de commerce pendant la Première Guerre mondiale », art.cit., page 12.

400 CARON François, Op.cit., page 537-538.

401 SHD Vincennes, 16 N 201, Note de la Présidence du Conseil, 13 mai 1918.

402 DESPLANTES Anne, « Les grands réseaux de chemins de fer français pendant et après la Première Guerre mondiale, 1914-1921 », thèse de doctorat en histoire contemporaine, Université de Paris X, sous la direction de Jean-Jacques Becker, 1992, page 380.

ou frigorifiques. Le transport frigorifique est peu développé en France avant le conflit, mais davantage aux États-Unis où les distances à parcourir sont plus importantes.

Afin de parvenir à un rendement efficace, les Américains demandent à doubler la voie ferrée qui relie le port de La Pallice et la ville de La Rochelle. Ce raccordement ferroviaire existe depuis 1891 dans la cité, mais les nombreux déchargements aussi bien français qu’américains liés à l’état de guerre, encombrent la voie. Pendant plusieurs mois les troupes américaines ne réussissent pas à atteindre leurs objectifs de déchargement et à fournir rapidement la gare afin de construire toujours plus rapidement des wagons remplis de marchandises nécessaires aux hommes de la zone intermédiaire et du front. L’une de leurs difficultés vient d’une pénurie des voies d’accès, la ligne unique La Rochelle-La Pallice n’est prévue que pour évacuer 5 200 tonnes par jour alors que les Américains prévoient en octobre 1918 d’évacuer 8 000 à 9 000 tonnes. Il est donc primordial de doubler la voie. Bien que ce dédoublement soit une demande des Américains, ces derniers ne se chargent pas des travaux de construction, ils mettent seulement en place les installations téléphoniques et fournissent les matériaux de construction. En septembre 1918, la pose de la double voie est terminée jusqu’au lieu-dit Jéricho au point kilométrique deux mille huit cent de La Rochelle et les terrassements sont presque terminés aux abords de la Porte Royale. Par manque de matériaux, il est impossible d’élargir le pont de l’avenue Carnot, la voie à cet endroit reste donc unique sur 200 mètres avec deux aiguillages, un de chaque côté du pont. De la même façon, à l’extrémité de la voie en direction de La Rochelle, la ligne reste unique sur 400 mètres. En octobre 1918, le raccordement vers La Ferté est effectué et en novembre 1918 la double voie est posée jusqu’à la Porte Dauphine sauf sur le pont Saint-Maurice. Les Américains jugent la construction trop lente404. Le manque de main-d’œuvre française et le peu de prisonniers de

guerre présents expliquent la lenteur des travaux de construction.

404 AN, F/14/11340, « Travaux prévus en vue de faire face aux importations des AEF et au trafic français en 1919 », 10 septembre 1918.

Carte 8- Plan de La Rochelle où se construit la voie ferrée entre La Rochelle et La